Littératures de la France médiévale M. Michel Z, membre de l’institut (Acadé

Littératures de la France médiévale M. Michel Z, membre de l’institut (Académie des inscriptions et belles-lettres), professeur Le cours de cette année avait pour titre : « Non pedum passibus, sed desideriis quaeritur Deus (saint Bernard). que cherchaient les quêteurs du Graal ? ». Consacrer un cours au Graal est toujours téméraire, tant la matière et la bibliographie sont immenses. Lui donner cet intitulé l’était plus encore. À cela s’ajoutait la menace du péché le plus grave qu’on puisse commettre au Collège de France, la répétition, car le cours de 2000-2001 avait porté sur Joseph d’Arimathie de robert de Boron avant de nourrir, en 2003, le dernier chapitre du livre Poésie et conversion au Moyen Âge. Au reste, on ne peut parler du Graal sans courir un risque, celui du malentendu. Le simple mot de Graal éveille tant de résonances, généralement trompeuses ! Alors que les autres mythes littéraires hérités du Moyen Âge, celui de roland et même celui de tristan et iseut, se sont estompés, le Graal reste présent, explicitement ou par transposition, dans l’imaginaire contemporain. il nourrit jeux de rôles et jeux vidéos, science fiction et heroic fantasy. il tient sa place dans le renouveau celtique. Dans le langage des journalistes, poursuivre un but inaccessible, comme mettre fin à une crise financière ou trouver un consensus politique, c’est « chercher le Graal ». Bien entendu, le cours n’a traité que des romans du Moyen Âge, qui sont notre première et notre seule vraie source d’information sur le Graal — et probablement le seul lieu où il ait eu, sous ce nom, une existence. Même dans ce cadre, il n’a pas suivi les approches les plus séduisantes et, aux yeux de beaucoup, les plus fécondes. il n’a traité ni de la mythologie ni de la préhistoire du Graal. Une approche possible de textes littéraires anciens consiste à remonter jusqu’à leur préhistoire, à en chercher la nature et le sens dans des traditions antérieures, à demi effacées, dont les textes que nous connaissons garderaient la trace, mais sans bien le savoir ni bien le comprendre, qu’ils méconnaîtraient et travestiraient, délibérément ou par ignorance et incompréhension, qu’ils oblitéreraient. Une telle approche est légitime ; 844 MiCHEL ZiNK elle est passionnante ; elle est féconde, comme l’ont montré de nombreux et magnifiques travaux, de jean Marx à joël Grisward, qui a appliqué avec une efficacité remarquable la grille dumézilienne aux récits médiévaux. Elle est particulièrement adaptée à l’étude d’une légende comme celle du Graal, dont l’ancrage dans les mythes est évident. Mais cette approche ne permet pas de répondre à toutes les questions. que le Graal ait des racines et des correspondants dans la mythologie celtique, et plus largement dans les mythologies indo- européennes, qu’il soit lié à des mythes de fécondité et de fertilité, cela ne fait pas de doute. Les études conduites dans ce sens éclairent des traits au premier abord surprenants ou incohérents des romans du Graal. Elles n’expliquent cependant pas (tel n’est pas leur but) pourquoi ces romans existent, ce qu’ils prétendent être, ni pourquoi ils prétendent l’être, le projet de ces romans n’étant pas de livrer ce que l’anthropologue doit mettre toute son habileté à décrypter en eux. il est donc également légitime de s’intéresser, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, à ces romans du e et du e siècle sans lesquels nous n’aurions pas l’idée de formuler la moindre hypothèse sur le Graal, sans lesquels nous ne le connaîtrions pas et sans lesquels il n’existerait probablement pas. il est légitime de s’intéresser simplement à ce qu’ils veulent dire, et non pas seulement à ce qu’il y a derrière ce qu’ils disent et qu’ils diraient malgré eux. Leur foisonnement, leur nombre, leur longueur excluaient de parler de tous dans le cours d’une année. On ne l’a pas tenté. Ceux-là même dont on a parlé, on n’a fait que les effleurer. Mais n’a-t-on pas fait bon marché de leur complexité en posant cette simple question : « que cherchaient les quêteurs du Graal ? » que cherchaient-ils ? Le Graal, bien sûr ! Ce qui évitait la lapalissade, c’était la citation de saint Bernard : Non pedum passibus, sed desideriis quaeritur Deus, ce n’est pas par le mouvement des pieds, en marchant, mais par les désirs que l’on cherche Dieu. Associer une telle citation et une telle question, c’était impliquer que, d’une façon problématique, les quêteurs du Graal, dans le Graal, cherchent Dieu. Cela aussi, c’est une évidence, ou cela devrait l’être : nous ne connaissons le Graal, en dehors des reconstitutions auxquelles nous pouvons nous livrer, que comme un objet lié à la foi, au salut et même, précisément, aux sacrements de l’Église. voir en lui autre chose, c’est, encore une fois, lui supposer des liens avec une mythologie étrangère au christianisme, à laquelle le christianisme l’aurait empruntée en une démarche de récupération dont il existe bien d’autres exemples. C’est possible et même probable. Mais cela ne change rien à ce qu’il est dans les romans par lesquels nous le connaissons ni au sens qu’il y reçoit. que le Graal nous soit présenté, dès la première fois où il est fait mention de lui, comme un objet religieux, c’est ce qui ressort du roman de Chrétien de troyes, Le Conte du Graal, dans lequel le Graal, quel qu’il soit (et il ne faut pas compter sur Chrétien pour nous le dire), contient l’hostie dont se nourrit exclusivement le père du riche Pêcheur ; Le Conte du Graal, dans lequel le succès ou l’échec de Perceval face au Graal, puis dans sa recherche du Graal, sont liés au péché, à la grâce, à la pénitence et à l’eucharistie ; Le Conte du Graal, qui se présente dès son prologue comme un roman de la LittÉrAtUrEs DE LA FrANCE MÉDiÉvALE 845 charité : tous éléments que confirme à sa manière quelques années plus tard (et confirme d’autant plus qu’il dit bien haut vouloir se démarquer de Chrétien) le Parzival de Wolfram von Eschenbach. Au même moment, du côté français, robert de Boron enracine l’histoire du Graal dans celle de la rédemption. L’histoire sainte apocryphe qu’il accrédite ainsi est adoptée par les romans en prose du e siècle, qui l’intègrent à leur matière, et devient une vulgate. Ces éléments d’histoire littéraire si connus, on s’est contenté de les rappeler le plus brièvement et le plus clairement possible en brossant un rapide tableau des dix ou douze principaux romans du Graal et en rappelant la situation dans laquelle ils sont les uns par rapport aux autres, avant de proposer un bref état de la question sur le mot « graal » lui-même. Abordant à la lumière de cette mise au point d’histoire littéraire la question posée par le titre du cours, on a observé que le mouvement interne à chacun des principaux romans, comme le mouvement d’ensemble par lequel tous ces romans se sont succédé, complété, assemblé, est le mouvement qui va de la rencontre du Graal à sa quête. Cette simple formulation révèle deux traits majeurs de ces récits, qui sont aussi deux ambiguïtés. Premier trait et première ambiguïté : on se met en quête du Graal pour l’avoir déjà vu une première fois, par hasard ou du moins sans l’avoir cherché ni mérité ; on se met en quête du Graal alors qu’il s’est déjà offert comme une grâce gratuite. C’est ce qui se passe dans Le Conte du Graal — en harmonie, a-t-on montré, avec le schéma habituel des romans de Chrétien de troyes et avec sa morale. C’est ce qui se passe dans la Quête du saint Graal, où il s’agit de la grâce elle-même, à laquelle le Graal est explicitement assimilé (« c’est le saint Graal, c’est la grâce du saint Esprit ») : au début du roman, le Graal apparaît aux chevaliers de la table ronde le jour de la Pentecôte, alors que toutes les portes de la salle sont fermées, en une répétition de la descente de l’Esprit saint sur les apôtres. Gauvain les entraîne alors dans la quête de ce qui leur est déjà apparu et qui les a déjà comblés. Autrement dit, le Graal pourrait dire comme le Dieu de Pascal : « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé ». Mais avant d’être de Pascal, cette formule est de saint Augustin, puis de saint Bernard, qui, à l’époque même et dans l’esprit même de nos romans, écrit dans De Diligendo Deo : Nemo te quaerere valet, nisi qui prius invenerit, « Personne n’est capable de te chercher s’il ne t’a pas d’abord trouvé ». second trait et seconde ambiguïté touchant le mouvement qui va de la première rencontre du Graal à la quête pour le retrouver : cette quête est une quête chevaleresque qui se confond avec l’aventure du chevalier errant. Pourquoi associer le Graal à la chevalerie ? Là est la grande question que Chrétien pose dès le début de son roman, mais sans avoir l’air de la poser, et pour l’escamoter à peine posée, de sorte qu’il uploads/Litterature/ michel-zink-que-cherchaient-les-que-teurs-du-graal-colle-ge-de-france.pdf

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