Lettre àmon ami Pierre sur l'anthropologie symétrique Author(s): Bruno Latour S
Lettre àmon ami Pierre sur l'anthropologie symétrique Author(s): Bruno Latour Source: Ethnologie française, nouvelle serie, T. 26, No. 1, Culture matérielle et modernité (Janvier-Mars 1996), pp. 32-37 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40989620 . Accessed: 19/04/2013 13:38 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Ethnologie française. http://www.jstor.org This content downloaded from 131.247.112.3 on Fri, 19 Apr 2013 13:38:09 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Lettre à mon ami Pierre sur l'anthropologie symétrique Bruno Latour Centre de Sociologie de l'Innovation, Paris I RÉSUMÉ Pierre Lemonnier a écrit un article pour contraster la technologie, dans la tradition de Leroi-Gourhan, avec la sociologie des techniques de Latour et de ses collègues, en affirmant que cette dernière approche au lieu d'insister, comme la première, sur les contraintes de la matière pour ensuite y ajouter les dimensions symboliques ou sociales, se contentait d'insister, de façon asymé- trique, sur les seules dimensions sociales. Cette lettre s'élève vigoureusement contre un tel portrait des travaux récents en sociolo- gie des techniques, elle redéfinit le principe de symétrie, et s'efforce de montrer le contraste entre une position qui reste fonda- mentalement dualiste et une position nouvelle qui étudie, sans exclusive, la socialisation de tous les non-humains qui participent à la définition du collectif La lettre affirme que ce nouveau programme de recherche, mal défini par Lemonnier, se prête beaucoup mieux au projet d'une anthropologie comparée. Bruno Latour Centre de Sociologie de l'Innovation École Nationale Supérieure des Mines 62, boulevard Saint-Michel, 75272 Paris Cedex 06 Mon cher Pierre, Merci de m'avoir fait parvenir ton article pour Eth- nologie française, hommage en forme de critique ou critique en forme d'hommage. J'apprécie que tu parles de nos recherches avec tant d'amitié, mais cette ami- tié même me pose un problème. Je crains que les lec- teurs ne croient qu'il s'agit d'un désaccord, comme il y en a tant dans les sciences exactes ou souples, désac- cord qui suivrait la compréhension de ma position. Comme nous sommes amis, que tu es expert en tech- nologie et que nous avons édité un livre ensemble, on pourrait dofic en conclure que je défends en effet les thèses que tu discutes avec tant de passion. Bien que, de ton point de vue, l'anthropologie symétrique ait été bien et honnêtement résumée, je ne crois pas que le point essentiel de ma position ait été souligné. En effet, le désaccord que tu exprimes s'adresse à un program- me de recherche que, dans l'ensemble, je rejette éga- lement. Je souhaiterais donc beaucoup que l'on puisse insé- rer ma lettre à la suite de ton article afin de tenter d'ex- primer, une fois encore, un propos qui n'a jamais fait l'objet d'une présentation dans les pages de cette revue, et qui, à mon avis, prolongerait la discussion que tu as eu le courage et la lucidité d'entreprendre. Pour toi, le point essentiel de notre travail consiste en un rejet de la question de l'efficacité des techniques, en un refus de considérer les lois physiques univer- selles, pures, en une indifférence à l'action sur la matiè- re. Ou plutôt, comme tu le montres fort bien, nous manifestons une obsession asymétrique - malgré l'ap- pel constant à la symétrie - pour la négociation socia- le et la plasticité des relations d'innovation, au détri- ment des actions efficaces et de la tendance qui finit, comme tu le montres brillamment dans le cas de l'avia- tion, par s'imposer toujours au « brouillamini » du monde social. Si tu reconnais l'utilité des notions de délégation et de traduction, si tu fais l'éloge de nos ana- lyses empiriques de l'innovation telle qu'elle se fait, tu trouves qu'au fond le programme de recherche qui dis- tingue d'abord la fonction et le style, les contraintes de la matière et les déterminants sociaux, pour ensuite mieux les conjoindre, selon les préceptes de Leroi- Gourhan, demeure mieux adapté à la compréhension des techniques traditionnelles comme des techniques modernes. Au bout du compte, la symétrie et la lutte contre la distinction style et fonction, telle que nous la Ethnologie française, XXVI, 1996, 1, Culture matérielle et modernité, p. 32-37 This content downloaded from 131.247.112.3 on Fri, 19 Apr 2013 13:38:09 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Lettre à mon ami Pierre sur l'anthopologie symétrique 33 forces matérielles... Si tu avais raison dans ta critique, ils devraient être d'accord avec nous. Or, c'est exacte- ment l'inverse, et les sociologues du social font sur la sociologie des sciences (en France du moins) un embargo beaucoup plus hermétique encore que les technologues sur la sociologie des techniques. C'est que le retour des objets, des non-humains, de la matiè- re, du corps social les horrifie tout à fait. Les lecteurs pourraient s'étonner qu'entre des gens qui sont aussi proches, un malentendu d'une telle dimension puisse subsister. Je n'aurais pas demandé à publier cette lettre si je ne pensais pas qu'il y avait, dans cet abîme lui-même, un fait d'un grand intérêt pour la compréhension de l'ethnologie de la France. Tout repose sur la définition des non-humains, sur la compréhension de la modernité et sur le programme de recherche qui s'avérera le plus fécond pour com- prendre à la fois les autres cultures et nos natures modernes. Le programme de recherches que tu souhaites main- tenir à la fois contre l'idéalisme des sociologues du symbolique et en partie avec nous, consiste à bien séparer, d'une part, les objets du monde physique connus par les sciences et plus ou moins sentis ou représentés par les acteurs engagés dans l'action effi- cace sur la matière, et d'autre part, le monde social. Tu n'accepterais pas que je caractérise ce programme de « dualiste » parce que, aussitôt, et dans un deuxième temps, tu affirmeras qu'il faut concilier ces deux ensembles et les réunir dans une synthèse. Il faut donc, si je te comprends bien, séparer les formes pures, et ensuite, les réunir afin de penser les hybrides. Malgré ton rejet de l'étiquette dualiste, je crois que le mot ne serait pas mauvais, de même qu'on appelle dualiste ceux qui, ayant d'abord séparé l'âme et le corps, ajou- tent aussitôt qu'il faut en comprendre la relation. Mais pour te satisfaire et éviter le caractère péjoratif de l'ex- pression, je l'appellerai purification/conjonction. C'est là où nous sommes en désaccord. Malgré son évidence, son ancienneté, son bon sens, je crois que ce programme de recherche par purification/conjonction rend incompréhensibles à la fois les techniques et les sociétés, à la fois les mondes modernes et les mondes traditionnels. C'est là le point essentiel, le seul qui vaille la peine à mon avis de discuter dans les pages de cette revue, car c'est le seul qui puisse avoir un effet sur l'ethnologie de la France. Quani à l'efficacité technique, elle me paraît tellement évidente queje ne comprends même pas comment on peut vouloir la sou- ligner, sauf, bien sûr, contre ceux qui se font une idée du monde social si évaporée, si remplie de signes, qu'il faut, en tapant du poing sur la table, les faire redes- cendre dans les choses. pratiquons, amène d'après toi, malgré quelques clartés, plus d'obscurité que la distinction préalable et de bon sens entre matière et société. J'espère avoir bien résu- mé ta position, en me coulant, d'aussi près que pos- sible, dans l'esprit de ton hommage critique. Si la question était celle-ci, tu comprends bien que j'aurais passé depuis longtemps, avec arme et bagage, dans le camp des disciples de Leroi-Gourhan et conti- nué à jouir, sans remords, de tes articles sur les salines, les avions à réaction ou sur les pièges à anguille, sans parler des délicieuses sorcières volantes. Or, la ques- tion de l'efficacité technique, des contraintes de la matière, ne nous pose aucun problème, et n'a même pas besoin d'être défendue. Ce que tu prends pour de l'indifférence à une question, vient tout simplement, comme souvent en recherche, que nous nous en posons d'autres. Nous rappeler qu'il faut aussi prendre en compte les efficacités matérielles, revient un peu à essayer de dissuader un rabbin d'être antisémite. L'ar- gument essentiel, pour nous, n'a rien à voir avec ce combat très important en effet pour ceux qui, comme Leroi-Gourhan ou comme toi, se battent avec raison contre l'idéalisme des sociologues qui font de toute pratique des symboles, des textes ou des relations sociales. Je suis bien d'accord avec toi pour affirmer que « l'anthropologie ne peut prendre en compte la dimension physique avec les instruments d'analyse du lien social ». C'est bien pourquoi depuis vingt ans avec une arrogance uploads/Litterature/ latour-b-lettre-a-mon-ami-pierre.pdf
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- Publié le Oct 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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