L’émergence des locutions conjonctives de simultanéité en ancien français* Ben

L’émergence des locutions conjonctives de simultanéité en ancien français* Ben Hamad, Leïla Université de Sousse, LDC benhamad.leila@ yahoo.com 1. Introduction Les grammairiens de l’ancien français (Moignet (1988 : 234-235) ; Ménard (1988 § 236-241) ; Buridant (2000 : 604-609) inter alia) soulignent tous, que les locutions conjonctives de simultanéité sont en usage dès les périodes les plus anciennes du français. Dans la mesure où il n’est pas fait de repérage des premières attestations de chacune d’entre elles1, ces locutions sont ainsi représentées de facto, dans la pratique grammaticale réelle, comme contemporaines. Cette unanimité est due vraisemblablement au fait que ces ouvrages adoptent une même perspective synchronique. Contrairement à cette conception unifiée de l’ancien français, nous pensons que cette période est analysable diachroniquement. D’une part, il y a, pensons-nous, non pas contemporanéité dans l’apparition des différentes locutions en question mais au moins partiellement succession. Et d’autre part, la période cruciale pour leur émergence est celle des XIIème - XIIIème siècles. Notre démarche sera par ailleurs un peu différente de celle de nos prédécesseurs. En effet, selon le point de vue que nous adoptons, nous sommes conduite à centrer différemment l’analyse2. Notre but ici est double, à la fois descriptif et théorique3. Nous nous proposons de reconstituer finement l’émergence des locutions conjonctives de simultanéité et de découvrir le processus « invisible » d’évolution qui y est sous-jacent. Une étude de corpus basée sur les données procurées par la Base de Français Médiéval4 nous permettra de décrire les changements survenus aux conjonctions synthétiques héritées du latin, mettre en évidence des régularités dans ces changements et tenter d’en proposer une analyse théorique. 2. L’usage des plus anciens textes : Permanence et variation des conjonctions latines. En regard des locutions subordonnantes, qui expriment la simultanéité en ancien français, la période dite des premiers textes – des Serments de Strasbourg à Alexis – est très pauvre. La première moitié du XIIème siècle en fournit davantage, trop peu cependant. L’expression hypotaxique de la simultanéité est assurée essentiellement5 par les conjonctions quant et cum/com(e), léguées à l’ancien français par le latin classique (voir Annexe). 2.1. 1ère étape : IXème – XIème siècles : Les conjonctions synthétiques héritées du latin ; un premier changement. Les plus anciens textes en langue française, Serments de Strasbourg (daté de 842 environ) et Séquence de Sainte Eulalie (composé vers 881), par ailleurs fort brefs, n’offrent aucune occurrence de quant et cum/com(e) temporels : (1) Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun saluament, d’ist di in auant, in quant6 Deus sauir et podir me dunat, si saluarai eo cist meon fradre Karlo et in adiudha et in cadhuna cosa, si cum7 om per dreit son fradra saluar dift, in o quid il mi altresi fazet. (Serments de Strasbourg : 10 ; vers 842) SHS Web of Conferences 1 (2012) DOI 10.1051/shsconf/20120100124 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) 145 Article available at http://www.shs-conferences.org or http://dx.doi.org/10.1051/shsconf/20120100124 (2) Enz enl fou lo getterent, com arde tost, Elle colpes non auret, por o no·s coist. (Séquence de sainte Eulalie, v. 18-19 ; vers 881) Les premières attestations se trouvent dans deux textes un peu postérieurs, écrits et copiés vers l’an mil, à la jonction des langues d’oïl et d’oc, la Passion de Clermont et Sant Lethgier8. Notons que l’on observe ces formes synthétiques élargies ou renforcées par différents types d’adjonctions. Les deux seuls emplois de quant sont ainsi construits. Quant est d’abord repris par donc (donc < latin tum ou tunc `alors´), qui en forme comme une sorte de relais : (3) Quant infans fud, donc a ciels temps, Al rei lo duistrent soi parent (Sant Lethgier, v.13-14 ; seconde moitié du Xème siècle) Puis, il est volontiers cumulé avec un nom temporel, en emploi prépositionnel (in eps cel di), qui semble en préciser la valeur ou compléter l’idée de situation temporelle qui y est contenue : (4) Quant ciel’irae tels esdevint, Pascha furent in eps cel di (Sant Lethgier : v.79-80 ; seconde moitié du Xème siècle) Cum/com(e) se présente aussi en co-occurrence avec un antécédent, qui semblerait être commis à une fonction endophorique, laquelle est comme une fonction de relais au subordonnant : (5) Ad epsa nona cum perving, Dunc escrided granz criz. (Passion de Clermont : v. 313-314 ; seconde moitié du Xème siècle) (6) Granz fu li dols, fort marrimenz, Si con dormirent tuit ades. (Passion de Clermont : v. 122-123) Cet élargissement formel analytique affecte aussi que9 : (7) Ciu li rova et noit et di Miel li fiseist dontre qu’il viu (Sant Lethgier, v. 33-34; seconde moitié du Xème siècle) (8) Cil Laudeberz, qual hora l vid Torne s’als altres, si llor dist (Sant Lethgier, v. 204-205, cf. aussi v. 149; seconde moitié du Xème siècle) 10 Ces emplois sont intéressants diachroniquement, car ils sont très anciennement attestés. Il semble que s’est engagé, dès les premiers textes, un mouvement spécifique de passage du synthétique à l’analytique11, qui initie la série des changements ultérieurs. Il n’est guère de texte – nous le verrons – qui, composé à des dates plus ou moins anciennes dans les différents dialectes français, ignore cette tendance à la subordination analytique. Dès la première moitié du XIème siècle, l’emploi des subordonnants analytiques a pris de l’ampleur. La Vie de saint Alexis, notre seul texte témoin de cette période, écrit dans la région du Centre de la France, en offre un usage large. On rencontre le tour en quant … donc, déjà attesté dans Sant Lethgier : (9) Quant veit li pedre que maisn’avrat amfant Mais que cel sul que il par amat tant, Dunc se purpenset del seclë an avant. (Vie de saint Alexis, v. 36-38 ; vers 1050) Et on voit apparaître quant comme pivot d’une nouvelle structure analytique en quant … si : (10) Quant jo[t] vid ned, sin fui lede e goiuse. (Vie de saint Alexis, v. 458 ; vers 1050) Cum/com(e) semble se prêter tout particulièrement à ce type d’agencement parallèle. Il fonctionne en corrélation avec un adverbe anaphorique : (11) Cum vit le lit, esguardat la pulcela Dunc li remembret de sun seinor celeste (Vie de saint Alexis, v. 56-57 ; vers 1050) Il apparaît aussi – pour la première fois, nous semble-t-il, dans la Vie de saint Alexis – en rattachement appositif à une expression cataphorique : (12) Et al terz di lo mattin clar, Cum li soleilz fo esclairaz, SHS Web of Conferences 1 (2012) DOI 10.1051/shsconf/20120100124 © aux auteurs, publié par EDP Sciences, 2012 Congrès Mondial de Linguistique Française – CMLF 2012 SHS Web of Conferences Article en accès libre placé sous licence Creative Commons Attribution 2.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0) 146 Tres femnes van al monument. (Vie de saint Alexis, v. 389-391 ; vers 1050) La Vie de saint Alexis offre une autre nouveauté. Cum/com(e) instaure, semble-t-il, une relation de forte dépendance avec l’élément adverbial12, un rapport de antécédent-conséquent: (13) Ne pur honurs ki l’en fussent tramises N’en volt turner, tant cum il ad a vivre. (Vie de saint Alexis, v. 164-165 ; vers 1050) (14) An tant dementres cum il iloec unt sis, Deseivret l’aneme del cors sainz Alexis. (Vie de saint Alexis, v. 331-332 ; vers 1050) Dans le même Saint Alexis, un nouveau changement se produit, qui annonce déjà l’évolution ultérieure. Il consiste dans l’apparition de que rattaché à un substantif signifiant un moment : (15) An la semaine qued il s’en dut aler (Vie de saint Alexis, v. 291 ; vers 1050) (16) Qu’il unt oït, ki mult les desconfortet Ne guardent l’ure que terre nes enclodet. (Vie de saint Alexis, v. 304-305 ; vers 1050) ou à un adverbe : (17) Ensemble furent tant que a Dieu s’en alerent. (Vie de saint Alexis, v. 603 ; vers 1050) Que apparaît d’emblée clairement comme « le pivot organisateur »13 d’une relation de simultanéité temporelle qui s’établit entre les deux procès. Il épouse une double fonction, celle de subordonnant et celle de proforme anaphorique qui rappelle son antécédent nominal ou adverbial, formant, pour ainsi dire, l’élément de base du composé locutionnaire. Nous voyons poindre ainsi les prémices d’une constitution progressive d’un nouveau paradigme. Allant dans ce sens, il est possible de considérer que les tours analytiques qual hora et dontre que14appartiennent à ce paradigme naissant. 2.2. 2ème étape : la première moitié du XIIème siècle : constitution des locutions conjonctives de simultanéité. La première moitié du XIIème siècle prolonge en l’amplifiant cette tendance à la subordination analytique, continuant – comme on a pu en faire l’hypothèse – un mouvement amorcé dès les premiers textes. L’élargissement des conjonctions primitives présente un large spectre de réalisations dont la parenté n’est pas immédiatement perçue. Il s’opère à travers tout un ensemble varié de procédés. Notre travail se bornera à décrire deux types de constructions, qui procèdent du même type d’agencement binaire, en contraste avec le monosyllabisme des subordonnants synthétiques héréditaires : (a) Constructions corrélatives15 uploads/Litterature/ l-x27-emergence-des-locutions-conjonctives-de-simultaneite-en-ancien-francais.pdf

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