ABSENCE DE DOULEUR ET RAISON : LA VÉRITÉ DES PLAISIRS CHEZ PLATON (RÉPUBLIQUE,
ABSENCE DE DOULEUR ET RAISON : LA VÉRITÉ DES PLAISIRS CHEZ PLATON (RÉPUBLIQUE, IX ET PHILÈBE) René Lefebvre P.U.F. | Les Études philosophiques 2012/2 - n° 101 pages 257 à 277 ISSN 0014-2166 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2012-2-page-257.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lefebvre René, « Absence de douleur et raison : la vérité des plaisirs chez Platon (République, IX et Philèbe) », Les Études philosophiques, 2012/2 n° 101, p. 257-277. DOI : 10.3917/leph.122.0257 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h18. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h18. © P.U.F. Les Études philosophiques, n° 2/2012, p. 257-277 Absence de douleur et raison : la vérité des plaisirs chez Platon (République, IX et Philèbe) Dans le Philèbe, Platon traite longuement de la nature et de la valeur du plaisir auquel, sans verser dans l’hédonisme, il se montre désormais plus favorable. La notion de plaisirs « vrais », élaborée en 31 b-55 c, qui apparaît comme centrale, est déjà présente en République, IX, 583 b-588 a, d’où la nécessité de rapprocher les deux études, malgré une première différence : dans le Philèbe, Platon oppose les plaisirs vrais aux plaisirs « faux », dans la République, il ne les opposait qu’aux plaisirs « apparents ». On peut se demander à quel besoin répondent de telles considérations sur des plaisirs qualifiés ou non de « vrais ». On pourrait penser qu’il s’agit, en procédant ainsi, de pousser en avant la notion de plaisirs « faux » et d’embarrasser l’hédoniste qui, afin d’identifier le plaisant et le bon, a besoin d’une notion de plaisir attrac tive et relativement univoque. Les débuts du Philèbe paraissent aller en ce sens1 : de fait, Protarque, l’hédoniste, s’insurge lorsque Socrate distingue entre des plaisirs vrais et des plaisirs faux (36 c-d), et Socrate lui attri bue de refuser la notion de plaisirs faux en raison de son attachement à la cause du plaisir (38 a). Dans le Gorgias et le Phédon, Socrate a déjà tellement mis à mal l’hédonisme que cette critique, sanctionnée vers la fin du livre VI de la République2, semble toutefois désormais dépourvue d’urgence : dans la République et le Philèbe, Platon a davantage besoin de la notion de plaisirs vrais que de la notion opposée de plaisirs apparents ou faux. Au livre IX du premier dialogue, Platon complète l’éloge de la jus tice entrepris dès le début de l’œuvre en ajoutant un deuxième argument, consacré au caractère plus plaisant de la justice3, puis un troisième qui 1. Philèbe (Phil.), 12 c-e et 13 a-c. Voir déjà les objectifs antihédonistes de la mise en relief de l’existence de plaisirs vils ou vicieux dans le Gorgias. 2. En République (Resp.), VI, 505 b-d, l’hédonisme et l’identification du souverain bien avec la phronèsis sont renvoyés dos à dos. 3. Resp., IX, 580 d-583 b ; l’idée se retrouvera en Lois, II, 662 a-663 c. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h18. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h18. © P.U.F. 258 René Lefebvre souligne son caractère plus authentiquement plaisant1. À cette fin, Platon se doit d’identifier une forme honorable de plaisir. Dans le Philèbe, Platon a cette fois besoin de la notion de ce qu’il y a de « plus vrai » (alèthestaton) et de « plus pur » (katharôtaton) (55 c) dans le plaisir, afin de le confronter à ce qu’il y a de meilleur dans la pensée (52 e), puis d’intégrer le plaisir, sous certaines de ses formes, à la vie bonne, la pensée ne suffisant pas, à elle seule, à rendre heureux2. Le recours à la notion de plaisirs vrais s’ins crit ainsi dans une opération globale de réhabilitation limitée du plaisir (qu’on pourrait sans doute rapprocher de la réhabilitation ontologique du mouvement et de la corporéité opérée dans le Sophiste et le Timée, mais ce serait là une longue histoire)3. Une difficulté majeure tient au fait que dans chacun des deux dialo gues, tout se passe comme si, en s’écartant chaque fois de nos intuitions les plus fortes, Platon empruntait tour à tour deux chemins distincts, envisa geant le plaisir tantôt dans son rapport à la raison, tantôt dans son rapport à la douleur. S’agissant de la première perspective, la façon dont Platon traite des plaisirs vrais comme de plaisirs en quelque façon rationnels a conduit des interprètes assez nombreux à attribuer à ce philosophe la thèse selon laquelle le plaisir constituerait une « attitude propositionnelle » : nous nous demanderons dans quelle mesure, tout risque d’anachronisme mis à part, cette attribution est fondée. S’agissant de la seconde perspec tive, nous relèverons un aspect paradoxal de la caractérisation du plaisir vrai par l’absence de douleur. Au-delà, la rationalité étant à première vue tout autre chose que la pureté, nous nous proposons d’examiner la ques tion, assez rarement soulevée, de l’unité ou non de cette approche de la notion de plaisir vrai. Chaque fois, nous partirons de la République pour aller au Philèbe. 1. L’exposé de ce troisième argument débute Resp., IX, 583 b. Il débouche sur un « incroyable calcul », dont il résulte que la vie du roi serait 729 fois plus agréable que celle du tyran (587 e). Sans doute entre-t-il là de l’autodérision et une mise en garde contre l’idée même de calcul des plaisirs. Franz Brentano demandera si pour obtenir la quantité de plaisir liée à l’écoute d’une symphonie de Beethoven, il faut multiplier le plaisir pris à fumer un cigare par 127, ou par 1,077 (cité par Fred Feldman, Pleasure and the Good Life, Oxford, Clarendon Press, 2004, p. 45). 2. En sens inverse, cf. Gerd Van Riel : « Notre hypothèse de travail est que le thème central du Philèbe – bien que les autres thèmes soient nombreux – est une discussion contre l’hédonisme. » Van Riel nuance ensuite son propos, mais n’en estime pas moins que le désaccord avec l’hédonisme est ici « plus absolu » que dans les dialogues antérieurs (« Le plaisir est-il la réplétion d’un manque ? La définition du plaisir (32 A-36 C) et la physiologie des plaisirs faux (42 C-44 A) », Monique Dixsaut (éd.), La Fêlure du plai- sir. Études sur le Philèbe de Platon, vol. 1, Commentaires, Paris, Vrin, 1999, p. 299-314, p. 300). 3. Sur l’évolution de la pensée platonicienne au sujet du plaisir, nous nous permettons de renvoyer à René Lefebvre, Platon, philosophe du plaisir, Paris, L’Harmattan, 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h18. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Galatasaray - - 194.27.192.7 - 26/06/2014 22h18. © P.U.F. 259 Absence de douleur et raison Vérité du plaisir et rationalité République, IX En introduisant au troisième argument en faveur de la justice, Platon fait état1 d’une distinction inédite entre plaisirs vrais et plaisirs « en trompe- l’œil » : « On aurait donc dès lors eu deux manches de suite, et deux fois le juste (ὁ δίκαιος) aurait vaincu l’injuste. Eh bien la troisième manche, à la manière olym pique, dédions-la à Zeus Sauveur et Olympien : considère que le plaisir des autres que l’homme réfléchi (τοῦ φρονίμου) n’est ni tout à fait vrai (οὐδὲ παναληθής), ni pur (οὐδὲ καθαρά), mais qu’il est comme une reproduction en trompe-l’œil (ἐσκιαγραφημένη τις), à ce qu’il me semble avoir entendu dire par un de ceux qui s’y connaissent. Et ce serait là la plus grave et la plus décisive des défaites. » Selon une toute première approche, les plaisirs vrais et purs seraient donc ceux du phronimos, de l’homme « réfléchi » ou « sage ». Le point est éclairci un peu plus loin, dans un passage où il s’agit cette fois du phronimon comme partie rationnelle de l’âme. À propos des désirs (epithumiai) relevant des parties inférieures de l’âme (to philokerdes, la partie qui « aime le profit » et to philonikon, la partie qui « aime la victoire »), Socrate explique (586 d) qu’obéissant à la science (epistèmè) et à la raison (logos), et guidés par le phro- nimon, ils : « recevront les plaisirs […] les plus vrais (ἀληθεστάτας), du fait qu’ils suivent la vérité (ἅτε ἀληθείᾳ ἑπομένων) – et pour autant qu’il soit en leur uploads/Litterature/ la-verite-des-plaisirs-chez-platon.pdf
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- Publié le Jui 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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