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Texte 9 (figurant sur la liste parmi les textes susceptibles d'être donnés pour la question) Séquence 5 : Dire l'enfance Parcours 1 : Récit et connaissance de soi Petit rappel théorique : Narrateur : Celui qui dit "Je" dans le récit Auteur : Celui qui a écrit l'oeuvre. Les deux peuvent être différents (récit fictif) ou confondus (autobiographie). Mais on ne peut jamais être totalement certain que ce que raconte le narrateur soit vraiment arrivé à l'auteur. C'est pour cette raison que l'autobiographie n'est vraie ou sincère que dans une cartaine mesure. La peur : Fin du premier tiers de l'ouvrage Nathalie Sarraute, née Natalia Ilinitchna Tcherniak en 1900, fait le récit de ses souvenirs d’enfance. En quête de la plus grande sincérité, elle adopte une forme originale, celle d’un dialogue qu’elle instaure avec elle-même. Elle y raconte ses origines russes, sa vie avec ses parents. Leur séparation l’amène à vivre avec l’un ou l’autre, en Russie et à Paris. Elle évoque le sentiment de la peur qui la saisit, une fois couchée, et l’empêche de s’endormir. Il s’agit d’un épisode isolé, sans précision d’âge. Elle vit alors avec sa mère, son beau-père et « une bonne qui s’occupe d’[elle] ». J’ai beau me recroqueviller, me rouler en boule, me dissimuler tout entière sous mes couvertures, la peur, une peur comme je ne me rappelle pas en avoir connue depuis, se glisse vers moi, s’infiltre… C’est de là qu’elle vient… je n’ai pas besoin de regarder, je sens qu’elle est là partout… elle donne à cette lumière sa teinte verdâtre… c’est elle, cette allée d’arbres pointus, rigides et sombres, aux troncs livides… elle est cette procession de fantômes revêtus de longues robes blanches qui s’avancent en file lugubre vers des dalles grises… elle vacille dans les flammes des grands cierges blafards qu’ils portent… elle s’épand tout autour, emplit ma chambre… Je voudrais m’échapper, mais je n’ai pas le courage de traverser l’espace imprégné d’elle, qui sépare mon lit de la porte. Je parviens enfin à sortir ma tête un instant pour appeler… On vient… « Qu’y a-t-il encore ? – On a oublié de recouvrir le tableau. – C’est pourtant vrai… Quel enfant fou… On prend n’importe quoi, une serviette de toilette, un vêtement, et on l’accroche le long de la partie supérieure du cadre… Voilà, on ne voit plus rien… Tu n’as plus peur ? – Non, c’est fini. » Je peux m’étendre de tout mon long dans mon lit, poser ma tête sur l’oreiller, me détendre… Je peux regarder le mur à gauche de la fenêtre… la peur a disparu. Une grande personne avec l’air désinvolte, insouciant, le regard impassible des prestidigitateurs l’a escamotée en un tour de main. Nathalie SARRAUTE Enfance Problématique : Nous montrerons comment la narratrice évoque pour le lecteur une peur enfantine. Axe 1 : L'intensité du sentiment de peur 1) L'évocation poignante du souvenir a) Emploi du temps du présent : un présent qui semble être celui de l'énonciation ; en réalité un présent de narration qui relate un fait au passé pour le rendre plus intense. b) Accumulation de verbes à l'infinitif : "me recroqueviller", "me rouler en boule", "me dissimuler toute entière”: la narratrice utilise la métaphore de la souris pour mieux caractériser la peur qu'elle éprouvait enfant. c) Annonce en crescendo de la peur : le nom "peur" est répété deux fois : "la peur, une peur comme je ne me rappelle pas en avoir connue depuis...". Ce crescendo est marqué par les virgules, les points de suspension, les verbes de mouvement synonymes du verbe "venir " ("elle vient") : "se glisse vers moi, s'infiltre..." La peur est assimilée métaphoriquement à un animal rampant, un serpent. Cette métaphore renforce sa venue progressive. Bilan : Cette peur, éprouvée par la narratrice quand elle était enfant, s'immisce également chez le lecteur. 2) L'évocation de l'indicible a) Dédoublement de la voix narrative : La narratrice se revoit éprouvant cette peur enfantine et elle semble ne pas parvenir à la mettre à distance au début du texte : "une peur comme je me rappelle pas en avoir connue depuis". La négation exprime l'intensité incomparable de cette peur. La narratrice parle au nom de l'enfant, elle réactualise le souvenir par ces tournures d'intensité exprimées au temps du présent. b) Une peur à la provenance intime : Cette peur est intérieure ("C'est de là qu'elle vient"). L'adverbe "là" évoque un lieu indéfini en même temps qu'il évoque un lieu mystérieux, profond, échappant au regard commun : l'intériorité de la narratrice qui est aussi l'intériorité de chacun de nous. c) Une peur qui étreint tout l'être : La narratrice décrit une perception globale, qui dépasse le simple sens de la vue : "Je n'ai pas besoin de regarder, je sens qu'elle est là, partout..."Les adverbes "là", "partout" montrent le caractère obsédant de la peur, qui imprègne tous les sens de l'enfant. Bilan : Le rythme saccadé des phrases, marqué par des propositions juxtaposées, crée un effet d'essoufflement (la narratrice semble paradoxalement vouloir fuir cette peur alors qu'elle est couchée) et tient le lecteur en halaine. 3) Une peur propre au récit fantastique a) Une peur qui métamorphose le décor : La peur semble être une magicienne qui transforme, par une mise en scène spécifique, la chambre de l'enfant existant encore dans l'esprit de la narratrice. On le voit par des verbes appartenant au champ lexical du changement : "Elle donne à", "elle vacille", "elle s'épand", "elle emplit". Ces verbes évoquent la métaphore d'une eau qui déborde et dont le reflet laisse apparaître une vision déformée du réel. b) Cette métamorphose est surtout visuelle : On peut le voir par le champ lexical du clair-obscur ; la lumière prend "une teinte verdâtre" (le suffixe "âtre" rend le vert de cette lumière péjoratif ; c'est comme le vert d'une eau sale, croupie, marécageuse qui est décrit ici). Les arbres sont "sombres", les troncs "livides", les dalles "grises". La blancheur, elle, est déclinée avec la blancheur des"longues robes" (qui pourraient faire penser à des robes de communiants en cortège), assimilée ensuite à une apparition de "fantômes" en procession "lugubre". La peur est représentée par l'allégorie du spectre. Il s'agit d'une lumière pâle, affaiblie : "Les flammes des grands cierges blafards" reprennent la vision fantomatique. c) La peur est assimilée au décor lui-même : La peur a tellement métamorphosé le décor, dans l'esprit de la narratrice, qu'elle s'assimile à ce décor. Elle se confond directement avec ce qui la cause : on le voit avec la répétition du verbe "être". "C'est elle, cette allée" ; "elle est cette procession". L'emploi du déictique (terme désignant un objet référent dans la situation d'énonciation) et déterminant démonstratif "cette" montre que le décor effrayant est toujours présent dans la mémoire de la narratrice, bien des années après. Ce verbe "être" est ensuite repris et décliné avec l'adjectif à valeur de participe passé "imprégné" ("l'espace imprégné d'elle"). La peur envahit encore, métaphoriquement, l'espace intérieur de la narratrice, son psychisme. La conséquence est que la narratrice est prisonnière, qu'elle ne peut se libérer de ce sentiment qui l'habite comme il habitait sa chambre quand elle était enfant ("Je voudrais m'échapper, mais je n'ai pas le courage de traverser l'espace imprégné d'elle"). La narratrice est figée dans l'état d'enfance. Elle ne peut traverser cet espace effrayant qui la sépare de la femme qu'elle est aujourd'hui ; elle ne peut revenir à l'état d'adulte. Bilan : Une telle évocation montre qu'il s'agit d'une peur encore actuelle dans la mémoire de la narratrice/auteure (le pronom personnel "je" employé réunit ici les deux). Cette peur est représentée de manière picturale (tableau) qui maintient également le lecteur dans une vision fantastique, propre à lui rappeler ses propres peurs d'enfant (phobies de fantômes en particulier). Le lecteur croit en cette métamorphose du décor opérée par la narratrice grâce au récit de son souvenir. Axe 2 : La démystification du sentiment de peur Démystification : démystification (opération par laquelle une illusion, une tromperie, un tour de magie sont dévoilés) 1) Un mouvement de libération a) Le deuxième paragraphe montre un basculement : Le sentiment d'emprisonnement de la narratrice trouve une issue marquée par l'adverbe "enfin" et le verbe "parvenir". On retrouve la métaphore de la souris qui sort de sa cachette : "Je parviens enfin à sortir ma tête pour appeler..." L'appel sonne comme une délivrance. "On vient..." Que désigne ce pronom indéfini "on" ? Un adulte, un membre de la famille, la bonne... Ce pronom désigne symboliquement le gardien qui va libérer la prisonnière de son enfermement, ici psychologique. b) Le dialogue relaté permet à la narratrice de s'ancrer à nouveau dans le réel : Ce dialogue démystifie le maléfice qui se révèle, bien plus qu'une supercherie, un simple oubli : "On a oublié de recouvrir le tableau..." La briéveté des répliques et l'enchaînement vif du dialogue - entre la narratrice redevenue enfant au moment où elle raconte et l'adulte - réactualise cette scène passée, en montre la précision et l'intensité comme si uploads/Litterature/ lecture-analytique-texte-9-d-x27-enfance-de-nathalie-sarraute.pdf

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