Le Hadith aux abois  10 août 2018  Par Hocine kerzazi  Blog : Le blog de Hoc

Le Hadith aux abois  10 août 2018  Par Hocine kerzazi  Blog : Le blog de Hocine kerzazi Le hadith est un marqueur emblématique d'une surréalité historiographique musulmane. Les investigations historico-critiques ne laissent plus guère de doute sur l’authenticité de ces récits prophétiques, même si peu de musulmans ont encore sacrifié à cette conviction. Dans une précédente synthèse, à partir d’une focale historico-critique et affranchis du carcan doctrinal de la tradition musulmane, nous nous entretenions des premiers temps de l’islam en tant que phénomène apparu dans l’histoire réelle de l’humanité. On y rendait compte, sur la base de données académiques solidement établies, que le véritable contexte d’apparition de cette religion était bien étranger à ce qu’en rapporte la Tradition musulmane elle-même. La moindre des conclusions - bâties sous l’autorité des études islamologiques les plus reconnues - est qu’elle est la somme de transformations caractérisées. Dans le propos qui nous occupe ici, et sans disserter des diverses stratégies par lesquelles les califes musulmans ont façonné leur histoire à travers les siècles, nous tournerons notre regard sur le hadith en ce qu’il est un marqueur emblématique de cette surréalité historiographique musulmane. Le canevas textuel auquel il a donné naissance constitue le principal pilier de l’édifice coranique. Il en est une pierre angulaire au croisement de l’exégèse du texte sacré et de l’édification d’une identité historique de l’islam. Problème : les investigations historico-critiques ne laissent plus guère de doute sur l’authenticité de ces récits prophétiques, même si peu de musulmans ont encore sacrifié à cette conviction. A mesure que s’organisait l’empire musulman naissant, le facteur nouveau qui demandait instamment à être amendé fut celui d’un habillage mythique de la genèse de l’islam. Quoi de plus efficace, pour atteindre une justification a posteriori, dans un contexte de concurrence redoutable avec le christianisme, que de jeter l’argument du silence historique sur une tradition orale qui n’a existé que de façon informelle - la tradition « légale » ayant largement prévalu[1] - et de travailler sur l’espace des origines ainsi que sur le miracle que sa figure fondatrice prétendument illettrée a laissé dans l’imaginaire[2]. En termes de stratégie opératoire, cette réécriture du passé se caractérise par une concentration de contrastes miraculeux qui resserrent leurs entrelacs autour d’une origine de l’islam mythifiée. Ces recueils d’actes et paroles attribués au Prophète sont indéniablement la colonne vertébrale du Coran, la clé de voûte qui a permis aux exégètes du Xème siècle d’introduire une chronologie circonstanciée de la révélation[3] et de formaliser le dogme de « l’abrogeant/abrogé »[4] fixé à la même époque et censé lever des contradictions internes du discours coranique. Le hadith a donc visé à surmonter cet écueil en répondant, par exemple, à la nécessité impérieuse de mettre en cohérence appels à la tolérance et injonctions violentes. On mesure l’enjeu soulevé par les lectures historico-critiques qui vont suivre et qui dépassent largement le strict cadre académique. Le contrôle impérial C’est dans un contexte de règne califal absolu que survient l’irruption soudaine et massive de la littérature du hadith, en réponse aux besoins politico-religieux d’un immense empire étendu du Maroc à l’Inde. L’éloignement du milieu originel des faits[5], l’absence de tradition orale, et la nature consonantique du texte coranique[6] conduiront à une volatilisation progressive de la signification originelle du discours coranique. Par un effet de vases communicants, va alors proliférer une véritable industrie du hadith destinée à son exégèse, dans un volume sans cesse croissant de détails et de précisions biographiques[7]. Les califes contrôleront[8] ainsi de façon rémunérée[9] la production d’un discours officiel sur les origines de l’islam dès la première moitié du IXème siècle et commanderont à leurs scribes officiels de dresser sa généalogie et tous les épisodes-clés de sa vie. Ce n’est qu’à cette époque que la biographie (sīra) du Prophète est rédigée pour la première fois tandis qu’un siècle plus tard sont écrits le discours des origines, les premières exégèses coraniques (tafāsīr), les premières histoires de conquêtes islamiques (maġāzī) et un nombre incalculable de hadiths forgés à la demande des califes dans le but de légitimer leur autorité et d’expliquer le Coran en forçant son interprétation[10]. Ce n’est qu’au Xème siècle qu’advient la fixation définitive d’un récit musulman présenté comme « historique » sur les premiers temps de l’islam. Des réminiscences de cette emprise califale ont été exhumées et attestent d’intérêts politico- religieux évidents dont témoigne le récit suivant : « J’ai entendu Ali bin Al-Madini dire : Je suis rentré chez l’Emir des Croyants {calife} et il m’a dit : – Est-ce que tu connais un hadith avec une bonne chaine de narration au sujet de quelqu’un qui insulte le prophète et qui est tué ? J’ai dit : oui, et je lui ai cité le hadith d’Abd al-Razak, d’après Maamar, d’après Simak bin al-Fazhl, d’après Ourwa bin Mohammed d’après un homme de {la tribu de} Bilqayn qui avait dit : “un homme insultait le prophète. Le prophète a donc dit : qui me règle le compte de mon ennemi ? Khalid ibn al-Walid a répondu : moi. Le prophète l’a donc envoyé à l’homme pour le tuer”. L’Emir des Croyants répondit : ceci n’est pas une chaine de narration. Il est raconté d’après un homme. Je lui ai dit : Ô Emir des Croyants, cet homme est bien connu et il est venu prêter allégeance au Prophète. Il est célèbre et bien connu. Il continua : il a donc ordonné qu’on me donne mille dinars ».[11] On le voit : prétendant rendre compte d’expériences biographiques, ces hadiths ne sont pas de simples anecdotes mais répondent, dans une logique d’administration de l’empire[12], à des fonctions précises, notamment celle d’asseoir une autorité califale extrêmement menacée dans les temps troubles, sanglants de guerres civiles à répétition[13] et d’incessantes luttes intestines qui ont marqué les premiers temps de l’islam[14]. Une tradition écrite Il est indéniable que des hadiths circulaient dès le VIIIème siècle[15] même si tous les recueils supposés être antérieurs au IXème siècle ne nous sont connus que par des recensions bien plus tardives sous forme de récits informels[16], de traditions « légales » formalisées par l’attribution d’une chaîne de garants (isnād) et de contenus en phase avec les attentes du pouvoir[17]. La question qui fuse à l’esprit est donc de se demander pourquoi si peu de récits écrits du Muwaṭṭa[18] de l’imam Mālik (m. 795) ou du Ṣaḥīfa[19] d’Ibn Munabbih (m. 738) ont été retenus par Buḫārī (m. 870) et Muslim (m. 875) quand on connaît le contexte de mainmise califale totale qui s’exerçait alors sur ses opposants ? Ibn Mālik a été écroué et torturé pour, précisément, s’être opposé au calife. Celui-ci a-t-il interféré dans son entreprise de collecte ? Des opérations de sélection, de réécriture ont-elles été imposées[20] ? Face au déficit troublant de témoignages matériels musulmans attestant des origines historiques de l’islam[21], l’argumentaire apologétique islamique a longtemps consisté à prétendre que les hadiths - comme le Coran - se seraient transmis oralement à l’identique depuis le vivant de Muḥammad jusqu’à l’édition des premiers recueils aux IXème et Xème siècles. La mémoire collective comptant des milliers de mémorisateurs chargés de transmettre les récitatifs oraux appris par cœur pendant les premiers siècles aurait protégé les textes de possibles risques d’altération. Cependant, une telle réalité devrait témoigner, à tout le moins, de procédés de mémorisation très structurés et hérités de l’anthropologie bédouine profonde qui se serait exprimée dans la poésie arabe antéislamique. Or il n’en est rien et l’absence historique de marques propres à l’oralité objecte un argument imparable à l’hypothèse d’une tradition orale. La singularité de leur structure textuelle interne s’oppose en effet à ce que l’on connaît des civilisations d’oralité[22]. En supposant par des hypothèses improbables que les Arabes fassent exception dans l’histoire des civilisations humaines, et au regard de la difficulté de mémorisation du texte, comment expliquer qu’une entreprise de transmission orale aussi massive ait fait l’économie de procédés formels aussi connus que la rime, l’allitération, la symétrie syntaxique, la métrique et autres colliers de récitation ?[23] Par ailleurs, on se demandera pourquoi, selon ce que la Tradition rapporte, les premiers califes n’ont-ils pas jugé utile de consigner par écrit le hadith ainsi qu’ils l’avaient fait avec le Coran lui-même ? Ces récits prophétiques n’étaient-il pas aussi précieux que le texte sacré ? La disparition progressive des compagnons ne constituait-elle pas une nécessité impérieuse au même titre que ce qui a poussé, toujours selon la Tradition, à mettre par écrit le Coran face au risque de les voir disparaître ?[24] Des chaînes de transmission suspectes Une autre interrogation de pur bon sens n’a pas échappé aux historiens. Elle se porte sur la nature purement déclarative des hadiths et le caractère parfois insensé de certains récits. Le discours musulman a été obligé d’en défendre la légitimité et c’est ainsi que la chaîne de transmetteurs (isnād) a joué un rôle de première importance. Cette entreprise de légitimation par attribution de chaînes de « garants » n’était pas nouvelle jadis et n’est pas sans rappeler le registre d’écriture célèbre des isrā’īliyyāt, « des uploads/Litterature/ le-hadith-aux-abois.pdf

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