Argumentation et Analyse du Discours 3 | 2009 Ethos discursif et image d’auteur
Argumentation et Analyse du Discours 3 | 2009 Ethos discursif et image d’auteur La double nature de l’image d’auteur The double nature of the author’s image Ruth Amossy Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/aad/662 DOI : 10.4000/aad.662 ISSN : 1565-8961 Éditeur Université de Tel-Aviv Référence électronique Ruth Amossy, « La double nature de l’image d’auteur », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 octobre 2009, consulté le 23 septembre 2019. URL : http:// journals.openedition.org/aad/662 ; DOI : 10.4000/aad.662 Ce document a été généré automatiquement le 23 septembre 2019. Argumentation & analyse du discours est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. La double nature de l’image d’auteur The double nature of the author’s image Ruth Amossy Introduction 1 Sans entrer dans la discussion des divers sens attribués au fil du temps au terme « auteur », ni revenir sur les rôles que l’instance auctoriale a pu jouer du Moyen Age à nos jours, on s’interrogera sur ce que peut signifier aujourd’hui l’« image d’auteur ». Principalement, on se demandera dans quelle mesure la mise en rapport de cette notion avec celle d’ethos rhétorique permet une meilleure compréhension du fait littéraire envisagé dans ses aspects discursifs et institutionnels. 2 Pour ce faire, il faut prendre en compte non pas la personne réelle de celui qui signe une œuvre, mais bien plutôt sa figure imaginaire. Il s’agit d’une image discursive qui s’élabore aussi bien dans le texte dit littéraire que dans ses alentours, en l’occurrence dans des discours d’accompagnement comme la publicité éditoriale ou la critique. Ce sont là deux régimes d’images qu’on sépare souvent en vertu de la division et de la hiérarchie généralement établies entre l’œuvre littéraire et les métadiscours qui s’y réfèrent. En-dehors de toute question d’évaluation, il importe effectivement de les distinguer dans la mesure où les images de soi projetées par l’écrivain ne sont pas du même ordre que les représentations de sa personne élaborées par des tiers. Il faudra donc en un premier temps décrire et sérier ces différents types d’images discursives, tout en posant leur étroite interdépendance. On partira de l’hypothèse que la façon dont elles se croisent et se combinent influe sur l’interaction du lecteur avec le texte, d’une part, et sur leurs fonctions dans le champ littéraire, d’autre part. 3 Les pages qui suivent passent en revue ce triple aspect de la question : elles posent d’abord la notion d’image d’auteur comme représentation discursive élaborée en- dehors de l’œuvre pour appeler à une étude systématique de cette problématique dans les divers genres de discours où elle se met en place. Elles expliquent et légitiment La double nature de l’image d’auteur Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009 1 ensuite la notion d’« ethos auctorial » en la situant dans l’espace des théories développées au sein des études littéraires comme de l’AD. Enfin, elles suggèrent quelques pistes pour articuler les ethè auctoriaux et les images d’auteur produites en- dehors de l’œuvre fictionnelle à la fois dans le champ et dans la communication littéraires à partir d’un exemple précis. Dans l’état actuel de la question, ce travail avoue en toute modestie son caractère programmatique. 1. Aux alentours de l’œuvre Les images d’auteur produites par une tierce personne 4 Le « retour de l’auteur » (Burke 1992), après sa « mort » proclamée par Barthes (1968) et son élimination des études de narratologie, a été maintes fois commenté et je ne m’y étendrai pas. Notons simplement que cette résurrection n’affecte que la réflexion critique : les interdits de la recherche savante n’ont jamais empêché le foisonnement des discours sur l’auteur dans la sphère publique. Une production abondante est restée et reste consacrée à la mise en scène des personnages d’auteur à l’intention du public intéressé à mieux connaître un écrivain célèbre ou à se familiariser avec quelque romancier érigé en vedette. 5 Ainsi s’élaborent et circulent des discours qui esquissent une figure imaginaire, un être de mots auquel on attribue une personnalité, des comportements, un récit de vie et, bien sûr, une corporalité soutenue par des photos et par des apparitions télévisées. L’image au sens littéral, visuel du terme se double donc d’une image au sens figuré. Elle comporte deux traits distinctifs : (1) elle est construite dans et par le discours, et ne se confond en rien avec la personne réelle de l’individu qui a pris la plume ; il s’agit de la représentation imaginaire d’un écrivain en tant que tel. (2) Elle est essentiellement produite par des sources extérieures et non par l’auteur lui-même : il y a représentation de sa personne, et non présentation de soi. C’est en quoi elle se distingue de l’ethos discursif, ou image de soi que le locuteur produit dans son discours (Amossy 1999). 6 La production d’une image d’auteur dans le discours des médias et de la critique obéit à des impératifs divers, correspondant aux fonctions qu’elle est censée remplir dans le champ littéraire. Elle peut être promotionnelle – on contribue au succès d’un roman en « vendant » l’image de son auteur : lors de la parution des Bienveillantes (2006), on a mis en valeur l’image du jeune américain qui a choisi de rédiger son premier roman, 900 pages, en français. Elle peut être plutôt culturelle que commerciale. Les journaux viennent satisfaire le désir de connaître une vedette nouvelle, ou une personnalité du monde des lettres dont la vie peut susciter la curiosité ou l’intérêt en-dehors de toute intention de lecture. Combien ont discuté de Littell sans même feuilleter l’épais volume publié chez Gallimard ? Dans ce contexte l’image d’auteur alimente les conversations qui construisent une sphère culturelle en règle générale réservée aux privilégiés, et dont il ne faut pas sous-estimer l’importance dans le champ littéraire. Lorsqu’il ne s’agit plus de promotion éditoriale ou de contribution à la sphère culturelle, l’image d’auteur participe de la gestion du patrimoine, souvent sur le mode savant. Il importe de rassembler et de synthétiser ce qui gravite autour du nom d’un écrivain consacré – Balzac, Breton, Malraux, Gracq, aujourd’hui Annie Ernaux ou Pascal Quignard - pour prodiguer un savoir en enrichissant les figures du Panthéon littéraire. Last but not least, La double nature de l’image d’auteur Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009 2 l’image d’auteur produite en-dehors du texte intervient directement dans la communication littéraire. Elle permet à l’amateur de lettres d’approcher celui dont il a aimé (ou éventuellement détesté) l’œuvre pour mieux pénétrer (ou vitupérer) celle-ci. Dans cette perspective, les fonctions remplies par l’image d’auteur ne se limitent pas au plan institutionnel : elles peuvent modeler la relation personnelle que le lecteur noue au texte. 7 S’imposant dans le champ littéraire sous des formes variées selon les objectifs visés, cette production discursive se coule dans divers moules génériques appropriés à cet effet. L’image d’auteur se plie ainsi aux règles de la publicité éditoriale qui présente un livre nouveau, ou de la quatrième de couverture. Elle se développe selon d’autres modalités dans la critique journalistique, dans les émissions télévisées, mais aussi, lorsque le statut de l’écrivain le permet, dans la critique savante et les biographies. Ces genres de discours, encore peu étudiés dans une perspective d’AD, méritent de faire l’objet d’investigations plus poussées qui en dégagent les règles et le fonctionnement. L’image d’auteur y est toujours construite par les autres, professionnels, critiques, biographes, etc. qui mettent en place une représentation de l’écrivain sur laquelle celui-ci n’a aucune prise directe. L’image de soi que l’auteur construit dans ses métadiscours 8 Seuls quelques genres, comme l’entretien d’auteur, lui permettent une présentation de soi qu’il peut tenter de gérer au sein d’une interaction régulée avec l’interviewer. Les écrivains se prêtent avec plus ou moins de bonne grâce à cet exercice, où l’image qu’ils entendent projeter d’eux-mêmes doit être incessamment négociée avec leur partenaire, journaliste, interviewer professionnel ou figure plus ou moins dominante de la scène culturelle. Je renvoie au travail de Galia Yanoshevsky (2004, 2006), qui montre bien comment l’image de l’auteur est gérée dans la dynamique de l’interaction où, malgré la coopération de mise dans ce type d’échange, elle risque à tout moment d’échapper à la maîtrise de l’interviewé. 9 Cette dernière remarque laisse supposer que l’écrivain n’est pas indifférent à son « image d’auteur » et qu’il désire, dans une certaine mesure au moins, la contrôler. Cela s’applique également aux écrivains qui, comme Beckett ou Julien Gracq, entendent effacer autant que possible la présence de la personne à l’origine du texte, et que des pratiques institutionnelles tendent néanmoins à faire dévier de la voie qu’ils se sont tracée. C’est que l’écrivain doit, bon gré mal gré, sciemment ou involontairement, se situer dans le monde des Lettres – se positionner dans le champ littéraire – et que son image d’auteur joue un rôle non négligeable dans la position qu’il occupe ou qu’il désire occuper. D’où la tentative de reprendre possession de ce qui se dit de lui pour uploads/Litterature/ la-double-nature-de-l-x27-image-d-x27-auteur-argumentation-et-analyse-du-discours.pdf
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- Publié le Apv 16, 2022
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