Méthodes et problèmes La perspective narrative Jean Kaempfer & Filippo Zanghi,
Méthodes et problèmes La perspective narrative Jean Kaempfer & Filippo Zanghi, © 2003 Section de Français – Université de Lausanne Sommaire 1. Définition(s) 1. Objet du chapitre 2. Sens large: point de vue et énonciation 3. Sens restreint 1. Focalisation et représentation 2. Les trois types de focalisation 4. L'exemple du théâtre 2. La focalisation interne 1. Genette: une approche intuitive 1. Le point de vue du personnage 2. Le double sens du mot interne 3. Les changements de foyer 2. Rabatel: les marques linguistiques du point de vue 1. L'aspectualisation de la perception 2. La mise en relief 3. L'anaphore associative 3. L'embrayage du point de vue du personnage 3. La focalisation externe 1. Un point de vue anonyme 2. L'ambiguïté du mot externe 4. La focalisation zéro 1. Non focalisation 2. Multifocalisation 5. Changements et frontières de la perspective 1. La perspective comme technique narrative 2. Altérations de la perspective 3. Frontières de la perspective 6. La perspective et les autres paramètres du récit 1. Perspective et voix narrative 2. Perspective et représentation de la parole Conclusion Bibliographie I. Définition(s) I.1. Objet du chapitre Beaucoup de termes ont été proposés pour traiter de ce qui est réuni ici au titre de la perspective narrative: point de vue, vision, aspect, focalisation. La littérature critique sur le sujet est particulièrement abondante. On peut y distinguer différentes traditions (anglo-saxonne, allemande, française) et des approches diversifiées (poétique, linguistique). Ce chapitre sera centré sur la théorie des focalisations proposée par G. Genette. Si elle n'est pas la plus rigoureuse, elle reste l'une des plus opératoires pour la lecture des textes. Des compléments seront apportés avec A. Rabatel. Mais il convient d'abord de délimiter les problèmes pour éviter de possibles confusions. I.2. Sens large: point de vue et énonciation Toutes traditions confondues, c'est le terme de point de vue qui est le plus couramment utilisé. Au sens large, certains parlent de point de vue pour qualifier les récits dans leur ensemble. Tout texte narratif témoigne d'un point de vue particulier. Il y a autant de points de vue que de textes. On comprend aisément que le terme n'a que peu d'intérêt dans ce sens. Mieux vaudrait ne l'employer que lorsque l'on peut voir, dans un texte, se dégager un point de vue avec une fonction manifeste et cohérente (Rousset, 30). On parlerait alors de point de vue pour désigner ce que les Anglo-Saxons appellent le ton d'un texte (tone). On pourrait y ranger l'ironie de Flaubert - par exemple lorsqu'il fait le portrait du pharmacien Homais, dans Madame Bovary. Dans ce sens, le terme renvoie surtout au point de vue du narrateur sur son histoire ou ses personnages et englobe ce que certains critiques appellent les intrusions d'auteur: [Il] jeta un coup d'oeil sur son costume, un peu plus riche que ne le permettent en France les lois du goût (Balzac, Gambara). En un sens voisin, on verrait se dégager un point de vue, une vision du monde, de la cohérence et de la tonalité des images, des métaphores repérables dans un texte. Dans un sens un peu moins étendu, enfin, on signalerait comme le font aujourd'hui encore les dictionnaires anglo-saxons (Abrams, 231-236) les différents points de vue tels qu'ils se dégagent d'un récit à la première ou à la troisième personne. Un récit en JE semble limiter le point de vue à celui de JE. Un récit en IL/ELLE permet d'offrir un point de vue plus large. Dans tous ces cas, cependant, ainsi que l'a remarqué Genette, le point de vue a partie liée avec le narrateur [La voix narrative, I], avec celui qui raconte l'histoire, et ressortit donc au problème de l'énonciation narrative. I.3. Sens restreint I.3.1. Focalisation et représentation La focalisation, telle que nous la définissons ici, relève moins de l'énonciation que de la représentation narrative. La notion de représentation désigne le rapport qui s'établit entre le texte narratif et ce qu'il est convenu d'appeler la fiction, la fable, ou l'histoire. Ce rapport est fondamental, car l'histoire, prise en elle-même, est une abstraction: c'est-à-dire que l'action, les personnages et l'univers spatio-temporel qui font la substance des histoires ne se présentent pas spontanément à notre conscience; tous ces éléments doivent nous être communiqués par un truchement concret, par une représentation. On peut raconter quelque chose oralement, par écrit, ou encore par des moyens audio-visuels. L'histoire devient concrète seulement à partir du moment où une forme - tel film, tel roman précis - l'a prise en charge. Ainsi, pour ce qui concerne la représentation littéraire, Genette (1972, 72) distingue la narration (l'acte de raconter), le récit (le texte narratif lui-même, seule réalité tangible pour l'analyse) et l'histoire ou diégèse (l'intrigue telle qu'on peut l'abstraire du récit, mais aussi l'univers spatio-temporel où évoluent les personnages). Dans cette triade, ne relève de la représentation que ce qui touche au rapport du récit et de l'histoire. Par exemple, les événements racontés (histoire) peuvent l'être selon un ordre (récit) différent de l'ordre chronologique. De même, ils peuvent être racontés selon tel ou tel point de vue: [Le récit] peut aussi choisir de régler l'information qu'il livre [...] selon les capacités de connaissance de telle ou telle partie prenante de l'histoire (personnage ou groupe de personnages) (Genette 1972, 183-84). Le lecteur n'accède à l'histoire que par l'intermédiaire de tel protagoniste, dont le champ perceptif, le champ d'action et le savoir sont limités, ce qui le fait ressembler à une sorte de goulot d'information (Genette 1983, 49). Une première définition générale peut donc être donnée: la focalisation désigne le mode d'accès au monde raconté, selon que cet accès est, ou n'est pas, limité par un point de vue particulier. I.3.2. Les trois types de focalisation Il existe plusieurs classifications du point de vue. Celle de Genette repose sur une phénoménologie des états de conscience plutôt que sur des considérations linguistiques; elle se donne ouvertement comme une reformulation, notamment de la classification proposée par T. Todorov. Ainsi, premièrement, on appellera avec Genette focalisation zéro l'absence de point de vue délimité, qui caractérise selon Todorov les récits où le narrateur en dit plus que n'en sait aucun des personnages (N > P). On utilise aussi le terme d'omniscience, puisque le narrateur sait tout de ses personnages et pénètre leurs pensées les plus intimes et leur inconscient. Deuxièmement, on parlera de focalisation interne quand le narrateur ne raconte que ce que sait, voit, ressent un personnage donné (focalisation interne fixe), plusieurs personnages successivement (focalisation interne variable), ou encore quand il revient sur un même événement selon les points de vue de personnages différents (focalisation interne multiple). Toujours ici, l'information donnée coïncide avec le champ de conscience d'un personnage (N = P). Troisièmement enfin, Genette appellera focalisation externe un point de vue strictement limité aux perceptions visuelles (et parfois auditives) d'une sorte de témoin objectif et anonyme dont le rôle se réduirait à constater du dehors ce qui se passe. Dans ce cas, conclura Todorov, le narrateur en dit moins que n'en sait le personnage (N < P). I.4. L'exemple du théâtre Une bonne façon de saisir intuitivement les différences entre ces trois types de focalisation est de considérer la situation théâtrale. Au début d'une pièce de théâtre classique, on peut considérer que le spectateur (ou le lecteur) est dans une position de focalisation externe: il en sait moins que n'en sait chacun des personnages. L'exposition est destinée à inverser cette position et à lui donner toutes les informations requises pour la compréhension de la situation dramatique: le spectateur en sait alors plus que tous les personnages pris isolément. Dans Phèdre, par exemple, il connaît dès l'Acte I l'amour criminel de l'héroïne pour son beau-fils Hippolyte. Le nœud de la pièce donne à voir des rencontres entre personnages plus ou moins informés. Des dupes sont victimes de roués; la lucidité s'oppose à l'aveuglement; c'est l'empire, en d'autres termes, de la focalisation interne variable. Ainsi Thésée, dans Phèdre, va-t-il être le seul à ne rien savoir du crime de l'héroïne: ignorance tragique, puisqu'elle mènera Hippolyte à la mort. Le dénouement, en principe, rétablit les choses dans leur vérité; il offre à chacun des personnages le point de vue surplombant dont le spectateur jouissait dès l'exposition. Ainsi, à la fin de l'Acte V, un ultime aveu de Phèdre arrache-t-il, trop tard, Thésée à son ignorance. Mais reprenons maintenant ces différents types séparément. II. La focalisation interne II.1. Genette: une approche intuitive II.1.1. Le point de vue du personnage Nous envisagerons en premier lieu la focalisation interne parce que c'est par rapport à elle que l'on pourra le plus clairement définir et comprendre les deux autres types de focalisation. Pour Genette, déterminer comment un segment de texte est focalisé revient à savoir où est le foyer de perception (Genette 1983, 43). La réponse est la plus claire en focalisation interne dans la mesure où ce foyer coïncide alors avec le champ de conscience d'un personnage. Autrement dit, il y a focalisation interne lorsque le point de vue est celui du personnage. (1) [Le palais uploads/Litterature/ la-perspective-narrative.pdf
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- Publié le Mar 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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