Revue belge de philologie et d'histoire La lèpre dans l’Angleterre médiévale. À

Revue belge de philologie et d'histoire La lèpre dans l’Angleterre médiévale. À propos d’un livre récent Bruno Tabuteau Citer ce document / Cite this document : Tabuteau Bruno. La lèpre dans l’Angleterre médiévale. À propos d’un livre récent. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 87, fasc. 2, 2009. pp. 365-418; doi : 10.3406/rbph.2009.7678 http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_2009_num_87_2_7678 Document généré le 26/05/2016 BIBLIOGRAPHIE – BIBLIOGRAFIE La lèpre dans l’Angleterre médiévale. À propos d’un livre récent (1) Bruno Tabuteau Université de Picardie Sur la lèpre médiévale, la France avait déjà ses magistrales synthèses historiques, nationale et régionales, produites par Françoise Bériac, puis François-Olivier Touati, dans les années 1980 et 1990 (2). L ’Angleterre a désormais la sienne, grâce au remarquable travail que Carole Rawcliffe a accompli dans cette décennie 2000 (3). Carole Rawcliffe est professeur d’histoire médiévale à l’université d’Est- Anglie. Parmi de nombreuses publications, ses ouvrages sur les hôpitaux de Norwich (The Hospitals of Medieval Norwich, 1995 ; Medicine of the Soul : The Life, Death and Resurrection of an English Medieval Hospital: St Giles’s, Norwich, 1999) et sur la médecine et la société en Angleterre (Medicine and Society in Later Medieval England, 1995) (4) lui ont mérité une réputation (1) Carole RAWCLIFFE, Leprosy in Medieval England, Woodbridge, The Boydell Press, 2006 ; un vol. in-8°, XIII-421 p. (2) Françoise BÉRIAC, Histoire des lépreux au Moyen Âge. Une société d’exclus, Paris, Imago, 1988, 278 p. ; EAD., Des lépreux aux cagots. Recherches sur les sociétés margina- les en Aquitaine médiévale, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 1990, 530 p. ; François-Olivier TOUATI, Maladie et société au Moyen Âge. La lèpre, les lépreux et les léproseries dans la province ecclésiastique de Sens jusqu’au milieu du XIV e siècle, Paris- Bruxelles, De Boeck Université, 1998, 866 p. ; ID., Archives de la lèpre. Atlas des léprose- ries entre Loire et Marne au Moyen Âge, Paris, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifi ques, 1996, 394 p. (3) Voir aussi, en Belgique, Walter DE KEYZER, La lèpre en Hainaut. Contribution à l’histoire des lépreux et des léproseries, du XIIe au XVIe siècle, thèse de doctorat de phi- losophie et lettres (histoire), inédite, Université libre de Bruxelles, 1992, 708 p. ; ID. et al., La lèpre dans les Pays-Bas (XIIe-XVIIIe siècle), Bruxelles, Archives générales du Royaume, 1989, 141 p. Et, pour la Suisse, Piera BORRADORI, Mourir au Monde. Les lépreux dans le Pays de Vaud (XIIIe-XVIIe siècle), Lausanne, 1992 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 7), 246 p. (4) Carole RAWCLIFFE, The Hospitals of Medieval Norwich, Norwich, Centre of East Anglian Studies, 1995, 192 p. ; EAD., Medicine of the Soul : The Life, Death and Resur- rection of an English Medieval Hospital: St Giles’s, Norwich, c. 1249-1550, Stroud, Sutton Publishing, 1999, 320 p. ; EAD., Medicine and Society in Later Medieval England, Stroud, Sutton Publishing, 1995, 241 p. Revue Belge de Philologie et d’Histoire / Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 87, 2009, p. 365–418 B. TABUTEAU 366 internationale d’historienne de la médecine et des hôpitaux dans son pays au Moyen Âge, réputation que son dernier livre sur la lèpre ne démentira pas. Ce livre « changera pour toujours l’image de la lèpre médiévale », proclame l’éditeur, avec quelque emphase, au rabat de la jaquette, vantant ainsi « la première étude académique sérieuse sur une maladie entourée d’idées fausses et de préjugés ». Et de citer, par exemple, les poncifs du XIXe siècle sur la ségrégation des lépreux au Moyen Âge, la grande ambivalence, plutôt, des attitudes à leur égard, une austérité des léproseries mesurée à l’aune de leurs modèles monastiques, la validité du diagnostic et la large gamme des traitements médicaux de la maladie, ou encore la combinaison complexe des divers facteurs de son déclin. Toutes choses susceptibles de surprendre même les spécialistes, souligne-t-on. Telle affi rmation, au delà de préoccupations purement promotionnelles, n’étant, il est vrai, pas dénuée de fondement en ce qui concerne nombre d’historiens dont les maladies, la lèpre en particulier, n’entrent pas absolument dans le champ du savoir. Il est rappelé, pourtant, que l’histoire de la maladie croise des plans multiples : biologique, environnemental et médical ; social, économique et juridique ; religieux et culturel. Le livre de Carole Rawcliffe consacre, en Grande-Bretagne, le renouvellement de la recherche, par ailleurs général dans l’Europe du Nord- Ouest, depuis les années 1980, sur une maladie emblématique du Moyen Âge – et une de ces maladies qui sont des faits sociaux majeurs, partant des observatoires privilégiés et dynamiques des sociétés du passé. L ’auteur ne manque pas, au demeurant, dans ses remerciements et derechef dans son introduction, de se référer à des travaux qui, à ses yeux, ont marqué une rupture historiographique déterminante pour toute étude nationale postérieure, ceux de F.-O. Touati, dont elle salue la méthode interdisciplinaire, la révision des stéréotypes et l’aspiration à une « histoire totale » (en français dans le texte). Mais d’autres chercheurs participent à la nouvelle histoire de la lèpre, au rang desquels l’Américain Luke Demaitre, qui a beaucoup contribué à transformer, dans l’historiographie anglo-saxonne, la connaissance des approches médicales de cette maladie au Moyen Âge, spécialement dans un livre paru seulement quelques mois après celui de Carole Rawcliffe, sur la lèpre avant la médecine moderne (Leprosy in Premodern Medicine) (5). L ’ouvrage de David Marcombe sur les chevaliers de Saint-Lazare en Angleterre (Leper Knights) et, auparavant, la thèse de Max Satchell sur l’apparition des léproseries dans l’Angleterre médiévale, témoignent aussi, quant à eux, de la qualité des études britanniques de la décennie écoulée (6). Dès l’introduction, l’auteur pose enfi n clairement la question du vocabulaire à appliquer aux lépreux du Moyen Âge. Elle justifi e l’usage qu’elle fait dans son livre du terme ordinaire de « lepers », plutôt que d’une quelconque expression anachronique ou euphémique désignant ceux qui souffrent de la maladie de Hansen (« sufferers from Hansen’s disease »). Intellectuellement (5) Luke DEMAITRE, Leprosy in Premodern Medicine. A Malady of the Whole Body, Baltimore, The John Hopkins University Press, 2007, 323 p. (6) David MARCOMBE, Leper Knights : The Order of St Lazarus of Jerusalem in Eng- land, c.1150-1544, Woodbridge, The Boydell Press, 2003, 342 p. ; Max SATCHELL, The Emergence of Leper-Houses in Medieval England, thèse de doctorat de philosophie (his- toire), inédite, Université d’Oxford, 1998, 476 p. LA LÈPRE DANS L ’ANGLETERRE MÉDIÉVALE 367 rigoureuse et non pas insensible au sort de ses congénères, l’historienne a résolu de ne pas sacrifi er à une dérive contemporaine, dans un monde anglo- saxon infl uent, qui consiste à bannir systématiquement de tout discours et de toute publication, y compris historiques, y compris traduits d’autres langues, le mot anglais « leper » – plus lourdement connoté que le français « lépreux », à ce qu’il semble –, par crainte d’ajouter à la stigmatisation des malades, sur la recommandation expresse de l’Organisation Mondiale de la Santé. Nous saluerons, ici, la position de notre collègue, frappée au coin du bon sens. Son ouvrage est traversé par le souci d’ajuster les mots à leurs objets, essentiel, en effet, en histoire des maladies. L ’index général – qui mêle, sur vingt pages, onomastique et thématique – le formalise in fi ne. On y notera la distinction faite entre la maladie de Hansen telle qu’elle est défi nie par les cliniciens d’aujourd’hui, la s¯ ara‘ath biblique, l’elephantia de l’Antiquité gréco-romaine, la judh¯ am « musulmane » et surtout la lepra médiévale, outre la lèpre spirituelle, associée à divers péchés. Mais les léproseries et quelques hôpitaux et aumôneries ont leur propre index, sur quatre pages, qui les indique par leur toponymie et qui clôt le livre. Les index sont précédés d’une copieuse bibliographie de trente-six pages, débutant par une sobre liste, toutefois, de sources manuscrites. L ’auteur s’est principalement servi de sources éditées. Pour le reste, si la bibliographie est évidemment nettement dominée par la production britannique, les titres étrangers y sont également bien représentés. Sept chapitres partagent l’ouvrage, de trente à soixante pages chacun, une cinquantaine le plus souvent. Ils sont dûment annoncés dans l’introduction, laquelle s’ouvre par le tableau sommaire de l’épidémiologie historique de la lèpre et des caractéristiques de cette maladie. On y découvre d’emblée une chronologie des commencements en Angleterre assez comparable à celle du continent, avec un témoignage archéologique originel que serait le squelette d’un lépreux exhumé d’une nécropole brito-romaine du IVe siècle, à Dorchester, puis l’absence d’institution connue pour ce type de malade avant la conquête normande au XIe siècle. Le premier chapitre, le moins long, disserte sur la construction historiographique du XIXe siècle, qui nous a légué le cliché du lépreux paria d’un âge d’obscurantisme. Les quatre suivants fonctionnent sur un mode binaire, mettant en balance le corps et l’âme, le malade et le valide, le prêtre et le médecin, la médecine et la chirurgie, pour traiter respectivement des idées médiévales sur les causes de la lèpre, des réactions face à la souffrance, du problème du diagnostic et de la lutte contre la maladie. Les deux derniers portent sur les lépreux dans la société et sur uploads/Litterature/ la-lepre-dans-l-angleterre-medievale-a-p.pdf

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