DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005, p. 70-75 DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 20

DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005, p. 70-75 DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005 1 pf – août 2011 Notre petite voix intérieure commence à se faire entendre Longtemps, les chercheurs ont négligé la musique des mots qui résonne dans notre tête lorsque nous lisons en si- lence. Elle serait pourtant essentielle à la compréhension d'un texte! Mieux, elle faciliterait l’apprentissage de la lecture… Par Coralie Hancok Avez-vous déjà écouté votre petite voix intérieure ? Avez-vous prêté attention à cette sonorité virtuelle que vous êtes en train de faire résonner dans votre tête si vous lisez ce texte en silence? Les scientifiques/en tout cas, commencent enfin à le faire. Enfin, car cette petite voix inté- rieure ne fut longtemps rien d'au- tre pour eux qu'un simple reliquat de l'apprentissage de la lecture, un "effet phonologique" marginal et sans grand intérêt induit par notre habitude acquise dans l'enfance de lire à voix haute. A tort, révèlent aujourd'hui plu- sieurs études menées, ces der- nières années, aussi bien par des neurologues que par des psychologues. Car ces travaux en témoignent sans la moindre ambiguïté : la lecture silencieuse est essentielle dans notre rapport à l'écrit. L'HISTOIRE L’A SOUS- ESTIMÉE Élément clé de la lecture ex- perte, elle est même au cœur du développement de processus cognitifs spécifiques qui permet- tent d'associer automatiquement un sens à des formes tracées sur le papier. Pas moins. Cette im- portance de la lecture silen- cieuse est pourtant connue de- puis longtemps. Mais les histo- riens l'ont eux aussi sous- estimée: pour expliquer sa géné- ralisation dans la civilisation oc- cidentale à partir du VIe siècle, ce sont des raisons extérieures au processus lui-même qu'ils avancent. Des raisons pratiques (les moines copistes se devaient de travailler sans bruit), philoso- phiques (la lecture individuelle est plus propice à la méditation) et techniques (l'introduction au VIIe siècle d'un espace entre les mots facilite la lecture silen- cieuse). Or, pour être pertinen- tes, ces explications cachent l'essentiel : si la lecture silen- cieuse s’est tellement répandue, c'est d'abord parce qu'elle est plus efficace. C'est ce que souli- gnait Richalm, moine cistercien du XIIIe siècle, lorsqu'il racontait Contexte Alors qu'il y a de plus en plus d'enfants en difficulté d'apprentis- sage de la lecture, alors que les diverses méthodes qui se sont succédé depuis trente ans - glo- bale, semi-globale ou ; mixte - ne cessent d'être mises en cause, alors que le gouvernement vient de faire passer une loi censée faire de la maîtrise de la lecture un des piliers de l'éducation, psychologues et neurologues s'accordent à reconnaître que la "petite voix intérieure" qui se fait entendre lors d'une lecture silen- cieuse est un élément clé pour la lecture experte. Une indication précieuse pour les pédagogues. L'imagerie cérébrale montre une différence sensible d'activité entre la lecture silencieuse (à g.) et la lecture à voix haute (à dr.) qui témoigne d'une modifi- cation de la perception des mots lus. DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005, p. 70-75 DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005 2 pf – août 2011 comment des démons le forcè- rent à lire à voix haute, l'arra- chant ainsi à l'entendement inté- rieur et à la spiritualité : les bons lecteurs comprennent mieux un texte quand ils le lisent dans leur tête que lorsqu'ils le lisent à haute voix (alors que c'est l’inverse pour les lecteurs débu- tants). Mais quel est le proces- sus cognitif qui permet de faire résonner ainsi dans notre tête des sonorités virtuelles ? Com- ment se met-il en place ? Et pourquoi est-il si efficace ? Les réponses, qui commencent enfin à être connues, s'avèrent terri- blement instructives ! Pour com- prendre, il faut d'abord se trans- porter en 2001. A cette époque, alors qu'elles étudient des en- fants de différents âges, Su- zanne Prior et Katherine Welling, chercheurs en psychologie à l'université de Frédéricton (Ca- nada), démontrent ce que l'on supposait déjà : la lecture silen- cieuse ne se développe qu'après la lecture à haute voix. Plus pré- cisément, elles ont repris la théo- rie du sociologue soviétique Lev Semenovitch Vygotsky mort en 1934, selon lequel "tout acte cognitif a d'abord une fonction sociale avant d'être intériorisé". Dans ces travaux, Vygotsky dé- montrait en effet que les enfants apprennent à parler pour entrer en contact avec les autres avant d'intérioriser ce langage et de se parler à eux-mêmes. UNE « FORME SONORE DES MOTS" Pour les deux psychologues, la lecture silencieuse relève du même processus : on lit d'abord à haute voix pour les autres (pour l'institutrice, par exemple), avant de lire en silence pour soi- même, ce passage à la lecture silencieuse ne se faisant qu'après avoir acquis les auto- matismes de la lecture oralisée. Sauf que ce passage est un pro- cessus plus complexe que prévu. A l'origine, Suzanne Prior et Ka- therine Welling pensaient en effet simplement démontrer trois choses : que les enfants de 7 ans comprennent mieux en lisant à voix haute, que ceux de 8 sont en période de transition et que ceux de 9 comprennent mieux quand ils lisent dans leur tête. Or, leurs résultats vont leur ré- server une surprise : les enfants de 9 ans présentent des scores de lecture inférieurs en lecture silencieuse ! Autrement dit, la difficulté d'apprentissage de cette technique de lecture aurait été jusqu'ici sous-estimée : "Trois ou quatre années de lec- ture ne constituent pas un temps suffisant d'exposition à la lecture pour que l'intériorisation ait lieu", concluent les deux psycholo- gues. Ce qui est en accord avec la théorie de Vygotsky, pour qui "l’internalisation apparaît seule- ment après de nombreuses op- portunités d'apprentissage". L'imagerie cérébrale a permis de comprendre pourquoi cet ap- prentissage est si difficile; Cathy Priée, de l'Institut de neurologie de Londres, a en effet montré en 2000 que l'activité cérébrale diffère entre lecture silencieuse et lecture à haute voix, alors que les zones activées sont à peu près les mêmes lorsqu'on lit à haute voix et lorsqu'on entend quelqu'un nous lire un texte (voir images, p. 1). En clair, la lecture silencieuse n'est nullement une simple copie dans notre tête de la lecture à haute voix. Il se passe quelque chose de particu- lier dans le cerveau. Une sorte de transformation de notre per- ception. Et d'après Suzanne Prior et Katherine Welling, c'est justement cette transformation de notre perception qu'exploitent les bons lecteurs. Il suffit d'ail- leurs de s'observer lire en si- lence pour se rendre compte que la lecture devient partielle, pré- dictive et donc plus rapide, qu'en La lecture silencieuse produit quelque chose de « particulier » dans le cerveau. Ces tests, mis au point par Johannes Ziegler, doivent être réalisés en silence et le plus rapidement possible pour met- tre en valeur toute l'impor- tance de la lecture silencieuse. 1- Quelles sont les couleurs des lettres suivantes ? ABCD, ABCD, ABCD, ABCD ABCD, ABCD, ABCD, ABCD VERT, ROUGE, JAUNE, BLEU JAUNE, ROSE, JAUNE, ROUGE Testez votre petite voix intérieure 3- Les mots suivants sont-ils des mots français ? Hasard, exul, lecture, guène, mus- tre, voix, silance, paine. 4- Combien de fois la lettre « c » apparaît-elle dans ce texte ? Phèdre, héroïne grecque, offrit son cœur à son beau-fils Hippolyte. Contrariée qu'il ait décliné son offre, elle se tue et accuse dans un cour- rier le scélérat d'avoir tenté de la corrompre. La scène où Thésée découvre la lettre de sa . compagne a conduit un scientifique à démon- trer que la lecture muette existait dès l'Antiquité. DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005, p. 70-75 DÉCODAGE - SCIENCE & VIE, juin 2005 3 pf – août 2011 fait on ne lit plus tous les mots, qu'on en anticipe certains... En quoi consiste exactement cette transformation de la perception? Pour Johannes Ziegler, jeune chercheur en psychologie cogni- tive à l'université de Provence, qui travaille sur le sujet de- puis dix ans, la clé tient en trois mots : l'accès à la "forme sonore des mots". C'est, en tout cas, ce qu'ont démontré les surprenan- tes expériences qu'il a menées ces dernières années. MÊME LES IDÉOGRAMMES... Des exemples ? Lors d'un test, des sujets devaient regarder des mots s'affichant sur un écran et dire s'ils étaient français, leur temps de réponse étant chrono- métré (test 1). Eh bien, statisti- quement, ils ont mis plus de temps et fait plus d'erreurs sur le mot "balaine" que sur le mot "baloine". Aucun des deux n'existe en français, mais, ins- tinctivement, les sujets ont en- tendu le son d'un mot qui existe ("baleine"), ce qui a retardé leur réponse. Pour le jeune chercheur d'origine allemande, voilà qui montre que "l'information phono- logique influence la lecture de façon automatique et quasi irré- pressible". Et ce, même quand cela joue contre nous... Autre test : Johannes Ziegler a présen- té un "mot amorce" pendant un laps de temps d'environ 50 milli- secondes, c'est-à-dire trop bref pour pouvoir être identifié, puis un "mot cible", que le sujet devait lire. Résultat : il a uploads/Litterature/ la-guide-du-prof-un-article-interessant.pdf

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