Du même auteur L’Équivoque épistolaire, Minuit, 1990 Poétique des groupes litté

Du même auteur L’Équivoque épistolaire, Minuit, 1990 Poétique des groupes littéraires, PUF, 1997 Guy Debord. La révolution au service de la poésie, Fayard, 2001 Ménage à trois. Littérature, médecine, religion, Septentrion, 2007 Ce livre est publié dans la collection « La couleur des idées » ISBN 978-2-02-104855-1 © Éditions du Seuil, mars 2011 www.seuil.com Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo Table des matières Couverture Table des matières Introduction 1 - Pouvoir absolu Autonomie De l’autonomie à la théorie Extension du champ Réflexivité La mort de l’auteur : intérêts posthumes Mort de l’auteur : modalités d’application 2 - La théorie littéraire au service de la révolution L’horizon révolutionnaire Les origines formalistes Matérialisme Prestige de la production Collectivisations La mort du lecteur Passages à l’acte 3 - Esthétique de la subversion Équivoques de la « pensée 68 » La révolution rêvée mot à mot Le code et sa dénonciation Contre la représentation Transgressions Le prolétaire sémiotisé 4 - Conclusion : considérations médiologiques Début et fin Basculement Résistances Fétichisations Le livre sans fin L’utopie déçoit 5 - Entretiens Jonathan Culler Ottmar Ette Gérard Genette Jean-Joseph Goux Werner Hamacher Julia Kristeva Sylvère Lotringer J. Hillis Miller Michel Pierssens Jean Ricardou Avital Ronell Élisabeth Roudinesco Philippe Sollers Karlheinz Stierle Tzvetan Todorov Index Introduction Le déclin de la littérature est à l’ordre du jour. Elle en a l’habitude. Aux nombreux responsables incriminés au cours des dernières années s’est ajoutée la réflexion théorique sur la littérature, en vogue des années 1960 aux années 1980, ainsi que les œuvres auxquelles celle-ci s’est intéressée. On ne lit plus ? Il n’y a plus de grandes œuvres ? Ce serait la faute à Mallarmé ou, du moins, au structuralisme. Le diagnostic est suggéré en particulier par Tzvetan Todorov, dans un essai intitulé La Littérature en péril publié en 2007. Il pourrait étonner de la part d’un des principaux acteurs de l’aventure théorique, qui a été au cœur du structuralisme littéraire, qui a fait connaître les formalistes russes en France et qui a fondé, avec Gérard Genette, la revue Poétique et la collection éponyme. T. Todorov donne cependant une portée précise et limitée à sa critique : c’est surtout dans le domaine de l’enseignement de la littérature que le discours théorique ferait des dégâts, parce qu’il y serait une fin en soi plutôt qu’un moyen ou une simple méthode. De quoi souffre la littérature telle qu’elle s’enseigne aujourd’hui en France ? D’être réduite à ses paramètres formels et linguistiques, ou encore à un « objet langagier clos, autosuffisant, absolu 1 » et d’être coupée du monde de l’expérience. L’actuelle hégémonie de l’approche théorique dans les lycées priverait en somme la littérature de son humanité. Elle aurait également préparé le terrain pour le nihilisme qui caractérise le champ littéraire contemporain. Faut-il penser ici à Michel Houellebecq ? À Frédéric Beigbeder ? En tout cas, c’est encore la faute à Mallarmé et à ses héritiers structuralistes. On pourrait sans doute donner raison à T. Todorov si le débat ne concernait que l’enseignement de la littérature dans les lycées. Mais le propos de La Littérature en péril n’est-il pas d’une autre portée ? Si cet essai retrace une généalogie au demeurant très éclairante de la conception réflexive de la littérature, est-ce seulement pour rappeler à la raison des professeurs de lycée égarés dans la théorie, ou leurs supérieurs hiérarchiques au ministère ? Il y a bien chez T. Todorov une volonté de défendre de manière plus générale une idée de la littérature qui accentue des distances prises par lui depuis de nombreuses années avec la mouvance structuraliste des années 1960 et 1970 2. De fait, il rejoint sur un certain nombre de points les hypothèses développées par William Marx deux ans plus tôt dans un essai intitulé L’Adieu à la littérature 3, qui ne se situe plus du tout dans le champ restreint de l’enseignement de la littérature. C’est bien ici toute l’histoire de la littérature moderne qui est présentée comme celle d’une dévalorisation, imputable à sa constitution délibérée en un champ autonome. C’est toujours la faute à Mallarmé mais aussi, avant lui, celle à Baudelaire et à Flaubert. Tous sont coupables d’avoir choisi l’« art pour l’art » et l’irresponsabilité sociale, épinglée en somme à juste titre par l’inoubliable procureur Pinard au moment des procès intentés à Baudelaire et Flaubert. Les fossoyeurs de la littérature sont ceux qui en ont fait leur exclusive passion. Ils l’ont aimée, mais trop jalousement. Pour lui éviter toute forme d’instrumentalisation, ils l’ont interdite de vie sociale, ils lui ont imposé la « grève devant la société », selon l’expression de Mallarmé 4. Ils l’ont repliée sur elle-même, ils l’ont contrainte à la réflexivité et à un interminable et dévastateur tête-à- tête dont elle ne se serait jamais remise. La théorie littéraire et ses auteurs « fétiches » ont-ils véritablement réduit le texte littéraire à un objet langagier clos et coupé de la réalité ? Ne lui ont-ils prêté aucun sens, aucune fonction sociale ou même politique ? Toute la question est là, qui justifie ce livre, dont la première raison est ainsi celle d’un rappel, dans un contexte où l’hégémonie des approches théoriques-formelles n’est pas frappante, c’est le moins qu’on puisse dire. Ignorée depuis très longtemps par la plupart des éditeurs et encore plus obstinément par les médias, la mouvance théorique, qui a d’ailleurs toujours été minoritaire dans les universités françaises, même en ses plus beaux jours structuralistes 5, a largement disparu de l’agenda des études littéraires universitaires, et ceci depuis pas mal de temps. On peut se demander comment, dans ces conditions, elle pourrait peser durablement sur le destin de la culture littéraire, au-delà de son éventuelle survivance dans les lycées. On n’a pas non plus constaté que Maurice Blanchot, Claude Simon, Raymond Roussel, Antonin Artaud ou encore Lautréamont, pour prendre des écrivains qui ont été chacun à leur manière emblématiques de la période incriminée, ont été très souvent au programme des baccalauréats ou des agrégations. Quant à la responsabilité de la théorie littéraire dans l’avènement d’une littérature nihiliste, elle reste floue. Comment passe-t-on d’une constellation qui a incontestablement cru à l’efficacité de la littérature et qui a multiplié autour d’elle les justifications progressistes, voire révolutionnaires, au nihilisme ? Il faudrait pour le moins imaginer un certain nombre de relais à une telle évolution, ou alors, plus simplement, d’autres causes. Ce qui frappe plus généralement dans ces débats comme dans d’autres, c’est la recherche de responsables, voire de boucs émissaires pour expliquer un « déclin » ou une « crise » de la littérature. Tout se passe comme s’il aurait suffi que Mallarmé et quelques autres – quand même assez nombreux – n’aient jamais existé pour que tout continue de bien aller, pour que la littérature continue d’être ce qu’elle était du temps de Lamartine et de Victor Hugo : prestigieuse, populaire, éducative et humaniste. C’est toute son histoire moderne qui aurait pu être écrite autrement s’il ne s’était pas trouvé quelques saboteurs plus ou moins inconscients pour la faire dérailler et prendre la mauvaise direction. Mais fait-on de la bonne histoire littéraire avec des « si seulement… » ? Il faudrait notamment mesurer à cet égard la part de la concurrence entre les discours littéraires et d’autres discours, d’autres savoirs, d’autres figures de l’autorité et d’autres médias 6. Qu’est-ce que la situation actuelle de la littérature doit à la montée en puissance de l’autorité de la science ou plus récemment à celle de l’économie ou de la technologie ? Ou à la perte d’autorité des institutions en charge de l’éducation, à la dévalorisation de leur fonction de transmission 7 ? Ou encore, et dès la seconde partie du XIXe siècle, à l’avènement d’une culture dite « de masse » ? Ou enfin, et cela me paraît essentiel, à la concurrence de nouveaux médias, au passage de la graphosphère à la vidéosphère, et plus récemment au basculement dans l’hypersphère, pour reprendre ici des termes popularisés par Régis Debray 8 ? Et si tout cela était moins la faute à Mallarmé qu’aux Smartphones et à Internet, dont les jeunes générations, aujourd’hui les plus assidues en matière de grève de la lecture littéraire, privilégient les charmes interactifs aux dépens de ceux de nos classiques ? Le basculement de la graphosphère dans la vidéosphère puis dans le monde du numérique mériterait en tout cas de figurer en bonne place parmi les causes d’un éventuel déclin de la littérature, fût-ce au prix de la révision de la responsabilité de la mouvance structuraliste. On se penchera sur cette question dans le dernier chapitre de ce livre. Un des objectifs de cet ouvrage est de montrer que la théorie littéraire n’a pas été l’agent d’un irréversible déclin de la littérature, fatalement engagé par d’illustres prédécesseurs, mais au contraire un moment de résistance à l’avènement d’une société « spectaculaire » 9 dans laquelle le sens, la fonction et la place de la littérature ont été considérablement modifiés et pour le coup dévalorisés. Elle peut être considérée comme une réaction à uploads/Litterature/ la-faute-a-mallarme-laventure-de-la-theorie-litteraire-laventure-de-la-theorie-litteraire-vincent-kaufmann.pdf

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