LES MYSTÉRIEUX CONTOURS DE LA TORAH RÉVÉLÉE : DU TALMUD À MAÏMONIDE Rivon Krygi
LES MYSTÉRIEUX CONTOURS DE LA TORAH RÉVÉLÉE : DU TALMUD À MAÏMONIDE Rivon Krygier In Press | « Pardès » 2010/1 N° 47-48 | pages 33 à 51 ISSN 0295-5652 ISBN 9782848351827 DOI 10.3917/parde.047.0033 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2010-1-page-33.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La Torah perd son statut absolu, révélé, à un degré ou un autre. Dans quelle mesure peut-elle être considérée comme « Écriture sainte » ? Son autorité est-elle bafouée ? Telle devint la grande question. S’ensuivront de violents débats entre Maskilim et Orthodoxes. Ils font encore rage de nos jours à travers les dissensions qui opposent les différents courants du judaïsme. Or tout débat en la matière puise dans les premières strates de la pensée rabbinique. Notre propos consistera à étudier et mettre en perspective la notion de Torah révélée telle qu’elle apparaît dans les sources talmudiques et dans le traitement dogmatique qu’en fit Maïmonide au Moyen Âge. Ceci devrait faire office de propédeutique à une étude plus globale à venir. La forme mystérieuse de la Torah révélée selon le Talmud La définition de la croyance en la Torah révélée comme une sorte de dogme fondamental du judaïsme apparaît à l’époque de la Michna (ier et iie siècles de l’ère commune). C’est par négation, à travers la condamnation d’une « hérésie », une d’ailleurs parmi d’autres 1, que la tradition rabbinique en pose le principe : « La Torah n’est point d’origine céleste » (Sanhédrin 10 : 1) Mais quel est au juste le sens de l’allégation © In Press | Téléchargé le 05/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.142.66.36) © In Press | Téléchargé le 05/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.142.66.36) 34 Pardès n° 47-48 Rivon Krygier contentieuse ? Un enseignement (baraïta) anonyme que la discussion talmudique associe à ce propos, déclare : Même celui qui proclamerait que toute la Torah provient des cieux sauf tel verset que le Saint béni soit-il n’aurait pas énoncé mais Moïse l’aurait proféré de sa propre initiative, celui-là méprise la parole de l’Éternel (Sanhédrin 99a). Nous allons voir que la grande difficulté est de cerner ce qui est entendu par « toute la Torah » dont l’origine divine ne saurait être contestée. S’agit-il ici du corpus qu’une tradition de lecture établira comme étant le Pentateuque, les cinq livres révélés à Moïse dès le Sinaï, avec ses verbatim in toto ? Rien n’est moins sûr. Comme l’observe très finement Louis Jacobs, le fait d’affirmer que l’ensemble du texte sacré procède de la Révélation divine ne constitue pas pour autant un déni que l’homme puisse y avoir été associé en quelque façon, de manière créative 2. Et pour preuve, la suite du discours talmudique : Même celui qui confesserait que toute la Torah provient des cieux sauf telle précision, telle déduction, telle analogie (les interprétations obtenues selon les procédés herméneutiques convenus), celui-là méprise la parole de l’Éternel (ibid.). Et le Talmud de Jérusalem d’aller jusqu’à inclure dans ce qui ne peut être contesté, le Targum, la traduction araméenne autorisée 3. On voit nettement que le vocable « Torah » n’est pas entendu ici au sens canonique, comme désignant le Pentateuque, stricto sensu, mais selon une acception générique désignant l’ensemble de la tradition religieuse, la loi écrite (les Écritures) mais aussi « orale », c’est-à-dire en y incluant l’exégèse rabbi- nique ! Le propos n’était donc pas d’accorder une origine exclusivement divine au « livre de Moïse » ni même de définir ici les contours d’un corpus sacré mais de récuser des groupes dissidents 4 qui tentaient d’ébranler le consensus autour duquel s’était constituée la communauté des Sages de Yavné (Jamnia, iie siècle) et de ses disciples, à savoir l’authenticité de la prophétie de Moïse tout comme celle de la tradition afférente. Le fait est que le corpus des Écritures, dans sa recension massorétique (celle admise par la communauté rabbinique), faisait désormais office de référentiel sacré au groupe de fidèles. Et l’on comprend aisément que prétendre que des parties n’en étaient pas révélées, car infiltrées par des éléments exogènes et disparates, « inventés de toutes pièces », revenait à faire peser le soupçon de falsification sur l’ensemble de l’édifice. Mais cela n’impliquait aucunement que la Révélation était du seul fait de Dieu. © In Press | Téléchargé le 05/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.142.66.36) © In Press | Téléchargé le 05/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.142.66.36) Pardès n° 47-48 35 Les mystérieux contours de la Torah révélée : du Talmud à Maïmonide Force est de constater que ces contributions humaines déployées sur des siècles – pour ne parler ici que de l’époque talmudique – bien que variées et même souvent contradictoires furent néanmoins toujours entendues comme véhiculant l’épanchement du verbe divin, comme l’illustre le fameux propos talmudique : Trois ans durant, les écoles de Chamaï et Hillel s’affrontèrent, chacune prétendant que la halakha (la règle à suivre) est de son côté, jusqu’à ce que retentit une voix céleste qui proclama : « Les dires des uns comme des autres sont paroles du Dieu de vie ! » (Erouvin 13b) 5. Pour la tradition talmudique elle-même, il y a donc, entre le divin et l’humain de la Révélation, d’abord coalescence (la tradition rabbinique est également « Torah ») et, par suite, arborescence (les divergences rabbiniques sont encore « Torah »), sans que cela pose problème. Pour ce qu’en disait déjà le récit biblique, justement parce que le processus de Révélation défie l’entendement, il nécessite une médiation. Au pied du Sinaï, très rapidement, le peuple qui assiste saisi d’effroi au cataclysme de la Révélation supplie Moïse de s’en faire l’unique récepteur. Il fallait être prophète pour capter directement l’influx divin, et sage pour le transmettre. Il fallait la stature d’un Moïse pour se faire récipiendaire de l’alliance scellée à jamais avec Israël. À lui seul, l’Éternel s’adressa « de bouche à bouche, et non en énigmes » 6. Or l’expression « de bouche à bouche » – et non simplement de bouche à oreille – laisse entendre la tenue d’un dialogue. Qui plus est, en toute communication d’un message, quel qu’il soit, il y a nécessairement un locuteur et un interlocuteur. Toujours, la transmission tient à la fois de l’un et de l’autre, de sorte qu’un certain hiatus est inévitable, reconnaît un midrach : « Lorsque Moïse écrivit la Torah, une portion fut retenue dans la plume 7. » Ce n’est d’ailleurs pas une simple question de « déperdition du signal ». Un adage talmudique le reconnaît volontiers : Quand un même message est divulgué à divers prophètes, deux prophètes ne l’expriment pas dans le même langage (Sanhédrin 89a). Une forme de traduction s’opère forcément depuis la source ineffable de l’émanation divine jusqu’à sa restitution par l’esprit humain, fût-il celui du plus grand des prophètes. De nombreux théologiens juifs, y compris Maïmonide, ont insisté sur ce point, et en ce sens, personne d’entre ceux qui accordent créance à la sainteté des Écritures ne conteste en fin de compte la participation humaine au processus révélatoire. La question en © In Press | Téléchargé le 05/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.142.66.36) © In Press | Téléchargé le 05/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 176.142.66.36) 36 Pardès n° 47-48 Rivon Krygier débat est de savoir comment se forge l’alliage au cœur de « l’inspiration » ou comment s’insinue l’interprétation légitime de ce qui est, en quelque façon, perçu, au risque d’en corrompre le sens. Si l’on s’en tient au narratif biblique, il semble que, pour un certain nombre de passages, ce soit Dieu lui-même qui exprime le message en langage explicite et direct, de sorte que Moïse ne fait que répercuter ce qu’il entend, comme lorsque le propos est introduit par la formulation consacrée : « L’Éternel s’adressa à Moïse en ces termes : parle aux enfants d’Israël et dis-leur : … uploads/Litterature/ parde-047-0033.pdf
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- Publié le Sep 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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