LOOSE WORDS, OU L’ARCHILECTURE Peter Szendy Belin | « Po&sie » 2016/2 N° 156 |
LOOSE WORDS, OU L’ARCHILECTURE Peter Szendy Belin | « Po&sie » 2016/2 N° 156 | pages 147 à 156 ISSN 0152-0032 ISBN 9782410004939 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-poesie-2016-2-page-147.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Une question qu’il ne formule pas explicitement lui-même comme je me risque imprudemment à le faire, mais que tout, dans ses écrits, me semble appeler. À savoir : venir après Derrida, n’est-ce pas aussi interroger autrement la lec- ture, lui donner une place, un rôle qui ne soit pas seulement dérivé de l’écriture ? Je ne suis certainement pas le premier à remarquer l’importance de la lecture, à la fois comme pratique et comme question, dans l’œuvre de Samuel Weber 3. La lecture, c’est non seulement l’un de ses soucis majeurs mais aussi l’une de ses ressources les plus constantes et les plus singulières. Peu de penseurs ont su développer, comme lui, un véritable art de lire (the art of reading, c’est du reste un syntagme qu’il a tenu à contresigner en l’empruntant à Adorno 4), tout en ne cessant d’interroger, de mettre en cause tous les arraisonnements théoriques qui tentent de saisir le lecteur dans son activité ou son acte. 1. Les pages qui suivent ont été écrites pour un colloque consacré à l’œuvre de Samuel Weber en juillet 2010 au Château de la Bretesche, à Missillac. Une traduction anglaise due à Antoine Traisnel a paru dans Points of Departure. Samuel Weber between Spectrality and Reading, textes réunis par Peter Fenves, Kevin McLaughlin et Marc Redfield, Northwestern University Press, 2016. 2. Cf. « The Debt of Criticism : Notes on Stanley Fish’s Is There a Text in This Class ? » et « The Debts of Deconstruction and Other, Related Assumptions », dans Institution and Interpretation, Stanford University Press, 2001. Cf. aussi « Closing the Net : “Capitalism as Religion” (Benjamin) », dans Benjamin’s –abilities, Harvard University Press, 2008, p. 257 et sq. Mes propres dettes à l’égard de Samuel Weber sont lisibles ici ou là, notamment dans Tubes. La philosophie dans le juke- box (Minuit, 2008, p. 32), mais surtout, précisément sur la question même de la dette, dans « This Is It (The King of Pop) », Pop filosofia, textes réunis par Simone Regazzoni, il melangolo, 2010, p. 153 et sq. 3. Cf. Simon Morgan Wortham, Samuel Weber : Acts of Reading, Ashgate, 2003. 4. The Art of Reading, c’est en effet le titre du premier volet d’un essai d’abord paru en 2000, puis recueilli dans Theatricality as Medium, Fordham University Press, 2004, p. 229 sq. : « After the End : Adorno ». Weber commente la dernière des Trois études sur Hegel d’Adorno (traduction du Collège de philosophie, Payot, 2003, p. 89 sq.) : « Skoteinos ou Comment lire ». Adorno y affirme notamment que Hegel « demande objectivement, et non pas simplement pour familiariser le lecteur, une lecture multiple » (p. 91-92). Il importe de souligner aussi que l’expression reprise par Weber, the art of reading, « l’art de lire », apparaît en enchaînant immédiatement sur la politique : « … la Logique de Hegel n’est pas seulement sa métaphysique, elle est aussi sa politique. L’art de lire Hegel devrait être attentif au moment où interviennent le nouveau, le substantiel et distinguer le moment où continue à tourner une machinerie qui n’entend pas en être une et ne devrait pas continuer à tourner. Il faut à chaque instant prendre en considération deux maximes en apparence incompatibles : celle d’une immersion minutieuse et celle de la distance libre. » (p. 94) © Belin | Téléchargé le 14/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.29.187.164) © Belin | Téléchargé le 14/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.29.187.164) 148 Caught in the Act of Reading : tel est le titre de l’essai que Samuel Weber a consacré à la théorie de la lecture de Wolfgang Iser 1. Celui-ci s’y trouve pour ainsi dire saisi lui-même dans l’acte de lire qu’il tentait de saisir, il se trouve pris ou surpris en train de lire, laissant dès lors transparaître ses présupposés théoriques d’inspiration phénomé- nologique : d’une part, « malgré son usage du mot texte, Iser conçoit la lecture essen- tiellement comme un procès de visualisation (ou de construction d’image) » (p. 183) ; et d’autre part, il y va pour Iser du « pouvoir qu’a le texte de contrôler la réponse du lecteur » (p. 188). C’est-à-dire que le « point de vue mobile » de ce dernier ne doit pas s’égarer (go too far astray and get lost), il ne doit pas errer en dehors du cadre prévu par le texte. Pré-vu, oui, c’est-à-dire littéralement prévisualisé pour le lecteur, même si l’inatteignable vue d’ensemble, comme totalisation des perspectives, est sans cesse repoussée à l’horizon. C’est ainsi, par une visualisation sous contrôle, que le lecteur selon Iser fait revivre le texte, lui restituant une présence perdue2 : « … on pourrait en appeler à la lecture afin qu’elle fonctionne dialectiquement (rea- ding could be called upon to function dialectically), en tant que négation d’une néga- tion, en tant que re-présentation d’une représentation irrémédiablement extérieure (as the negation of a negation, the re-presentation of an irremediably extraneous repre- sentation) – bref, en tant qu’actualisation vivifiante d’une lettre morte (the vivifying actualization of a dead letter). Telle est, mutatis mutandis, la position actuellement adoptée par certains théoriciens et “phénoménologues” de la lecture, comme Wol- fgang Iser. Mais c’est aussi une position magistralement analysée, dans les premiers textes de Derrida, comme une écriture qui refuse de se laisser nommer telle (but it is also a position masterfully analyzed, in the first publications of Derrida, as a writing that refuses to know its own name)… » (p. 93) Si, chez Derrida, la lecture n’est donc évidemment pas inscrite dans l’horizon idéal d’une visibilité réglant la multiplicité des points de vue, elle reste néanmoins, comme le suggère Samuel Weber, dépendante du paradigme textuel ou scriptural. Non pas au sens où la lecture serait, chez Derrida comme chez Iser, contrôlée en dernière instance par le texte – de fait, le texte au sens derridien, c’est sans doute l’impossibilité de tout contrôle face à une dissémination que rien, aucune instance ultime ne saurait arrêter ou saisir. Mais il reste que la lecture ne semble pas avoir, chez Derrida, de rôle autonome, qu’elle est soumise, sinon à un texte qu’elle répète, du moins à une textualité générale qui l’absorbe et l’inclut d’avance. La lecture ne serait ainsi, pour Derrida, qu’une forme scripturale parmi d’autres : elle se confondrait avec ou dans l’écriture comme archi- écriture, en y perdant sa singularité. En effet, sur une certaine scène de la déconstruction, lire, ce n’est jamais qu’écrire ou réécrire. Ou plutôt et plus précisément, puisque la lecture est largement absorbée ou dissoute dans l’(archi-)écriture, elle s’y indistingue, elle s’y perd comme on se confond dans la foule : 1. « Caught in the Act of Reading » (1986), repris dans Institution and Interpretation, Stanford University Press, 2001. Cf. Wolfgang Iser, L’Acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique (1976), traduction française d’Evelyne Sznycer, Mardaga, 1985. 2. « Reading and Writing chez Derrida » (1983), repris dans Institution and Interpretation, p. 93. © Belin | Téléchargé le 14/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.29.187.164) © Belin | Téléchargé le 14/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 102.29.187.164) 149 « … “lecture et écriture”, quoiqu’inséparables et complémentaires, se voient assi- gner des places bien distinctes dans ce qu’on pourrait appeler le drame tragicomique de la déconstruction (“reading uploads/Litterature/ loose-words-ou-l-x27-archilecture.pdf
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- Publié le Fev 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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