Etudier le Coran à l'Université Rachid Benzine Le Coran est au cœur de la vie d

Etudier le Coran à l'Université Rachid Benzine Le Coran est au cœur de la vie des musulmans. Depuis des décennies, il suscite un intérêt grandissant en dehors des pays d’islam en raison des phénomènes migratoires et de l’installation durable de musulmans dans des sociétés où ils étaient peu présents. Mais aussi du fait de la montée en puissance d'un « islam politique » qui se réclame de l'autorité de « la Parole de Dieu » et s'invite de plus en plus sur la scène internationale, en particulier là où se trouvent les grandes lignes de fracture du monde contemporain. Ainsi a-t-on constaté, dans les sociétés occidentales, depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, un grand désir de mieux connaître le texte coranique. Cependant, il n'est pas aisé, pour un profane, d'entrer en relation avec ce texte. La plupart des publications musulmanes qui s'y rapportent appartiennent au registre de l'apologétique. Elles reprennent sans attitude critique le discours officiel des institutions religieuses sur l'histoire de la compilation du livre saint et sur les interprétations qu'il convient de donner à son contenu. A l’opposé, on trouve toute une littérature relevant du dénigrement ou de la lecture simpliste. Les détracteurs du Coran rejoignant les apologètes dans des lectures littéralistes de versets sélectionnés à dessein pour offrir un semblant de crédibilité à des thèses peu étayées. Certes, des publications savantes, trop rares, existent. Elles s'efforcent d'aborder le Coran, son histoire et son architecture de manière scientifique, mais elles sont généralement dédaignées par les grands médias et les circuits commerciaux, et décriées par les institutions religieuses musulmanes. On peut citer dans cette veine des ouvrages de Theodor Nöldeke, John Wansbrough, Harald Motzki, Alfred-Louis de Prémare, Jacqueline Chaabi et bien d’autres encore. Nécessité d'une approche « non-théologique » du texte coranique En raison de la centralité qu'il a prise dans la vie d'une majorité d'hommes sur notre planète, le Coran doit pouvoir faire l'objet d'approches rigoureuses et ouvertes à la fois, qui ne soient ni apologétiques ni polémiques. Les non-musulmans ont besoin de pouvoir bénéficier « d'introductions » au Coran et à l'histoire de l'islam qui soient en accord avec les connaissances historiques actuellement disponibles. Et qui puissent faire appel à toutes les sciences humaines existantes, de la philologie à la sémiotique, en passant par l'analyse structurale et la psychanalyse. Mais les musulmans, eux aussi, doivent avoir accès, quand ils le souhaitent, à ces approches « non-théologiques » de leur religion et de leur livre saint, qui laissent toute liberté au chercheur authentique de confronter sa foi aux données de la science, sans que des autorités religieuses viennent « court-circuiter » sa quête intellectuelle et spirituelle. Une foi intelligente doit se laisser questionner et le croyant habité par une soif rigoureuse de vérité doit pouvoir explorer sans entrave tous les champs de recherche qui peuvent s'offrir à lui. Ainsi, chacun doit pouvoir examiner le texte du Coran comme si celui-ci n'était pas la « Parole de Dieu ». Si le lecteur pose d’emblée le caractère transcendantal ou commence par travailler cette relation supposée normative du texte, il est presque toujours bloquée par une définition du texte comme norme. Ce n'est pas une lecture du XXIème siècle. La lecture est par définition le geste de la liberté humaine, car la parole est l'indice de l'humanité. C'est le caractère humain de l'humanité. Et le musulman doit, au moins, reconnaître la liberté de cette approche. Dans le monde considérablement sécularisé, « non- théologique », qui est celui des sociétés occidentales, il n'est d’ailleurs pas pensable qu'on puisse forcer quiconque à prendre une position religieuse dans l'examen d'un texte quel qu'il soit. Les musulmans doivent avoir à l’esprit que « suspendre » le moment théologique, renoncer aux positions théologiques lorsqu'il s'agit de s'inscrire dans une démarche académique, ne signifie pas renoncer à la foi et rejeter la signification religieuse du Coran. Il s'agit simplement de prendre une « distance analytique » favorable à de nouvelles ou à de meilleures compréhensions. Dans des sociétés de plus en plus « multi-religieuses », l'étude rigoureuse, méthodique des religions constitue un excellent moyen pour aborder, appréhender le pluralisme et la diversité. Une meilleure connaissance de la religion des uns et des autres peut être un facteur favorable au « vivre ensemble », dès lors qu'elle est le fruit d'une démarche refusant autant les caricatures que les affirmations de foi non soumises au filtre de la réflexion et de la raison critique. Cette approche scientifique du texte coranique doit pouvoir se faire d'abord au sein de l'Université, qui a vocation à favoriser l'étude et l'enseignement de tous les grands phénomènes qui appartiennent à la vie des humains. L'Université, qui constitue un espace public où des thèses différentes doivent pouvoir être discutées sereinement et méthodiquement. Mais que s'agit-il de développer comme enseignement du Coran à l'Université qui ne soit pas de la prédication ? Immense est l'écart entre le discours piétiste qui domine l'espace religieux musulman et les acquis de la recherche académique ! Comment être « audible » par un public musulman qui n'est pas préparé à accueillir des changements de perspectives dans sa relation au Coran et à l'islam ? J'apporterai, ici, prudemment, quelques éléments de réponse, quelques voies possibles. Adopter une approche historico-critique de l'énonciation et de la mise par écrit du Coran Il existe une « histoire officielle » de la formation du « Mushaf » (le recueil du texte coranique), c'est-à-dire du passage du discours énoncé par Muhammad à un « corpus officiel clos » (selon l'expression du Professeur Mohammed Arkoun), le passage d'une récitation en continu à un texte. La tradition musulmane avance depuis des siècles que le message coranique a été mémorisé au fur et à mesure de son énonciation par la bouche de Muhammad ; que des éléments de cette énonciation et de cette mémorisation ont été inscrits progressivement sur différents supports disponibles comme des omoplates de chameaux ; puis qu'une première recension des fragments successifs du discours coranique a été réalisée sous le règne du premier calife Abû Bakr, avant que ne soit définitivement réuni et fixé le « Coran éternel » dans une vulgate canonique, sous l'autorité du troisième calife, ‘Uthmân ibn ‘Affân. De ce récit résulte la conviction que le texte coranique, tel que l'on en dispose aujourd'hui, est totalement fidèle à l'énonciation orale primitive. Cette histoire, par bien des aspects merveilleuse, est cependant partiellement nuancée par des chroniques musulmanes anciennes qui nous apprennent que, jusqu'au Xe siècle, ont circulé des recueils différents du Coran. Elle semble également faire fi de l'évolution de la graphie et de son importance pour la transmission et « l'utilisation » du texte. Les signes diacritiques, permettant de distinguer les voyelles des mots, n'ont été fixés définitivement qu'au Xe siècle. Les historiens actuels sont cependant partagés sur la date de la fixation définitive du corpus coranique que nous connaissons. Si plusieurs (parmi lesquels John Wansbrough) considèrent que celle- ci n'a pas pu s'achever avant le IXe siècle (voire le XIe siècle !), d'autres (John Burton) estiment qu'elle a commencé à être décidée du temps du Prophète ou, au moins, du temps de ‘Uthmân. L'histoire du texte et celle de l'énonciation orale du message coranique ne peuvent pas être scientifiquement abordées d’une manière aussi simple que le voudrait l'orthodoxie religieuse dominante. La tradition musulmane s'appuie sur une science propre à l'islam qui est l'étude des « circonstances de la révélation » (« al-asbâb nuzûl »). Mais cette discipline islamique est apparue trois siècles après l'énonciation des premiers fragments du discours coranique. Elle s'est forgée dans un contexte complètement différent de celui de l'énonciation, par et à destination de musulmans qui n'avaient plus pour cadre de vie la société tribale de la Péninsule arabique et qui évoluaient désormais dans des espaces urbains tels que Damas et Bagdad, ou encore les villes de l'ex-empire Perse. C'est pourquoi les récits qui exposent les circonstances de la révélation, tout comme la biographie pieuse du prophète Muhammad écrite un siècle après sa mort, ne peuvent, pour l'historien contemporain, être approchés que comme des sources secondaires qui appellent une discussion critique. Ces récits nous renseignent moins sur l’histoire de Muhammad ou celle du Coran que sur la manière dont les générations successives ont compris le Coran et son « Prophète ». La tradition musulmane enseigne aussi que le message coranique a été énoncé par Muhammad dans un ordre chronologique qui n'est pas celui qui a été adopté pour la recension écrite du « Coran canonique ». A ceux qui disent, en conséquence, que le Coran dont nous disposons n'est pas celui qu'ont connu Muhammad et les premiers auditeurs du discours énoncé sur plus de vingt années, il est répondu de manière abrupte par les docteurs de la loi que l'ordre retenu pour la fixation écrite du message est celui que Dieu a voulu et que ce Coran là est celui qui avait été déposé secrètement et initialement dans le cœur du Prophète par l'entremise de l'archange Gabriel. En tant que donnée de la foi, cette présentation est uploads/Litterature/ lire-le-coran-a-luniversite.pdf

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