Mogador comme motif littéraire dans le roman contemporain. Petite flânerie litt

Mogador comme motif littéraire dans le roman contemporain. Petite flânerie littéraire à travers un paysage mémorial marocain I. La ville comme texte et topo littéraire “Omnis mundi creatura/ quasi liber et pictura Nobis est et speculum/ nostrae vitae nostrae mortis Nostri statu nostrae sortis/ fidele signaculum.” Alanus Ab Insulis/ Alain de Lille La ville – une source de fascination éternelle pour les poètes et les écrivains. Le cas de figure par excellence, c'est la « ville éternelle », Paris, métropole littéraire et source de toute « littérature métropolitaine ». Cela fait des siècles qu’il se trame, le discours sur Paris, des « Tableaux parisiens » (1782-88) aux « Mystères de Paris » (1842), du « Spleen de Paris » (1857) au « Paysan de Paris » (1926), de Sébastien Mercier donc à Eugène Sue, et de Charles Baudelaire à Louis Aragon. Un discours tour à tour réaliste et romantique, symboliste et surréaliste, retracé dans ses moindres nuances par Karlheinz Stierle dans son étude monumentale : « La capitale des signes ». « Paris et son discours »[1]. L’auteur, en montrant comment s’instaure un discours sur Paris dans la littérature, retrace en même temps la naissance et l’évolution du mythe de Paris, qui deviendra le mythe urbain par excellence. Rappellant que Roger Caillois et Roland Barthes étaient parmi les premiers à parler de mythe à propos de Paris, Stierle reprend quelques-unes des pistes chères à Walter Benjamin, l’auteur dont il est le plus proche. C’est en effet dans la filiation de Benjamin qu’il focalise son attention sur ce qu'il appelle « la chaîne de l’écriture et de la lecture », à savoir un mouvement circulaire qui va de la « ville comme texte » aux « textes sur la ville » et vice versa. Cette idée de la « lisibilité de la ville »[2] comme texte nous paraît toute acquise, aujourd’hui, toutefois, elle remonte tout juste à l’œuvre de Walter Benjamin, plus précisément à son « Passagenwerk »[3], ouvrage inachevé, commencé en 1927, paru en traduction française en 1993 sous le titre : « Paris. Capitale du XIXe siècle. Le livre des passages »[4]. C’est en effet dans ce « Livre des passages » que Benjamin applique, le premier, l‘ancienne métaphore du « livre de la nature », concept hérité de l’antiquité gréco- latine, à la ville, permettant de percevoir la ville comme cet « espace sémiotique » qui, en tant que « monde et livre à la fois », aurait laisser apparaître « de nouvelles structures de lisibilité »[5]. Si la ville est donc un texte, il faut la lire, c’est-à-dire déchiffrer, décoder, décrypter voire décortiquer l’univers des signes qui la constituent. Univers d’autant plus énigmatique que la distance entre « la ville » et « son lecteur » est grande, que les clivages spatio-temporels et/ou civilisationnels qui les séparent, sont importants. Prenons l’exemple de la littérature maghrébine (post)coloniale francophone : le regard étrange(r) de l’écrivain algérien, tunisien, marocain sur Paris, de 1955 à 1986. « Des Boucs » (1955) de Driss Chraïbi[6] à la « Topographie » (1978) de Rachid Boudjedra[7], du « Tapapakitaques » (1976) de Habib Tengour[8] à la « Phantasia » (1986) d’ Abdelwahab Meddeb[9], les textes se présentent comme voyages-errances : à travers un Paris labyrinthique, déboussolant, « désorienté » et désorientant : le Paris cauchemardesque du travailleur émigré chez l’un, l’univers de rêve du flâneur cosmopolite chez l’autre, et dans tous les cas de figure un travail de recherche sur les traces et les signes. Parfois, au bout d'une longue évolution, la ville cesse presque d'être texte et devient signe, « chiffre », symbole à son tour : si elle est très célèbre, par exemple, ou très ancienne, si les siècles l’ont auréolée de mythes et légendes, la seule évocation du nom de la ville suffit parfois à déclencher tout un chapelet de rêves et nostalgies, frayeurs et fantasmes, qui à leur tour peuvent revêtir des formes littéraires, comme l’illustre ce passage de « l’Épreuve de l’ Arc »[10] de Habib Tengour au sujet de l’expérience parisienne des émigrés algériens : « Paris était-il l’abîme où nous fûmes jetés au réveil ? Était-elle l’ogresse cannibale de nos contes maternels ? N’était-ce pas Circé la magicienne qui nous métamorphosait à sa guise ? Peut-être Calypso, imperceptiblement elle savait retenir ? » (Tengour, L’Épreuve de l’Arc, 1990, p. 129) II. Les villes du Maroc au miroir de la littérature et de la critique littéraire « Si je sors/ où irai-je? Les trottoirs sont défoncés/ Les arbres font pitié Les immeubles cachent le ciel/ Les voitures règnent Comme n’importe quel tyran/ Les cafés sont réservés aux hommes Les femmes, à raison/ ont peur qu’on les regarde Et puis/ je n’ai rendez-vous Avec personne » Abdellatif Laabi[11] Bel exemple d’un conditionnement culturel occidental- oriental qui rappelle fortement le fameux mécanisme behavioriste du stimulus/réponse et qui fonctionne tout aussi bien en sens inverse, car il n’y a pas que Paris qui fait rêver : Bagdad... Alamout... Samarkand... Tanger... Casablanca... Marrakech... Tombouctou... Mogador... autant de noms magiques aux résonances mythiques. Toutes ces villes ont trouvé leurs chroniqueurs et leurs témoins, leurs flâneurs et leurs amants ; elles font, en tant que mythe ou décor, inspiratrice ou motif, partie intégrante de la littérature contemporaine internationale et marocaine. Ne mentionnons, dans la foule des titres et à titre d’exemple, que « Marrakch Médine » de Claude Ollier, « Die Stimmen von Marrakesch » d‘Elias Canetti, « Agadir » de Mohammed Khair-Eddine, « Jour de Silence à Tanger » de Tahar Benjelloun[12] et « Spleen de Casablanca » d’ Abdellatif Laâbi[13]. Ce discours littéraire inspiré par la ville est suivi de très près et abondamment par le méta-discours universitaire, qui s’est focalisé, dans le cas du Maroc, de façon claire et nette sur Marrakech et Tanger, qu’il s’agisse de l’exploration du « Récit tangérois » par Marc Gontard (1993)[14] ou des nombreux numéros spéciaux consacrés par les Cahiers d’Études Maghrébines[15] ainsi que par Horizons Maghrébins, revue toulousaine, aux villes dans l'imaginaire : - Villes dans l’imaginaire : Marrakech – Tunis – Alger (CEM 4/1992) - Villes océanes marocaines dans l’imaginaire : De Tanger à Safi (CEM 13/2000) - Visions d’une ville : Marrakech (CEM 15/2001) - Marrakech : Seuils, Lectures (HM 23-24/1994) - Tanger au Miroir d’elle-même (HM 31-32/1996) III. « ...une ville, Mogador, dont les annales sont faites de livres de comptes et de registres portuaires... »[16] Mais Essaouira, l’ancienne Mogador, « la perle de l’ Atlantique », ne figure pas – ou presque pas – dans ce chapelet critique. Malgré un flot remarquable de textes littéraires inspirés par la ville portuaire au bord de l’ Atlantique, il n’existe, à ce jour, aucun recensement systématique – et analytique – par rapport à la littérature mogadorienne. Exception faite, peut-être, du synopsis proposé dans le dernier numéro des Cahiers d’Études maghrébines : « Mogador – Essaouira. Une ville océane du Sud marocain » (16-17/2002) mais qui, sur 300 pages, présente plutôt la ville par la plume de ses auteurs qu’elle ne décortique cette plume elle-même...[17] Ceci est un constat quelque peu étonnant, qui s’explique probablement par la position particulière qu’occupe cette ville singulière en marge du continent africain comme en marge des consciences humaines. C’est pour cela que les lignes suivantes se proposent modestement de balayer d’abord le terrain, de procéder à un premier tour d’horizon, en frayant des « passages » – au sens de Walter Benjamin[18] – à travers le paysage des textes, qui frôlent et gravitent autour de certains‚ ilôts de sens qui seront illustrés voire illuminés par des citations éloquentes, selon la méthode de Benjamin, afin de réveiller, par « des expériences de l'isolement et de la mise en relation, [...] la conscience endormie ou rêveuse de la ville, afin de métamorphoser ainsi le passé en un présent des plus conscients. »[19] Car, selon la formule d’Edmond Jabès : « C’est dans la fragmentation que se donne à lire l’immensurable totalité »…[20] Pour commencer, un peu d'histoire : Les annales de Mogador, du fameux port de Tombouctou, qui a vu venir et partir Phéniciens et Romains, Portugais et Français, caravaniers et consuls, commerçants et artistes, ces annales-là ne sont pas uniquement « faites de livres de comptes et de registres portuaires » – même si c'est ce que prétend un récent site internet. Non, loin de là. Mogador, construite entre 1763-65 d’après les plans de l’architecte français Theodor Cornut, sur demande du sultan Sidi Mohammed Ben Abdellah, sur une péninsule entre l’océan et les dunes[21], à 170 km à l’ouest de Marrakech comme à 170 km au nord d’ Agadir, pour devenir, pendant un siècle et demi, la fenêtre grande ouverte du Maroc vers le monde, exerce une grande fascination sur les esprits. Il n’y a que Charles de Foucauld qui, lors d’un séjour à Mogador au retour du désert, du 28 janvier au 14 mars 1884, reste cloîtré dans sa chambre, épuisé et morose, dans l'attente d'un mandat de Paris qui tarde à venir, pour constater, mécontent, que « uploads/Litterature/ mogador-comme-motif-litteraire-dans-le-roman-contemporain-petite-flanerie-litteraire-a-travers-un-p.pdf

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