Revue en ligne de sciences humaines et sociales © 2014 – http://www.ethnographi

Revue en ligne de sciences humaines et sociales © 2014 – http://www.ethnographiques.org – ISSN 1961-9162 ethnographiques.org est une revue publiée uniquement en ligne. Les versions pdf ne sont pas toujours en mesure d’intégrer l’ensemble des documents multimédias associés aux articles. Elles ne sauraient donc se substituer aux articles en ligne qui, eux seuls, constituent les versions intégrales et authentiques des articles publiés par la revue. Eric de Dampierre, Margaret Buckner Le jeu nzakara de la guerre Pour citer cet article : Eric de Dampierre, Margaret Buckner, 2014. « Le jeu nzakara de la guerre ». ethnographiques.org, No 29 ethnologie et mathématiques [en ligne]. (http://www.ethnographiques.org/2014/Dampierre,Buckner - consulté le 15.01.2015) 2 ethnographiques.org, numéro 29, décembre 2014 version pdf, page Introduction à l’article d’Éric de Dampierre, « Le jeu nzakara de la guerre » par Margaret Buckner Éric de Dampierre est né le 4 juillet 1928 d’une mère belge et d’un père français. Il devient bachelier en philosophie à 16 ans, licencié ès lettres à 18 ans, licencié en droit à 19 ans, puis diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris à 20 ans. Dès 1949, il travaille comme administrateur à l’UNESCO, et y reste attaché même après le début de ses recherches en Afrique. En 1950, il part pour deux ans aux États- Unis en tant que Exchange Fellow à l’Université de Chicago où il est membre du Committee on Social Thought. De retour en France, il est nommé chargé de recherche au CNRS et devient membre du Centre d’études sociologiques à Paris où il travaille sous la direction de Raymond Aron. En 1960, il est nommé Sous- directeur titulaire à l’EPHE (VIe section). En 1966, il prend un poste à l’Université de Paris X-Nanterre, où il enseigne jusqu’en 1993. En 1967, il y fonde le département d’ethnologie et le Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative qui devient laboratoire du CNRS en 1968 (aujourd’hui UMR 7186). Il soutient sa thèse d’État en 1968, ayant publié en 1967 Un ancien royaume Bandia du Haut-Oubangui (thèse principale) et en 1963 Poètes nzakara (thèse complémentaire). Il est nommé professeur titulaire par l’Université de Paris X en 1975, puis en 1990 professeur de classe exceptionnelle. Pendant sa carrière, il participe à une trentaine de jurys de thèse d’État ou d’habilitation, dont treize réalisées sous sa direction, et il dirige 27 thèses de troisième cycle ou de régime 1984. En même temps qu’enseignant et chercheur, il est éditeur. En 1952, il crée la série Recherches en sciences humaines chez Plon. En 1960, il fonde, en collaboration avec Raymond Aron, la revue des Archives européennes de sociologie. La même année, Plon accueille sa série Recherches en sciences humaines où il dirige la publication de trente-trois ouvrages, dont les premières traductions françaises de Max Weber et Leo Strauss. En 1961, il est co-fondateur (avec Michel Leiris, Gilbert Rouget et Claude Tardits) de l’Association des Classiques africains, qui publie la collection Classiques africains. En 1986, il fonde la Société d’ethnologie, maison d’édition qui gère également la Bourse Fleischmann. Il est décédé le 9 mars 1998. Éric de Dampierre arriva dans l’Oubangui-Chari (l’actuelle République centrafricaine) en septembre 1954, envoyé par l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer) pour enquêter sur un soi-disant suicide collectif chez les Nzakara [1], une ethnie d’à peu près 150.000 personnes habitant la préfecture Mbomou. Ce terrain marquera le début de la Mission sociologique du Haut-Oubangui (MSHO) qui existera pendant une quarantaine d’années. Intéressé par l’histoire, la linguistique, la musique, toute la tradition nzakara, Dampierre remplit des carnets de notes détaillées sur des sujets très variés ; équipé d’un magnétophone, il enregistre des heures de musiques, d’histoires et de récits. Les archives de la MSHO, y compris les carnets de terrain, les bandes magnétiques, des photos, et des fichiers de tout genre, se trouvent de nos jours au bureau de la MSHO, qui s’est intégrée au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, à la Maison René Ginouvès de l’Archéologie et de l’Ethnologie, sur le campus de l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense. 3 ethnographiques.org, numéro 29, décembre 2014 version pdf, page Parmi les documents de la MSHO se trouvent trente-huit « Notes de Recherche » (NdR). Ces NdR, de deux à seize pages chacune, rassemblent tout ce que Dampierre pouvait dire sur un sujet, avec notes de bas de page et références bibliographiques. Elles sont les fruits d’investigations approfondies et de réflexions considérables, et beaucoup sont de qualité publiable. De fait, une demi-douzaine ont déjà été publiées [2]. La toute première, rédigée en 1974, s’intitule « Le jeu nzakara de la guerre » ; elle suit de près les notes écrites à la main dans un carnet de terrain (carnet 54, "Vocabulaire", pp. 63-81). Dampierre montre que ce jeu, quoique apparemment purement ludique, expose la stratégie et les tactiques de guerre des Nzakara et des Zandé (une ethnie voisine apparentée). Les deux joueurs, comme deux armées, commencent, dans une égalité absolue, à jouer en même temps et en parallèle, chacun de son côté. La victoire est à celui qui capture tous les hommes de l’autre. Comme à la guerre, il faut profiter du déséquilibre de la force adverse pour capturer le plus d’hommes ennemis possible (qui sont alors incorporés dans sa propre armée) mais sans exposer ses propres hommes. Les Zandé, comme maintes autres sociétés africaines, connaissent aussi ce jeu, l’appellant kisoro. [3] Mais la photo du jeu prise en pays zandé (à Obo) révèle des rangs de 10 cupules, tandis que, selon la NdR, il n’y en a que 8 chez les Nzakara (à moins que le nombre de cupules soit un choix personnel). Il est intéressant de remarquer que les Nzakara, qui partagent avec les Zandé un très grand nombre de mots de vocabulaire, ne désignent pas le jeu par le même nom. Au lieu d’un nom propre et unique (et probablement emprunté), les Nzakara se servent d’un nom commun pour désigner le jeu : á-ngúnl£, « les graines, les remèdes », pluriel de ngúnl£, « bois, remède, médecine ». Ce n’est ni un nom propre, ni un terme emprunté, mais une adaptation proprement nzakara. Remarquons que le mot bàsò apparaît deux fois dans la Note, une première fois pour « guerre », puis, dans la liste de vocabulaire, en tant que « sagaie ». En zandé, en revanche, c’est le mot vura, « bouclier », qui prend le sens de « guerre ». Autrement dit, les deux langues partagent les mêmes mots : bàsò, « sagaie », et vura, « bouclier », mais tandis que les Nzakara désignent la guerre par la sagaie, les Zandé la désignent quant à eux par le bouclier. Se pourrait-il que cette différence lexicale reflète deux manières opposées d’envisager la guerre, la première offensive, la deuxième défensive ? Il serait intéressant de voir si, dans ces deux sociétés sœurs, les joueurs de ce « jeu de la guerre » opèrent selon des stratégies distinctes. 4 ethnographiques.org, numéro 29, décembre 2014 version pdf, page Une partie de kisoro à Obo (République Centrafricaine) en 1984. (photographie de Margaret Buckner). Le carnet 54 5 ethnographiques.org, numéro 29, décembre 2014 version pdf, page La note dactylographiée MSHO n°1 6 ethnographiques.org, numéro 29, décembre 2014 version pdf, page Le jeu nzakara de la guerre par Éric de Dampierre Comme tant d’autres sociétés africaines, les Nzakara jouent au Kissoro [4]. Mais, contrairement à beaucoup [5], ils donnent aux mouvements du jeu une interprétation qui invoque, symboliquement et matériellement, la stratégie et la tactique des armées zandé et nzakara. Celles-ci ont été décrites par E.E. Evans- Pritchard, dans deux articles [6] que l’amateur du monde zandé lira aisément en filigrane. Le jeu, appelé par les Nzakara á-ngúnl£ est un jeu agonistique à deux partenaires qui consiste à faire cheminer ses troupes pour s’emparer de celles de l’adversaire. C’est, à proprement parler, la guerre (básò). 1. Dispositif [Carnet 54, 63-81] Une surface de bois (á-ngúnl£, les bois) creusée de 32 cupules (dù, trou artificiel), disposées en quatre rangs de 8, réparties deux à deux en aires de parcours, territoires qui, significativement, ne sont jamais conquis par la force adverse. La surface de bois est alors garnie de graines, généralement de ng∫kû (Paramacrolobium cœruleum [Taub.] J. Léonard - Césalpiniacées) ou à la rigueur de s∫kpâ (Afzelia africana Smith), à raison de deux graines par cupule. Ces pions (à-nî, les gens) sont donc au nombre de 64, répartis en deux armées adverses de 32 et apostés par forces de 2. Le jeu consiste à faire cheminer les deux troupes de case en case, en prenant en main le contenu d’une cupule et en distribuant le contenu, graine à graine, dans chacune des cupules se trouvant à droite de la cupule de départ, sauf dans l’avant- dernière. Cette dernière prescription ne s’applique pas en cas de prise. Le dernier « homme » qui tombe dans une cupule de front (A) commandant une colonne (A’—B’) de deux cupules adverses garnies, en prend (li, manger) tout son contenu et permet ainsi à son joueur de cheminer de nouveau. 7 uploads/Litterature/ le-jeu-nzakara.pdf

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