Littérature 53 L’errance dans la nature chez Jean Giono et Jean-Marie Gustave L

Littérature 53 L’errance dans la nature chez Jean Giono et Jean-Marie Gustave Le Clézio Gnayoro Jean-Florent Romaric Résumé L’errance se présente comme n’ayant aucune motivation précise. Elle est donc perçue comme oisive, inutile, au regard d’une pensée commune qui met à l’honneur la productivité. Néanmoins, avec Giono et Le Clézio, se dresse ici, une compréhension de l’errance dans la nature, au travers de leurs œuvres, où une inversion des présupposés se dessine, pour s’acheminer entre autres, vers l’ascèse et le ressourcement y afférents. Mots-clés Nature, errance, Giono, Le Clézio, sociocritique. INTRODUCTION Bien souvent chez Giono et Le Clézio, la nature constitue un dispositif au niveau duquel se manifeste l’errance. Si la nature est effectivement prise comme objet de référence et qu’elle est un contenu, elle apparaît en même temps comme un contenant et c’est ce que nous appelons ici le dispositif. Dans ce cadre, la nature offre l’occasion d’entretenir la question, car les errants progressivement se départissent d’un monde pour aller vers un autre. Ainsi, ils errent pour le besoin d’une rencontre avec le cadre naturel. Leur recherche se confine au tissage d’une culture d’errance, à la demande, en pleine nature. Encore qu’une remarque soit que l’entour ou si l’on veut, la nature, concourt de beaucoup à promouvoir le déplacement à travers une errance, là où la lenteur et le repos semblent atteindre le projet d’une observation attentive. Il s’ensuit qu’au fil de l’errance, la relation avec la nature se trouve réinvestie d’un moyen qui inscrit une possibilité de découverte et également de connaissance. Ainsi envisagé, l’errance effectuée à destination de la nature donne lieu à l’acquisition d’une expérience qui est le théâtre d’un plus acquis, à l’intention du sujet errant. Il va sans dire, que l’interaction entre le sujet et la nature laisse entrevoir la diversité de cette dernière. En un tel contexte, celle-ci se couvre du signe d’un transport exprimé d’une contemplation pour l’élément naturel. Quels moyens d’expression, de ce fait, Giono et Le Clézio assemblent-ils pour visualiser et parfois conceptualiser le sujet errant, au regard de leurs œuvres fictionnelles ? L’analyse orientée de la sorte, perçue sous les angles sociocritiques et sémantiques, assignera au sujet errant sa conviction d’adopter l’optique d’un chemin ouvert plus ou moins, vers l’appréciation de Cahiers de langue et de littérature 54 la nature. Avec la sociocritique, on s’attardera sur l’univers social particulier de la nature. Dans ce contexte, l’attention portera avec la sémantique, sur les signes de l’errance dans la nature, auxquels seront associées des significations. Puis, cela commandera, sans doute de comprendre l’élaboration d’un cursus très net d’une errance à cheval sur le mouvement et la recherche d’un monde naturel. 1. UNE DÉCOUVERTE DE LA NATURE Partant de là, l’errance telle que nous l’appréhenderons, dévoilera et ira au-delà, de cette habitude qu’ont certains personnages gioniens et le cléziens d’« aller au hasard »1 en pleine nature, de s’y promener en quelque sorte. Du reste, les errants, à dire vrai, marchent pour découvrir ce qu’ils étaient avant, comme animés d’un désir de retrouver l’essence originaire des choses. Ils devancent à travers leurs « recherches du Temps immobile, cette vie pure, sans passé ni avenir, ce présent instantané...»2 Ils errent en somme et découvrent chez Le Clézio, « ici, là, des vallonnements, des failles, des gorges, des falaises escarpées. Ca, là, un arbre, une fougère, une herbe aux feuilles poussiéreuses.»3 Dans cette atmosphère, La Quarantaine présente dans l’optique d’une errance en pleine nature, une demande de Surya à Léon. La première pour « l’accompagner jusqu’aux champs.»4 Il s’active donc à ses côtés pour s’adonner avec elle au ramassage des fruits jonchés à même le sol. Surya de plus attire son attention vers d’autres fruits mais, cette fois perchées à mi-hauteur sur une liane. C’est un fait de l’époque contemporaine, justement, à travers une planche de Bonnard intitulée « Le paradis terrestre (1916-1920) » et commenté par Guy Cogeval où se dégage cette errance de l’esprit vagabond de l’homme devant la contemplation de la nature : « L’homme se tient debout. En regardant l’univers originel, comme lavé de tout péché, il paraît devenir transparent et se fondre dans le paysage. Absorbé dans la contemplation de l’infini, il en oublie la femme qui n’a pas quitté la terre dont elle tire tout son pouvoir.»5 Les animaux également sont convoqués car ils participent activement 1 (Collectif, 1976 : 69). 2 (Claude Mauriac, 1975 : 105). 3 (Jean-Marie Gustave Le Clézio, 1969 : 89). 4 (Jean-Marie Gustave Le Clézio, 1995 : 227). 5 (Guy Cogeval, 1993 : 98). Littérature 55 Chez Giono et chez Le Clézio à l’élaboration du monde naturel où l’errance est monnaie courante. C’est ainsi qu’on retrouve dans Regain comme dans Colline de Giono la présence des animaux errants et sauvages. En guise d’illustration, dans Regain, «…Panturle a vu la couleuvre qui s’en allait sa route, toute frétillante, vêtue de neuf.»6 Par ailleurs, on perçoit d’autres animaux à l’exemple du sanglier dans Colline. À ce titre, « Devant lui, sur l’autre bord de la placette, une ombre se coule sous l’abri du chêne : un sanglier ! Un sanglier en plein jour aux Bastides ! La bête se rase à peine sous les feuilles. Elle va à la fontaine ; elle renifle le bassin vide ; son sabot fouille la terre7 ». Notamment, selon Pascal Quignard, les animaux vivent dans un monde autre que celui des hommes, à tel point que toute leur vie s’apparente à un rêve continuel : « Les animaux rêvent debout comme ils rêvent en dormant. Les animaux ne sont pas sans cesse dans un réel auxquels nous n’accéderions pas ; ils sont sans cesse dans l’autre monde. (Ils sont sans cesse dans leur faim.) »8 Regain encore contribue à asseoir l’image d’une faune libre de ses mouvements dans l’espace découvert tout en y faisant partie intégrante : « On entend le vol des grives dans les genévriers. Un lièvre roux s’arrête tout étonné au milieu de la garrigue puis part d’un grand bond tendu à ras de terre. Des corbeaux s’appellent, on les cherche, on ne les voit pas.»9 Chez Le Clézio, de même, « l’oiseau blanc, qui n’a pas de nom, continue son vol très lent, indifférent, il s’éloigne le long du rivage, il plane dans le vent d’est, et Lalla a beau courir sur le sable dur de la plage, elle ne parvient pas à le rejoindre.»10 On comprend ainsi pourquoi Erich Fromm parle d’un art de vivre où l’on se laisse emporter par une sorte d’intérêt pour les choses à l’entour. Selon lui, en effet, « le mode d’existence consistant à être signifie être vivant, s’intéresser, voir les choses et les hommes, tendre l’oreille et écouter, sortir de soi et s’identifier à l’autre, se pénétrer et se révéler à soi-même, rendre la vie intéressante, faire de la vie une belle chose.»11 Un exemple concret de ce mode de vie se retrouve comme on peut le voir chez Lalla qui s’adonnant à l’errance, en profite pour porter attention à son entour : 6 (Jean Giono, 1930 : 78). 7 (Jean Giono, 1929b : 130). 8 (Pascal Quignard, 1998 : 180). 9 (Jean Giono, 1930 : 177). 10 (Jean-Marie Gustave Le Clézio, 1980 : 159). 11 (Erich Fromm, 2003 : 74). Cahiers de langue et de littérature 56 « Lalla marche lentement. De temps à autre, elle s’arrête, elle regarde quelque chose par terre. Ou bien elle cueille une feuille de plante grasse, elle l’écrase entre ses doigts pour sentir l’odeur douce et poivrée de la sève.»12 Elle en vient également à courir après un insecte qui l’amuse, « un gros bourdon doré sur une touffe de ciguë, et Lalla le poursuit en courant. Mais elle n’approche pas trop près, parce qu’elle a un peu peur tout de même.»13 Cette errance de Lalla s’anime dans son habitude à se retrouver entre les collines du désert « les yeux plissés très fort à cause de la lumière blanche, avec tous ces sifflements qui jaillissent de tous les côtés.»14 En guise d’explication de l’attention accordée à la nature, appuyons-nous particulièrement sur la conception de Miriam Stendal Boulos pour qui « le vagabondage favorise ce développement chez les personnages lecléziens. L’absence des contraintes extérieures leur permet d’étudier l’univers avec plus de minutie et d’être à l’écoute d’un monde qui leur parle.»15 Les personnages lecléziens, à force d’être à l’écoute de la nature, parviennent à la comprendre si bien qu’ils la décèlent à partir de bruits perceptibles d’une variété de faune ou de flore au cours de leurs errances. Ainsi pour eux, « la forêt est pleine de cachettes et de poissons, elle résonne des cris des singes...»16 Par ailleurs, comme s’il s’agissait d’une œuvre musicale, les bruits perçus dans la nature, lors de l’errance, laissent « venir jusqu’à l’homme les voix du mystère universel.»17 Ce que souligne notamment Vladimir Jankélévitch, c’est la portée musicale qui se dégage de la diversité des sons pris dans leur ensemble : « La musique n’exprime pas mot à mot, ne signifie point par point, mais uploads/Litterature/ l-x27-errance-dans-la-nature-chez-jean-giono-et-jean-marie-gustave-le-clezio.pdf

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