Годишњак Филозофског факултета у Новом Саду, Књига XLVI-3 (2021) Annual Review
Годишњак Филозофског факултета у Новом Саду, Књига XLVI-3 (2021) Annual Review of the Faculty of Philosophy, Novi Sad, Volume XLVI-3 (2021) L’AUTO-RETRADUCTION DANS LA BANDE DESSINÉE : L’EXEMPLE DE L’ALBUM LE TOUR DE GAULE D’ASTÉRIX Dans le présent travail, nous nous proposons d’examiner deux traductions serbes de l’album Le tour de Gaule d’Astérix (1965). Plus précisément, nous ferons une analyse comparative de la première traduction de cet album, Asteriks: Put oko sveta (1990) et de la version retraduite, Asteriks i put oko Galije (2018), les deux ayant été réalisées par Đorđe Dimitrijević. Nous nous intéressons donc à l’auto-retraduction qui permet au traducteur de réexaminer sa première version d’un point de vue différent. Notre recherche repose notamment sur l’hypothèse de la retraduction dʼAntoine Berman (1990 ; 1999), selon laquelle la caractéristique principale de toute traduction est son inaccomplissement ; ce n’est que la retraduction qui peut atteindre l’accompli, être fidèle à la lettre du texte-source et devenir un vrai chef-dʼœuvre. Visant à rétablir l’altérité, souvent effacée dans la première traduction, la retraduction devrait donner une nouvelle perspective à l’œuvre et témoigner d’un rapport mûri à la langue maternelle et à l’œuvre elle-même. Mots clés : auto-retraduction, bande dessinée, Astérix, le français, le serbe. 1. INTRODUCTION Même si la pratique de la retraduction est très répandue, au niveau théorique, ce concept n’a pas encore fait l’objet d’études systématiques. La plupart des recherches portant sur ce phénomène « ancien, fréquent et polymorphe » (Brisset, 2004 : 41) sont postérieures aux années 2000. L’intérêt pour cette problématique trouve son origine dans l’hypothèse de la retraduction d’Antoine Berman, selon laquelle la traduction est un « domaine dʼessentiel inaccomplissement » (Berman, 1990 : 1) ; ce n’est que la retraduction qui peut, parfois, atteindre l’accompli. À la différence des œuvres originales qui « restent éternellement jeunes […], les traductions, elles * djurin.tatjana@ff.uns.ac.rs Tatjana Đurin* Nataša Popović Faculté de Philosophie et Lettres Université de Novi Sad UDK : 811.133.1'255:811.163.41 741.5(44)=163.41 DOI: 10.19090/gff.2021.3.119-137 originalni naučni rad 120 | Tatjana Đurin, Nataša Popović ‘vieillissent’ », étant donné qu’elles correspondent au contexte historique de leur production, c’est-à-dire à « un état donné de la langue, de la littérature, de la culture », de sorte que « la possibilité et la nécessité de la retraduction sont inscrites dans la structure même de l’acte de traduire » (Berman, 1990 : 2). L’inachèvement et le vieillissement sont donc les caractéristiques principales de la plupart des traductions. « La retraduction surgit de la nécessité non certes de supprimer, mais au moins de réduire la défaillance originelle » (Berman, 1990 : 25). Gambier approfondit l’hypothèse de Berman, « fondée sur la distance chronologique » (Gambier, 2011 : 59), et souligne qu’elle ne peut pas s’appliquer à toutes les retraductions. Dʼaprès lui, en plus du vieillissement de la langue, il faut prendre en considération d’autres facteurs, tels que la politique éditoriale, les lecteurs cibles, le type de collection, etc. Il souligne donc l’importance de la dimension commerciale de la retraduction, étant donné que celle-ci constitue un argument de vente. Une première traduction serait plutôt naturalisante, l’objectif premier de cette traduction-introduction étant de plaire aux récepteurs ; elle est « soumise à des impératifs socio-culturels » (Gambier, 2011 : 54) et elle réduit lʼaltérité du texte original afin quʼil soit mieux intégré dans la culture cible (Bensimon, 1990 : 1 ; Berman, 1999 : 105). La retraduction tend toujours plus à se rapprocher du texte original, elle représente « un retour au texte-source » (Gambier, 1994 : 414) et « elle serait une amélioration dans la mesure où justement elle réduit la distance vis-à-vis de l’original » (Gambier, 2011 : 55). Gambier considère que le texte de départ n’a pas un sens stable dont le traducteur se rapprocherait sans passer par la première traduction. Au contraire, ce rapprochement est possible justement grâce à la première traduction (Gambier, 1994 : 414). Lʼune des raisons les plus fréquentes de la nécessite de retraduire est l’insatisfaction à l’égard des traductions existantes, ce qui peut être dû aux omissions ou aux modifications dans les traductions précédentes. Dans ce cas, le traducteur tenterait de « restaurer l’intégralité du texte » (Monti, 2011 : 14). La raison la plus importante serait le « vieillissement » des traductions ; « certes, les textes de départ vieillissent aussi, mais pas de la même manière que leurs traductions, au moins aux yeux du public » (Monti, 2011 : 15). Les retraductions diachroniques, les plus fréquentes d’ailleurs, donnent donc une nouvelle perspective (temporelle) à l’œuvre. Cependant, dans le cas de l’auto- retraduction il y a un paramètre de plus à prendre en compte. Etant donné que L’AUTO-RETRADUCTION DANS LA BANDE DESSINEE … | 121 le traducteur réexamine sa première version d’un autre point de vue, dans la perspective d’un autre soi-même, son interprétation de l’œuvre est forcément différente (Peng, 2017 : 121). Il est « divisé » en deux personnes, la seconde étant le produit de l’évolution intellectuelle, culturelle et professionnelle du traducteur qui vit et travaille dans un autre contexte socio-historique. 2. ANALYSE DU CORPUS Cette recherche porte sur un cas spécial de retraduction – l’auto- retraduction – c’est-à-dire la retraduction d’un texte déjà traduit par le même traducteur. Nous analysons deux éditions serbes de l’album Le tour de Gaule d’Astérix (1965), effectuées sur une période de 28 ans et publiées par deux différentes maisons d’édition : la première traduction, Asteriks: Put oko sveta, a été publiée en 1990 par Forum et la version retraduite, Asteriks i put oko Galije, en 2018 par la maison d’édition Čarobna knjiga. Gambier souligne que, dans certains cas, les retraductions restituent des parties omises dans la première traduction ; parfois, elles améliorent le style, le ton et le rythme des traductions antérieures, etc. Selon lui, lorsqu’on examine une retraduction, il est important de prendre en considération le rapport que chaque traduction entretient avec le texte de départ (Gambier, 2011 : 63). Dans le cas de lʼauto-retraduction, il est également nécessaire dʼexaminer le rapport entre la première version et la retraduction parce quʼil sʼagit aussi bien de la traduction interlingue que de la traduction intralingue. Nous ferons une analyse comparative des procédés de traduction utilisées par Đorđe Dimitrijević dans les deux versions tout en tâchant de déterminer la relation que la version retraduite entretient aussi bien avec l’œuvre originale qu’avec la première version serbe. 2.1. Le titre, les récitatifs, les enseignes Tout d’abord, on peut remarquer que le titre de l’album, Le tour de Gaule d’Astérix, est traduit différemment : Put oko sveta [Le tour du monde]1, dans la première version serbe et Asteriks i put oko Galije [Astérix et le tour de Gaule] dans la version retraduite. La retraduction est littérale et adéquate mais la référence culturelle, allusion au Tour de France, est omise, ce qui pourrait 1 Le texte mis entre crochets représente la traduction littérale en français. 122 | Tatjana Đurin, Nataša Popović s’expliquer par le fait que la fameuse compétition cycliste est connue dans la culture cible sous sa forme transcrite : Tur de Frans. L’allusion au Tour de France n’existe pas dans la première version non plus ; elle est remplacée par une autre référence culturelle française : allusion au roman de Jules Verne, Le Tour du monde en quatre-vingts jours (en serbe : Put oko sveta za osamdeset dana). En retraduisant les récitatifs et les enseignes, Dimitrijević réintroduit les éléments du texte omis dans la première version : Et quelques instants après que la sonnerie du réveil ait retenti… (AG, 33) I samo malo kasnije… (D1, 32) I nekoliko trenutaka nakon što je odjeknuo poziv za buđenje… (D2, 81) Dans certains, cas, il modernise les récitatifs de la première version en remplaçant l’aoriste (le passé simple), forme verbale à nuance archaïque, par le parfait (le passé composé) : Une bataille entre Gaulois et Romains s’est engagée soudaine et violente… (AG, 7) Između Gala i Rimljana zače se iznenadna i žestoka bitka… (D1, 6)2 Između Gala i Rimljana izbila je iznenadna i žestoka bitka… (D2, 55) De même, Dimitrijević modernise les enseignes, telles que Dépannage Tikedbus (AG, 15), qui, dans la première version, devient Pokretna radionica [atelier ambulant de réparation] (D1, 14), tandis que dans la retraduction elle devient Šlep-služba Sedinabus (D2, 63). L’emploi du mot d’origine allemande, šlep, de schleppen ʻtraîner, coltinerʼ, le plus souvent utilisé dans le langage quotidien, rend la traduction serbe plus moderne, tandis que le nom propre Sedinabus [monte dans le bus], omis dans la première traduction, rend le texte plus comique. Les mots d’origine turque, kasapnica [boucherie-charcuterie] et bakalnica [épicerie], employés dans la première version (D1, 12) pour traduire l’enseigne Charcuterie-Alimentation (AG, 13), dans la retraduction sont 2 C’est nous qui soulignons. L’AUTO-RETRADUCTION DANS LA BANDE DESSINEE … | 123 remplacés par les termes techniques modernes : suhomesnato [charcuterie] et prehrambena roba [produits alimentaires] (D2, 61). Certaines enseignes ne sont pas traduites dans la première version serbe, telles que Vins (AG, 18 ; D1, 17), Cuisine (AG, 38 ; D1, 37) ou Spécialités burdigalaises (AG, 42 ; D1, 41). Cependant, uploads/Litterature/ lauto-retraduction-dans-la-bande-dessine.pdf
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- Publié le Jan 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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