n° 156 > juin 2015 > 41 L’école de demain : entre MOOC et classe inversée L’ent
n° 156 > juin 2015 > 41 L’école de demain : entre MOOC et classe inversée L’entrée de l’école dans l’ère du numérique soulève de nombreuses interrogations sur l’évolution des pratiques éducatives. De nouvelles formes de pédagogies actives s’appuient ainsi sur les MOOC et les dispositifs de classe inversée. Qu’est-ce qui les distingue ? Que faut-il réellement en attendre ? Auteur Marcel Lebrun Institut de pédagogie universitaire et des multimédias, université catholique de Louvain, Belgique Si un concours était mis en place internationalement pour identifier les slogans les plus cou- ramment cités dans le monde de la pédagogie, ceux concernant les MOOC et les flipped classrooms arriveraient certainement dans le peloton de tête. Les MOOC, ce sont les « Massive open online courses », traduits plus récem- ment en français par « Cours en ligne offerts aux masses » ou « Cours en ligne ouvert et massif » (CLOM) ou encore « Formation en ligne ouverte à tous » (FLOT). Les flipped classrooms, en français « les classes inversées », sont venues, pour leur part, compléter l’ar- senal des stratégies pédagogiques des enseignants de l’école fondamentale à l’enseignement supérieur en passant par l’enseignement secondaire. Ces deux révolutions sont, dans un premier examen, jugées complémentaires, l’une (les MOOC) étant portée par le mou- vement d’externalisation des savoirs sur Internet, l’autre (les classes inver- sées) tentant de redonner du sens à une école dans laquelle la mission de transmission des savoirs semble déjà largement accomplie sur le Web. Dans les deux cas, on remarquera une pré- sence forte des Technologies de l’infor- mation et de la communication (TIC), à la fois pour soutenir la transmission des savoirs à distance, pour favoriser les relations entre activités présen- tielles ou distancielles ou encore pour structurer les interactivités en classe. Dans cet article, nous passe- rons tout d’abord en revue ces deux concepts en tentant de les inscrire dans leurs histoires entrelacées et en montrant encore une fois combien ces innovations techno-pédagogiques peuvent tout à la fois conduire à une émancipation pédagogique (innova- tions propulsées par les pionniers) ou à une fossilisation des pratiques (une fois récupérées dans les structures de l’éducation). Cette analyse per- mettra une mise en perspective de ces innovations – à la fois concepts, pratiques et outils – afin de dégager des tendances pour l’école de demain. 42 La révolution numérique > économie & management De qui se MOOC-t-on ? Le titre de cette rubrique est celui d’un article écrit1 il y a quelques années pour le journal belge La Libre à propos de la nécessité d’élaborer des dispositifs pédagogiques (un environ- nement humain) autour des ressources pour favoriser les apprentissages. Depuis 2008, un nouvel avatar des TIC dans l’environnement édu- catif a vu le jour : les MOOC. Tout a commencé, il y a cinq ou six ans, avec des vidéos de cours magistraux (dans tous les sens du mot) postées par Berkeley (Univer- sity of California à Berkeley) sur YouTube ou par le MIT (Massachusetts Institute of Techno logy) sur iTunes-U. On se doit de citer aussi Wikipédia ou encore la Khan Academy dans le cadre de ces res- sources dites « pour apprendre » lar- gement distribuées. Revenons aux MOOC : dès 2011, de prestigieuses universités s’associent en consortiums tels edX ou Coursera, pour proposer des parcours pédagogiques en ligne alternant séquences vidéo, exercices et parfois activités collaboratives… Dans ce cadre, on pourrait citer éga- lement FUN (France université numé- rique), une plateforme pour accueillir les MOOC, bâtie sous l’égide de l’Édu- cation nationale. Certaines de ces associations pro- posent des certificats de participation et d’assiduité. Est-il besoin de rappeler ce que sont aujourd’hui ces Massive open online courses ? Vous avez suivi des cours en amphi ? Vous avez réa- lisé des exercices en salle de TP ? Vous avez échangé sur une thématique lors d’un séminaire ? Ce cœur de métier des universités et hautes écoles est ainsi là, sur la toile, accessible via Internet 1 > M. Lebrun, « De qui se MOOC-t-on ? », La Libre, 25 mars 2013. En ligne : bit.ly/La-Libre- MOOC. (évidemment, il faut être connecté), gratuit (on ne paie pas pour y entrer mais la certification, c’est ou ce sera autre chose) et ouvert à des milliers d’étudiants de par le monde (pas de prérequis, enfin on dit ça). Avant de continuer notre analyse, il est bon de comprendre qu’il y a MOOC et MOOC ! L’enseignement lui- même a toujours été balancé entre des tendances relativement caricaturales que nous qualifierions de « transmis- sives » (transmettre le savoir, déjà là, certains diront le « savoir cristallisé ») et d’autres, un peu plus idéalistes, davantage orientées vers la construc- tion par l’apprenant lui-même et le partage de ses connaissances et com- pétences (ce qui est, malgré tout, une évidence, on ne peut apprendre à la place de quelqu’un d’autre). On parle même d’un accompagnement par la communauté elle-même pour la construction de compétences ou de savoirs davantage fluides. On passe ainsi, dans un éternel balancement, du « Sage on the stage » (le maître sur l’estrade) au « Guide on the side » (le guide, le facilitateur, l’accompagna- teur d’apprentissage). On peut aussi y voir une belle complémentarité, mais également une position somme toute difficile à tenir, chacun demandant à celui qui sait, de se prononcer. Nombre d’enseignants évoquent le risque de se voir dépouiller de leur statut d’expert. Les MOOC n’échappent pas à cette catégorisation rudimentaire qui présente le risque de cacher le continuum ou la variété des appli- cations : différents auteurs en pré- sentent d’ailleurs une typologie détaillée2. Les MOOC sont nés dans le courant connectiviste de George Siemens3 (2004) privilégiant le carac- 2 > Par exemple : M. Rosselle, P.-A. Caron et J. Heutte, « A Typology and Dimensions of a Description Framework for MOOCs » European MOOCs Stakeholders Summit 2014, eMOOCs 2014, Lausanne. En ligne : hal.archives-ouvertes.fr/hal-00957025/ document. 3 > G. Siemens, « Connectivism: A Learning Theory for the Digital Age », 2004. En ligne : elearnspace.org/Articles/connectivism.htm. tère contextuellement, socialement et historiquement construit des savoirs. On y trouve des considérations liées aux savoirs informels, à l’apprentis- sage toute au long de la vie ou encore au fait que les « machines » peuvent déjà nous remplacer dans pas mal d’activités somme toute routinières. En conséquence, on pourrait consi- dérer que les MOOC sont nés dans le courant davantage constructiviste, socio-constructiviste et connectiviste de l’apprentissage et qu’ils prônent l’édification d’une intelligence collec- tive (communauté d’apprentissage et de pratiques) soutenue à large échelle par le numérique. Mais, l’appellation « MOOC » a été reprise (usurpée ?) un peu plus tard par des systèmes forte- ment automatisés, appartenant à un courant davantage transmissif voire behavioriste (des cours filmés, des exercices en ligne, etc.). Même si des MOOC hybrides existent, les premiers historiquement connectivistes sont appelés « cMOOC », les seconds, plu- tôt transmissifs, « xMOOC ». Ce sont ces derniers qui sont portés actuel- lement par des consortiums d’uni- versités prestigieuses principalement nord-américaines : edX, Coursera, Udacity. Outre l’expérience française que nous avons citée, en Europe, des universités s’affilient à ces consor- tiums. Par exemple, l’UCL (Université catholique de Louvain) a rejoint edX sous l’appellation « LouvainX4 » ; ses premiers xMOOC sont disponibles depuis janvier 2014 dans les domaines de la science politique, les principes de la finance, les paradigmes de la programmation, etc. Les cMOOC, par contre, relèvent davantage de l’in- formel et sont généralement le fait d’individus ou d’équipes soucieux de créer des espaces pour apprendre, pour interapprendre. Former, ce n’est pas seulement transmettre des savoirs, c’est surtout construire des espaces où les apprenants pourront apprendre. À titre d’exemple, on mentionnera le 4 > Pour consulter ou pour s’y inscrire : edx. org/school/louvainx. Les MOOC prônent l’édification d’une intelligence collective > L’école de demain : entre MOOC et classe inversée n° 156 > juin 2015 > 43 MOOC ITyPA (Internet, tout y est pour apprendre) ou encore eLearn2 (Se for- mer en ligne pour former en ligne)… tout un programme. Comme à chaque « nouvelle » technologie, les commentaires s’op- posent entre « le côté clair et le côté obscur de la force ». S’agit-il de savoirs en boîte (du fastlearning), promus par les Super Campus, d’une éducation devenue mondiale et dont les MOOC seraient les vitrines ? D’un soubre- saut médiatisé d’un enseignement ex cathedra, hérité d’une époque où la lecture était la seule voie de la trans- mission ? De la préparation en douce d’un guet-apens économique qui sur- viendra lorsque les modèles financiers seront révélés aux naïfs séduits par la gratuité toute temporaire de ces opé- rations pseudo-philanthropiques ? Ou alors, plus positivement, dans la lignée de l’intelligence collective, des communautés d’apprentissage et de pratiques, s’agirait-il d’une occasion historique de construire ensemble un nouvel humanisme numérique dont les apprenants (nous tous) seraient les apprentis ? Une occasion de res- taurer l’humain, ses contextes et ses cultures, au sein des savoirs normali- sés de la science universelle (on n’est pas loin de l’opposition uploads/Litterature/ lecole-de-demain-entre-mooc-et-classe-inversee.pdf
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- Publié le Jan 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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