Socio-informatique et argumentation sociologie argumentative des controverses,
Socio-informatique et argumentation sociologie argumentative des controverses, concepts et méthodes socio-informatiques http://socioargu.hypotheses.org/3646 Réflexions méthodologiques autour d’un corpus d’autobiographies 27 février 2012 SÉBASTIEN BUISINE post-doctorant, associé au GSPR Du récit de vie au journal intime en passant par le roman autobiographique ; des Confessions de Jean-Jacques Rousseau (1782) à Destroy de Johnny Halliday (2003) édité en trois volumes, l’autobiographie représente une production littéraire incomparable dans la diversité de ses styles et de ses auteurs. Aujourd’hui, la plupart des personnages publics issus de la sphère politique, du monde de l’entreprise ou du showbiz nous font part de leurs souvenirs d’enfance et du déroulement de leurs carrières professionnelles qui les ont faits connaître. Ces derniers n’hésitent plus à livrer les moments forts de leur propre histoire et ce, dans ce qu’elle a de plus personnelle. A en croire le tirage important de ces publications1, le grand public se passionne pour ces récits de vie. L’univers du sport, notamment celui du cyclisme, n’est pas épargné par l’engouement suscité autour de cette littérature. En effet, le succès et l’abondance des biographies de coureurs cyclistes attestent de l’intérêt du profane ou du fin-connaisseur à vouloir les découvrir autrement que sur un vélo. Ce faisant, la valeur heuristique de ces témoignages publics contraint le chercheur à une réflexion méthodologique quant à leurs utilisations pour étudier un milieu social ou une profession. Cette réflexion s’intègre dans un travail plus large qui consiste à saisir les exigences de l’activité professionnelle du coureur cycliste à travers celles que les sportifs acceptent de rendre publiques2. La restitution d’une vie ou d’une carrière sportive est susceptible de varier suivant les conditions de production du récit. Pour cela, nous avons recensé plusieurs sources à travers lesquelles se manifestent « ces histoires » marquées par des traits argumentatifs et par des régimes discursifs. Dans un souci d’ouvrir cet espace de variation, nous ne pouvions pas faire l’économie d’une analyse des autobiographies de ces sportifs. De quelle manière un corpus d’autobiographies peut-il être mobilisé dans une analyse sociologique ? Peut-on les utiliser au même titre que les entretiens, afin de comprendre un univers social ? Enfin, quelle place doit-on accorder aux conditions de production, d’énonciation et de publicisation des ouvrages que l’on veut analyser ? Carte postale publicitaire Les vieilles gloires du cycle Sans entrer ici dans les débats qui animent la définition de l’autobiographie comme genre littéraire3, il s’agit d’y voir une production discursive liée à une forme de vie ou de milieu, qu’elle contribue à mettre en scène. Pour étayer nos propos, nous prendrons l’exemple des cyclistes professionnels. Pour les sciences sociales, les études prenant comme source l’autobiographie littéraire4 montrent qu’elle ne représente pas n’importe quelle narration mais incarne un moyen comme un autre d’investigation sociologique5. Elle constitue un récit narratif etrétrospectif6 qui s’efforce de retracer une histoire tangible et personnelle au travers d’expériences vécues par l’auteur. Les récits autobiographiques des cyclistes apparaissent alors comme des témoignages donnant à lire les trajectoires et le sens qui est donné au parcours professionnel et sportif. De plus, ces ouvrages ne constituent pas qu’une simple invitation à « raconter » sa vie mais incarnent bien une incitation à se présenter aux autres7. Dès lors, l’autobiographie n’est pas un récit neutre puisque des éléments de présentation contraignent son auteur à revenir sur le cheminement choisi, ou subi, lors de sa carrière sportive. Dans ces moments particuliers d’explication, les cyclistes mettent en mots leur quotidien, rendent intelligible leur métier, font part de leur envie de changer les représentations du public8. De même, certains reconnaissent aussi explicitement vouloir convaincre le lecteur, justifier leurs actions, critiquer ce qui leur semble injuste, etc. Ainsi, contrairement à la position tenue par Brissonneau et al.9 dans laquelle ils considèrent que ces textes peuvent difficilement être utilisés par le sociologue comme sources fiables d’information, nous pensons que ces publications donnent accès à l’univers social et professionnel. Il faut évidemment accorder à leurs auteurs une capacité réflexive et de discernement qui affleure à la surface des récits de vie. Toutefois, cette posture n’est tenable qu’à condition de maîtriser, a minima, l’élaboration et la constitution du recueil des textes autobiographiques. LA CONSTRUCTION D’UN CORPUS D’AUTOBIOGRAPHIES RAISONNÉ. Pour saisir ce que les cyclistes professionnels nous livrent dans leurs biographies, nous avons d’abord effectué une sélection rigoureuse. Celle-ci répond à une problématique dans laquelle la restitution des récits ne peut pas être utilisée sans précaution. Cette démarche se justifie, d’une part, par la profusion d’ouvrages biographiques retraçant la vie des champions cyclistes10. D’autre part, les contraintes de production, imposées ou non aux auteurs, varient selon les contextes et semblent a priori quelque peu arbitraires. En effet, dans un contexte de vulgarisation, ces derniers sont conduits à faire des choix en sélectionnant des épisodes marquants de leur histoire, tout en étant tenus de respecter une certaine forme canonique et de rationaliser le contenu même du récit. Par exemple, les « auteurs-cyclistes » doivent tenir compte des exigences éditoriales qui ciblent aussi bien les profanes, les passionnés que les initiés scrutant les moindres détails susceptibles de livrer les secrets de leurs performances et de leur métier. Par souci de cohérence, nous avons donc retenu le mode narratif à la première personne du singulier comme une primitive des récits biographiques. En recourant au « je », les auteurs apposent leur signature sur la couverture endossant ainsi une coréférentialité dans le rôle du narrateur et de l’auteur11. Autrement dit, le narrateur, en l’occurrence ici le cycliste, est lui-même l’objet d’un travail de totalisation de ses propres expériences en vue de produire un récit capable d’intéresser le plus grand nombre. De manière exhaustive, les ouvrages recensés sont généralement des témoignages retraçant les moments forts de la vie sportive, affective et privée des cyclistes dans lesquels les sportifs sont considérés comme les uniques auteurs. Les récits s’inscrivent alors dans une rhétorique qui, à travers les expériences à la fois banales et singulières, renforce la vraisemblance des histoires racontées. Le fait narratif est ici soumis à une forte contrainte d’authenticité dans laquelle des formules comme « j’y étais » ou « je l’ai vu de mes propres yeux » tentent de garantir à la fois la force du témoignage12 et les présomptions de sincérité de l’auteur et de plausibilité des énoncés. Cette contrainte est d’autant plus grande qu’elle suppose que l’expérience, vécue par chacun de manière parcellaire, soit reprise dans un récit13. En d’autres termes, le récit biographique est placé sous la contrainte de formes morales ou d’exigences publiques. Par conséquent, il peut être saisi aussi bien par la critique du marché éditorial que par les autres coureurs, l’opinion publique ou le simple lecteur, voire même être rappelé par la justice dans les affaires de dopage14. Dès lors, s’intégrant dans un corpus marqué par sa profondeur historique, chaque autobiographie s’insère dans une série de narrations qui engage une certaine mémoire collective. En cela, l’exhaustivité du corpus constitue à la fois un repère dans sa dimension diachronique mais elle assure également un recoupement tangible de certains événements et d’expériences sensibles partagées par plusieurs auteurs. Les ouvrages retenus doivent être resitué non plus seulement dans une trajectoire individuelle mais bien comme des récits collectifs. En effet, chacune des autobiographies peut raviver l’expérience commune du peloton ainsi que les souvenirs de certains lecteurs partageant des éléments de la situation vécue. Cette histoire collective ne s’inscrit pas dans les mêmes registres que celle de « l’auteur-cycliste », mais elle permet à chacun de reconnaître ce qui les a liés ou séparés à un moment donné. Ainsi, qu’ils soient coureurs, journalistes ou spectateurs, ces derniers peuvent attester de la fidélité du témoignage, juger de sa plausibilité ou, en cas de doute, le remettre en question et le confronter à d’autres sources. La crédibilité du récit dépend alors de son degré de résistance aux accusations et aux critiques mais aussi à la manière de défendre son propre point de vue. A ce titre, une inexactitude dans le récit, si elle est relevée par un lecteur, peut suffire à ébranler l’ensemble du témoignage ainsi que l’image de son auteur. Par exemple, dans son ouvrage paru en 1999, Richard Virenque15nie toute complicité dans le système de dopage organisé au sein de l’équipe Festina. Rapidement, le soigneur de l’équipe, Willy Voet, le directeur sportif, Bruno Roussel, et la plupart de ses équipiers rétabliront la vérité dans diverses arènes de confrontation au point de l’obliger à passer aux aveux quelques mois plus tard. Par ce déni, Richard Virenque devint la risée des Guignols de l’Info qui assimilèrent sa marionnette à l’expression « à l’insu de mon plein gré ». Les cyclistes ont été dopés à l’insu de leur plein gré Trop de mensonges Ils m’ont fait faire du vélo à l’insu de mon plein gré J’ai été nourri à l’insu de mon plein gré En outre, d’autres contraintes émergent lorsque les cyclistes abordent des sujets sensibles comme les arrangements financiers. Ces derniers risquent une procédure judiciaire pour diffamation s’ils colportent de fausses rumeurs, dénoncent certaines pratiques non avérées ou accusent d’autres cyclistes. Dans son effort uploads/Litterature/ methodologie-autobiographie.pdf
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- Publié le Jul 27, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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