Cahiers de civilisation médiévale L'image du roi dans le Roman de Renart Xavier
Cahiers de civilisation médiévale L'image du roi dans le Roman de Renart Xavier Kawa-Topor Abstract In the Roman de Renart, tricks of language and the language of tricks make up the two main aspects of a sole plan of transgression and perversion of the rules : the rules of writing and speach, as well as ethical and social rules. Despite the apparent gratuitousness of subject, satire and parody of the period, Renart heavily criticizes power and its Systems of représentation. At the beginning of the 13th century, the Consolidated power of royalty départs from its mythical image. By removing the lion, the fox accedes to the throne. Résumé Dans le Roman de Renart, ruse du langage et langage de la ruse constituent les deux facettes d'un unique dessein de transgression et de perversion des lois : lois de la représentation autant que lois morales et sociales. Au-delà d'une apparente gratuité de l'écriture ou de traits satiriques et parodiques ponctuels, Renart pose un regard puissamment critique sur le pouvoir et ses systèmes de représentation. Au seuil du XIIIe s., l'autorité royale renforcée s'éloigne de son modèle mythique. Évinçant le lion, le renard accède au trône. Citer ce document / Cite this document : Kawa-Topor Xavier. L'image du roi dans le Roman de Renart. In: Cahiers de civilisation médiévale, 36e année (n°143), Juillet- septembre 1993. pp. 263-280; doi : https://doi.org/10.3406/ccmed.1993.2564 https://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1993_num_36_143_2564 Fichier pdf généré le 25/03/2019 * Xavier KAWATOPOR L'image du roi dans le Roman de Renart* Résumé Dans le Roman de Renart, ruse du langage et langage de la ruse constituent les deux facettes d'un unique dessein de transgression et de perversion des lois : lois de la représentation autant que lois morales et sociales. Au-delà d'une apparente gratuité de l'écriture ou de traits satiriques et parodiques ponctuels, Renart pose un regard puissamment critique sur le pouvoir et ses systèmes de représentation. Au seuil du xme s., l'autorité royale renforcée s'éloigne de son modèle mythique. Évinçant le lion, le renard accède au trône. In the Roman de Renart, tricks of language and the language of tricks make up the two main aspects of a sole plan of transgression and perversion of the rules: the rules of writing and speach, as well as ethical and social rules. Despite the apparent gratuitousness of subject, satire and parody of the period, Renart heavily criticizes power and its Systems of représentation. At the beginning of the 13th century, the Consolidated power of royalty départs from its mythical image. By removing the lion, the fox accèdes to the throne. En esquissant les grands traits d'une histoire globalisante des sociétés médiévales, Georges Duby, dans sa leçon inaugurale au Collège de France1, orientait définitivement l'histoire sociale dans la voie de «convergence d'une histoire matérielle et d'une histoire du mental collectif». Toute société productrice d'un ordre politique et économique engendrant nécessairement à la fois des institutions, des concepts, des images, il importait de chercher à définir non plus uniquement la réalité des sociétés passées, mais tout autant la manière dont elles s'étaient pensées, imaginées, représentées. De ce point de vue, une anthropologie politique historique2 s'enrichirait incontestablement de la mise en œuvre d'une méthodologie de «communicologie historique» se donnant pour objet l'étude des inter-relations entre réalité et représentations du pouvoir au moyen âge. La saisie globale des processus de communication qu'une telle démarche suppose se heurte néanmoins à la nature même des sources disponibles; les divers éléments constitutifs de la «communication médiévale», émetteur, canal, public, etc., ne sont perceptibles qu'à travers le média : l'écrit ou l'image. On mesure ainsi la difficulté d'une part à déceler, à travers l'image du roi proposée par la littérature de la seconde moitié du xne s., l'émergence progressive de représentations tendant à traduire, justifier ou condamner les innovations socio-politiques qui caractérisent le phénomène de «reconcentration des pouvoirs» et à saisir, d'autre part, comment ces représentations furent en fait perçues par le public. Dominique Boutet et Armand Strubel l'ont en effet remarquablement exprimé3 : la première impression que nous laissent les œuvres du moyen âge, chansons de geste * L'auteur exprime tous ses remerciements à Mme Elisabeth Carpentier qui a dirigé ses travaux de maîtrise et de D.E.A. sur le Roman de Renart. 1. Georges Duby, «Les sociétés médiévales : une approche d'ensemble», Annales E.S.C., XXVI, 1971, p. 1-13. 2. Cf. les premiers jalons posés par Jacques Le Goff, L'imaginaire médiéval. Essais, Paris, 1985, 352 pp. («Bibl. des Hist. »). 3. Dominique Boutet et Armand Strubel, Littérature, politique et société dans la France du Moyen Age, Paris, 1979, 248 pp. («Litt. modernes»). 264 CCM, XXXVI, 1993 xavier kawa-topor et romans, est celle d'un univers clos de formules, d'images, et de thèmes dont le caractère conventionnel, stéréotypé, donne l'apparence d'une «littérature détachée des contingences de l'histoire et de la conjoncture». Dans ce contexte, un ensemble d'œuvres tel que le Roman de Renart4 pourrait être considéré comme une source privilégiée. Les conclusions de la récente étude que Jean R. Scheidegger a consacrée aux contes du goupil5, en éclairant d'un jour nouveau la spécificité de son écriture, contribuent à situer l'œuvre renardienne «en dehors et hiérarchiquement au dessus» des manifestations textuelles qui lui sont contemporaines, tout en mettant en évidence son aspect réflexif fondamental. Jean R. Scheidegger s'attache à démontrer que le «signe renardien ne renvoie pas d'abord au réfèrent sociologique ou historique, mais au travail de son écriture et à son ambiguïté, ensuite à son rapport dévoyant à la bibliothèque»6. La matière renardienne incorpore, par le biais d'une relation intertextuelle de «double inclusion», les textes parodiés comme autant d'avant- textes. «Bestournant» son langage, ses thèmes, ses codes, jouant de son rapport au public, l'épopée renardienne «réécrit» la littérature contemporaine à sa manière. Et cette «réécriture» nous semble, non seulement relever, vis-à-vis de la réalité, d'un degré de médiation supérieur, mais de plus, jouer constamment du passage d'un degré de médiation à l'autre dans une hallucinante rhétorique de l'ambiguïté. À l'intérieur même du récit, la dérision de l'écriture est relayée par une volonté délibérée de perversion des modèles et des représentations. Dérision et perversion semblent constituer les deux facettes d'un unique dessein renardien de transgression des lois : lois de l'écriture, de la représentation, autant que lois morales et sociales. Érigeant en système l'équi- vocité et la réflexivité de son propos, Renart ruse et pose, au-delà d'une apparente gratuité de l'écriture ou de traits satiriques et parodiques ponctuels, un regard puissamment critique sur le pouvoir et ses systèmes de représentation. Dans la perspective d'une recherche limitée, relative au renforcement de l'autorité royale dans la seconde moitié du xne s. et à l'aube du xnie s., c'est évidemment l'analyse du personnage du roi Noble le lion et de son rôle dans le Roman de Renart qui nous intéressera en priorité 7. Tout comme celle de chacun des protagonistes des contes, l'identité du roi Noble procède d'une réalité complexe. Le personnage relève simultanément de l'humain et de l'animal, sans qu'il soit permis d'établir a priori si cette nature composite résulte d'une animalisation de l'humain ou d'une humanisation de l'animal. Un trait fondamental distingue en effet la geste du goupil du courant qui perpétue la fable ésopique : le glissement permanent et intentionnellement inopportun d'un monde à l'autre. Au-delà des traces d'un «rire intemporel» qui, indépendamment de la sensibilité de l'époque, s'adresse, selon Armand Strubel, à un homme dit «éternel» dont les sujets de rire seraient les mêmes en tout temps et en tout lieu 8, nous retrouvons ici le biais par lequel est mise en évidence l'étroite correspondance des deux univers, l'existence de ce «dénominateur commun» partagé par l'homme et l'animal9 sous les dehors de laquelle officie, en toute impunité, 4. Le texte de référence est Le Roman de Renart, pub. Ernest Martin, Strasbourg/Paris, 1881/84/87, 3 vol. 8° : texte qui a été suivi par deux éd. partielles corrigées : Le Roman de Renart, éd. bilingue et trad. de Micheline de Combarieu du Grès et Jean Subrenat, Paris, 1981, 2 vol. («Collection 10.18», sér. «Bibl. médiév.») et Le Roman de Renart, éd. trad. Jean Dufournet et Andrée Méline, Paris, 1985, 2 vol. («Garnier Flammarion», 418/9). 5. Jean R. Scheidegger, Le Roman de Renart ou le texte de la dérision, Genève, 1989, 466 pp. («Publ. rom. et franc.», 188). 6. Ibid., p. 291. 7. En fonction du cadre chronologique choisi et de l'importance relative de la présence ou du rôle de Noble le lion dans chacun des contes, neuf branches ont été retenues pour cette étude : il s'agit des branches II, Va, I, X, VI, la, Ib, XI et XVI. La chronologie et la classification des contes adoptées sont celles proposées par Lucien Foulet : Le Roman de Renart, Paris, 1914, 574 pp. («Bibl. Éc. prat. Hautes Et.»). 8. Armand Strubel, «Le rire au Moyen Âge», dans Précis de littérature française du moyen âge (dir. Daniel Poirion), Paris, 1983, p. 186-213 ; cf. p. 186. 9. Cf. Jean Dufournet, Le Roman de Renart. Branche XI. Les vêpres de Tiberl le Chat, Paris, 1989, 153 pp. («Trad. des C. 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- Publié le Oct 28, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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