MOTS & CIVILISATIONS Compte rendu d’intervention SELEFA aux Journées d’étude su
MOTS & CIVILISATIONS Compte rendu d’intervention SELEFA aux Journées d’étude sur la Formation des traducteurs en Algérie Palais de la culture Moufti Zakaria Alger, 12-13 mai 2008 dernière mise à jour 23 /09/2008 La responsabilité du traducteur (Aperçu sur la civilisation arabo-musulmane à travers certains emprunts du français à l’arabe) Roland LAFFITTE, secrétaire de SELEFA1, Paris Il arrive fréquemment qu’au cours de son travail, le traducteur se trouve confronté à des réalités enserrées dans des contextes radicalement autres dans la langue de départ par rapport à celle d’arrivée, et qui devront par conséquent s’exprimer de façon très différente, ce qui rend alors sa tâche extrêmement ardue. Il n’est pas de ma compétence de traiter l’ensemble des problèmes de traduction qui naissent de ce fait puisque ma démarche part d’une expérience limitée à la lexicographie et à l’étymologie. Je me propose donc, dans un premier temps, de prendre appui sur l’étude des termes d’origine arabe et orientale dans les langues européennes, et tout particulièrement la langue française, pour tenter une évaluation de la gamme des procédés dont le traducteur dispose lorsqu’il doit rendre une objet autre, un concept nouveau ou un phénomène social ou culturel original. J’aborderai, dans un deuxième temps, la manière dont est perçue, au filtre des arabismes dans la langue française, la civilisation arabo-musulmane. Ces deux parcours devraient permettre de mettre en lumière que le traducteur n’a pas seulement une responsabilité que, pour simplifier, je dirais technique et professionnelle, mais également un responsabilité que je qualifierais d’éthique. La gamme des procédés de traduction d’un terme étranger L’emprunt. Le procédé le plus simple, lui qui n’exige l’effort le plus léger puisqu’il consiste à reprendre tel quel le mot de la langue de départ, est l’emprunt. Il suppose toutefois, lorsque le système d’écriture diffère, une translittération ou, plus généralement, une transcription respectant plus ou moins sa prononciation originelle et plu sou moins adaptée à l’oreille des lecteurs. Un exemple connu est celui du mot 1 La Société d’Études Lexicographiques et Étymologique Françaises et Arabes (SELEFA) a pour objectifs : d’abord de favoriser la recherche sur les échanges lexicographiques entre les langues écrites et parlées dans les pays francophones et en Europe d’un côté, dans le Monde arabe, méditerranéen et moyen-oriental de l’autre côté ; ensuite de valoriser les héritages culturels que les mots portent en eux, comme moyen de souligner l’intériorité réciproque des cultures de deux rives de la Méditerranée et d’assumer l’intégralité des héritages culturels de nos sociétés (Extrait des statuts de SELEFA, voir le site www.selefa.asso.fr). 2 algèbre, de l’arabe الجبرal-jabr, entré dans les langues européennes par le latin médiéval pour traduire une réalité mathématique nouvelle présentée par Al-Khawārizmī dans son fameux Kitāb al-mu®taṣar fī ḥisāb al- jabr wa-l-muqābala. Signalons que l’emprunt étant motivé par une acception particulière, il ne redonne que rarement l’éventail des significations que possède le mot dans la langue de départ. Dans le cas de l’arabe الجبرal-jabr que nous venons d’évoquer, il s’agit d’une spécialisation, le sens mathématique du terme étant dérivé de la notion de « contrainte ». Cependant il peut s’agir, dans d’autre cas, d’une extension sémantique, comme c’est le cas de لا جوردlājuward / ال زوردlāzuward, « lapis lazuli », c’est-à-dire la pierre de couleur bleue qui devient la couleur elle-même, soit azur. De nombreux ouvrages, dictionnaires, lexiques ou glossaires, livrent des listes de termes empruntés par le français à la langue arabe, directement ou indirectement, par le canal du latin médiéval ou d’autres langues communes, l’espagnol, l’italien, l’occitan, le turc, etc. Certains de ces ouvrages chiffrent le nombre de ces emprunts et les numéroter par exemple de 1 à 370 ou à 750, etc. Même si on ne retient que les travaux éliminant les étymologies fantaisistes, il est trop souvent difficile de déchiffrer les critères qui ont mené à l’établissement des listes retenues, et l’exemple vient de haut puisqu’il en est ainsi du fameux Dictionnaire étymologique des mots d’origine orientale publié par Marcel Devic en 18762. Plusieurs choix sont à faire, en effet. S’agit-il d’un examen synchronique, c’est-à-dire d’un recensement des termes actuellement en usage, ou alors d’une étude diachronique, livrant les termes utilisés à différentes époques, dont nombreux sont désormais tombés en désuétude ? Quel est d’autre part le registre de la langue, standard ou dialectal, du niveau de langue, commune ou relevée, de la nature du lexique, courant ou spécialisé ? Prenons un exemple, celui des noms stellaires. Certains ouvrages n’en présentent aucun, d’autres quelques unités, comme Aldébaran qui est l’arabe د ال بران al-Dabarān, ou Véga qui dérive de [ال ] واقع ر نس ال [ al-Nasr al-]Wāqic, d’autres encore une vingtaine, sans que l’on connaisse exactement le critère de sélection. Marcel Devic donne 39 termes d’astronomie affectés d’un numéro d’ordre. Pourquoi 39 ? Dans sa liste, figurent des noms de constellations aujourd’hui remisés dans l’oubli et des termes techniques de l’astrolabe déjà abandonnés à son époque. En fait, les noms d’étoiles que la langue arabe a légué aux catalogues astronomiques internationaux, et donc français, dépasse les 500 unités3. Nous atteindrions probablement une somme comparable de noms savants, mais eux parfaitement en usage, dans la taxinomie botanique et zoologique. Notons par ailleurs qu’il est parfois difficile de distinguer chez de nombreux auteurs – reproche qui ne peut certes être adressé à l’endroit de Marcel Devic ‒ les cas où l’arabe a lui-même emprunté le terme à une langue tiers et n’a donc servi que d’intermédiaire et ceux il a fournit l’étymon premier. Tout cela permet de se rendre compte qu’il est difficile de chiffrer les emprunts sans préciser toute une série de critères dont le choix et la cohérence feront considérablement varier le résultat. Le calque. Il existe, à côté de l’emprunt, une manière plus élaborée de rendre un terme ou une expression rencontrée par le traducteur dans la langue qu’il cherche à rendre, c’est le calque linguistique, dont le grand linguiste sémitisant et arabisant Maxime Rodinson soulignait l’importance à côté de l’emprunt : « Il y a profit, faisait-il remarquer, à étudier les emprunts de vocabulaire par catégories sémantiques en connexion avec l’histoire de la civilisation. Le vocabulaire européen emprunté à l’arabe au Moyen-Âge devrait être examiné de nouveau de cette façon. Cette méthode permet ainsi de déceler les “calques” qui sont plus nombreux qu’on ne le croit, particulièrement dans le vocabulaire scientifique »4. Sur le plan du vocabulaire, le calque consiste à rendre un mot simple ou composé de la langue de départ par un mot existant déjà dans la langue d’arrivée mais avec une autre signification. Une première variété de calque est celle qui s’opère par addition de sens à un mot simple. Un exemple nous en est fourni par le français populaire quand calculer 2 DEVIC, L.-Marcel, Dictionnaire étymologique des mots d’origine orientale (arabe, hébreu, persan, turc, malais, Paris : Impr. Nationale, 1876, publié ensuite dans LITTRÉ, Emile, Dictionnaire de la Langue française, Paris : Hachette, Supplément, éd. 1877- 1910. 3 Même chose pour l’alchimie, pour la quelle Marcel Devic énumère 50 mots dûment numérotés, mais totalement abandonnés à son époque depuis l’élaboration de la nomenclature chimique moderne, cf. LAVOISIER, Antoine-Laurent, FOURCROY, Antoine- François, BERTHOLLET, Claude-Louis, GUYTON DE MORVEAU, Louis-Bernard & HASSENFRATZ, Jean-Henri, Méthode de nomenclature chimique, paris : Cuchet, 1787. 4 RODINSON, Maxime, « Quelques emprunts arabes dans les langues romanes au Moyen-Âge », Comptes rendu du GLECS (Groupe Linguistique d’Études Chamito-Sémitiques) V, (1948-1951), 3, repris par Bulletin de la SELEFA n° 4 (2004), 11-12. 3 prend l’acception « considérer, remarquer », qui est une interférence évidente de l’arabe حسبasaba, où ce sens est dérivée de « calculer ». Une autre variété de calque concerne un mot composé, dont nous trouvons une illustration dans une expression apparue récemment dans la presse : on parle ainsi de coupeur de route lors d’enlèvements dans des pays africains là où le français pourrait dire « bandit de grand chemin », et il semble bien qu’il faille rapprocher de terme de l’arabe طريق ق اطعqāÓic Óarīq / قطّاع طريقqaÓÓāc Óarīq. L’adaptation. La troisième manière d’affronter un terme étranger consiste à chercher, dans la langue d’arrivée, un mot connu ou une expression existante rendant une réalité approchante que celle de la langue source. Les linguistes parlent dans ce cas d’adaptation, mais le terme semble bien vague car il suppose en fait une reformulation plus ou moins complète du terme en rapport avec le contexte linguistique nouveau. Pour bien comprendre ce qui distingue l’adaptation de l’emprunt et du calque, nous allons nous attarder sur un groupe de termes mathématiques utilisés dans un contexte astronomique et qui sont entrés dans la langue français eau début du XIVème siècle : degré, minute et seconde5. Tout d’abord, il nous faut remonter dans le temps : on attribue à Hipparque, IIème siècle av. J.-C, la division du cercle en 360 parties dont chacune est appelée μοîρα moira, littéralement « part, portion », et qui désigne notre actuel degré6. on s’en tient à Geminos de Rhodes, Ier siècle av. J.-C, « le soixantième d’une part [μοîρα moira] s’appelle soixantième premier [πρῶτον ἑξηκοντόν uploads/Litterature/ la-responsabilite-du-traducteur.pdf
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- Publié le Nov 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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