Cours 04/10 et 11/10 L1 S1 Théories du théâtre Les théories du drame de Diderot

Cours 04/10 et 11/10 L1 S1 Théories du théâtre Les théories du drame de Diderot à Hugo Jusque-là, on n’a parlé que de tragédie, et un tout petit peu de comédie. Il est temps peut-être de se demander si le théâtre ne peut excéder ces genres bien circonscrits… C’est précisément la question qui va émerger naturellement à la fin du Grand Siècle, et qui va mener aux théories du drame, drame bourgeois avec Diderot et le siècle des Lumières, drame romantique avec le XIXème et le romantisme. C’est de ce renouveau-là que nous vient directement ce qu’on appelle le théâtre contemporain. C’est à ce moment que des remises en cause majeures vont faire apparaître des potentialités inexplorées. I Le siècle des Lumières 1) Qu’est-ce que les Lumières ? Lumières : mouvement européen, appelé Aufklärung en Allemagne. Ce n’est pas un courant philosophique, littéraire ou artistique, au sens strict du terme, c’est plutôt comme un vent nouveau qui souffle sur les esprits nouvellement « éclairés » (Aufklärung = « éclaircissement » ) d’Europe. Grâce à la raison, l’homme est en marche vers le progrès, voilà l’idée dominante. Nous sommes à bien des titres des héritiers directs des Lumières. Qu’est-ce que les Lumières ? Titre d’un texte de Kant de 1784, qui fait le point sur ce nouvel état d’esprit. L’œuvre complète de Kant est dans la parfaite mouvance des Lumières, qu’elle synthétise et approfondit à partir de l’élan qu’elles ont lancé. « Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa Minorité, dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui (…) Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières. » L’idée est de réfléchir par soi-même, grâce à sa raison, loin des dogmes établis. Les Lumières développent une méfiance vis-à-vis des dogmes et des arguments d’autorité de tout ordre, notamment religieux. (Attention : cela ne veut pas dire pour autant qu’on renie l’idée de Dieu) Dans tous les domaines, il y a une mise à distance de la tradition, au profit de l’examen critique. Dans cet esprit de libre examen du savoir accumulé, Diderot et d’Alembert montent l’Encyclopédie, grande entreprise qui s’étale sur plusieurs années de 1751 à 1772. Titre complet : L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Le titre est parlant, il s’agit de recenser les savoirs de l’humanité, mais non dans l’esprit de neutralité d’une encyclopédie d’aujourd’hui, mais de les soumettre à l’examen de la raison. Grand essor de la pensée, dans tous les domaines : scientifique, éthique, politique, esthétique. Scientifique : Début de la science dite moderne, fondée sur les faits et non sur les hypothèses. On s’attache davantage aux phénomènes qu’aux principes métaphysiques, on mène des expérimentations rationnelles. 1727 : Mort de Newton, qui invente la théorie de la gravitation. Siècle empiriste, surtout du côté anglais : on cherche à partir des faits, et non des hypothèses et des spéculations sans preuves. Le maître-mot est observation, observation du réel. Kant, Critique de la raison pure (1781) : « Que puis-je savoir ? » Politique : Réflexions sur la notion d’Etat, et sur le droit. (Rousseau, Contrat social) L’idée de liberté devient centrale, devient un enjeu majeur de l’art de savoir diriger un Etat. Se trouvent ici en germe les idées à la base de la Déclaration des Droits de l’Homme. XVIIIème siècle : la Cours 04/10 et 11/10 L1 S1 Théories du théâtre société est en train de changer, ce qui aboutira à la Révolution Française à la fin du siècle. Les bourgeois (c’est-à-dire les habitants des villes qui ne sont pas nobles) ont de plus en plus de pouvoir, ils aspirent de plus en plus à une reconnaissance politique, et à la lutte contre les privilèges. Ethique : Les voyages à travers le monde (Bougainville), l’intérêt porté aux cultures étrangères, sont un moyen de faire reconnaître la relativité des mœurs particulières du lieu où l’on vit (Montesquieu, Lettres Persanes). On essaye de réfléchir sur le rapport entre nature et culture. Fondamentalement, l’homme « Est-il bon ? Est-il méchant ? » (titre d’une pièce de Diderot). On croit en la perfectibilité de l’homme, dans le domaine éthique, par l’exercice de la raison. Kant, la Critique de la raison pratique ( 1788) : « Que dois-je faire ? » Le terme « esthétique » est inventé au milieu du siècle, par le philosophe allemand Baumgarten. L’idée d’un Beau absolu, avec ses règles et ses canons, est remise en cause justement par l’étude de la faculté esthétique, la « faculté de juger » - le goût. Kant, la Critique de la faculté de juger (1790) : Etude sur le goût. Grands noms des Lumières : Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, D’Alembert, Hume, Kant… 2) Le déclin de la tragédie Le théâtre est en crise : la tragédie est passée de mode, même si le public continue à fréquenter la Comédie-Française. La mort de Louis XIV, grand protecteur du genre, y est bien sûr pour quelque chose. Les figures de Corneille et Racine sont aussi des modèles effrayants : leurs successeurs ne parviennent au mieux qu’à passer pour d’habiles imitateurs. Les critiques auxquelles doit faire face la tragédie sont multiples. D’abord, on trouve les sujets dépassés. Beaumarchais (Essai sur le genre dramatique sérieux, 1767) : « Que me font à moi, sujet paisible d’un Etat monarchique du XVIIIème siècle, les révolutions d’Athènes et de Rome ? Quel intérêt puis-je prendre à la mort d’un tyran du Péloponnèse ? Au sacrifice d’une jeune princesse en Aulide ? » On désire des sujets plus proches des préoccupations quotidiennes des gens. On reproche également à la tragédie de n’être que discours, et de ce fait d’être assez ennuyeuse. Les coups de théâtre, les évènements frappants se passent toujours dans les coulisses, et ne sont sur scène que racontés. C’est un des griefs des Modernes, dans la querelle des Anciens et des Modernes, que nous venons d’évoquer. Diderot (nous reviendrons sur ses idées…) révèle à travers son premier roman, Les bijoux indiscrets (1748), qu’il s’ennuie souvent au théâtre. Un des personnages du roman reproche aux tragédies françaises « l’emphase, l’esprit et le papillotage », l’artifice et les conventions de jeu. « Tout le monde se met à pleurer ; et moi, je ris comme une folle ». Et enfin, dans ce siècle qui se passionne pour les questions de morale (on va l’examiner tout à l’heure), la tragédie semble pour le moins immorale : elle montre le jeu des passions, raconte des crimes atroces… La notion de catharsis, qui justifiait pour les Classiques cette monstration, ne trouve plus grâce aux yeux des critiques du XVIIIème siècle, et surtout de l’Eglise, qui a durci sa position vis-à-vis du théâtre suite à la publication par Bossuet de sa Lettre au père Caffaro (1694). Le père Caffaro avait eu le malheur de dire qu’il ne trouvait pas le théâtre mauvais pour l’âme, qu’il le trouvait même propice au délassement de l’esprit. Cours 04/10 et 11/10 L1 S1 Théories du théâtre Bossuet (homme d’Eglise également) s’insurge contre cette position laxiste, et juge que le théâtre est un lieu de perdition... De même, en 1714, Fénelon exige dans sa Lettre à l’Académie que les passions ne soient plus le moteur principal de l’action dans les tragédies. Le goût du jour est plutôt à l’admiration de la vertu. (Au passage, il y a eu des prémices de ce retournement, Corneille dans ses Trois Discours, estime qu’il faut mettre, au même titre que la pitié et la crainte, l’admiration de la vertu au rang des émotions à susciter chez le spectateur.) Qui plus est, la notion de « fatalité », qui est un des ressorts de la tragédie (on l’a vu déjà avec la tragédie humaniste), enlève aux héros tout réel pouvoir décisionnaire sur les actes entrepris, et de là, leur ôte d’une certaine façon une part de culpabilité dans leurs crimes. Et quoi de plus immoral qu’un criminel que la notion de destin innocente ? 3) Les Lumières et le théâtre Lumières : période d’examen critique de l’ensemble des savoirs et des pratiques. Le théâtre ne fait pas exception. Il est cependant difficile de réunir les grands penseurs du siècle sous un seul étendard, tant les positions concernant l’art de la scène divergent. On peut toutefois faire quelques constatations générales : déjà, on peut noter que le théâtre est un sujet de discussion assez incontournable, et qu’il fait débat dans les salons. Globalement, on se divise entre partisans du théâtre, et détracteurs. Les détracteurs sont plutôt les gens d’Eglise et plus largement les dévots. Rappelons que l’Eglise, qui a toujours plus ou moins sévèrement condamné les spectacles, reprend le flambeau à cette période (on l’a vu avec Bossuet). On réclame sinon la disparition de la tragédie (impossible, tant le goût pour le théâtre est prononcé), du moins sa réformation, afin qu’il fasse moins de place aux passions, amoureuses entre autres. On peut compter au uploads/Litterature/ les-theories-de-diderot-a-hugo.pdf

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