¶ Éditions du Boucher Marcel Schwob & Georges Guieysse Étude sur l’argot frança
¶ Éditions du Boucher Marcel Schwob & Georges Guieysse Étude sur l’argot français CONTRAT DE LICENCE — ÉDITIONS DU BOUCHER Le fichier PDF qui vous est proposé à titre gratuit est protégé par les lois sur les copyrights & reste la propriété de la SARL Le Boucher Éditeur. Le fichier PDF est dénommé « livre numérique » dans les paragraphes qui suivent. Vous êtes autorisé : — à utiliser le livre numérique à des fins personnelles. Vous ne pouvez en aucun cas : — vendre ou diffuser des copies de tout ou partie du livre numérique, exploiter tout ou partie du livre numérique dans un but commercial; — modifier les codes sources ou créer un produit dérivé du livre numérique. NOTE DE L’ÉDITEUR Le texte reproduit ici est conforme à l’édition de 1889 (Émile Bouillon, Paris). © 2003 — Éditions du Boucher 183, rue de Tolbiac 75013 Paris site internet : www.leboucher.com courriel : contacts@leboucher.com conception & réalisation : Georges Collet couverture : ibidem ISBN : 2-84824-052-0 À Monsieur MICHEL BRÉAL membre de l’Institut professeur au Collège de France ses élèves reconnaissants MARCEL SCHWOB GEORGES GUIEYSSE ÉTUDE SUR L’ARGOT FRANÇAIS ! 4 " Préface Une profonde tristesse m’envahit, au moment de publier cette courte étude. Mon collaborateur, mon ami Georges Guieysse, est mort à vingt ans, le 17 mai 1889, tandis que notre travail était sous presse. Il est mort à l’entrée de la plus brillante carrière. « Votre pauvre enfant, écrit M. James Darmesteter à sa mère, était une de nos espérances les plus chères. Je l’aimais pour sa générosité, sa franchise, sa grâce, pour tout ce qu’il promettait à la science de son pays. Il y a deux jours à peine, nous nous entretenions ensemble de ses projets d’avenir; ils étaient grands et nobles, et l’on sentait qu’il avait l’âme et le talent qu’il fallait pour les réaliser. Nous comptions sur lui pour réparer tant de pertes cruelles qui ont éclairci nos rangs; et à présent, de tant de jeunesse, d’espérance et d’avenir, il ne nous reste qu’un souvenir douloureux. La place qu’il laissera éternellement vide à votre foyer reste vide aussi dans nos rangs. » Je n’aurais rien à ajouter à ces belles paroles, si Georges Guieysse n’avait pas été mon ami. Nous nous étions connus presque enfants, et une vive sympathie nous avait attirés, dès l’abord, l’un vers l’autre. Plus tard, cette sympathie est devenue de l’affection; plus tard encore nous avons mis nos idées en commun et nous devions mettre en commun la vie scientifique que nous désirions tous deux. Nous avions rêvé d’aborder ensemble dans l’avenir la science de la signification des mots — la sémantique — et cette étude sur l’argot où les dériva- tions de sens sont un élément primordial devait nous y introduire. Nous n’aurons pu qu’esquisser ensemble la préface de nos recherches. MARCEL SCHWOB ! 5 " C’est donc une préface, une méthode, au moins provisoire, qui remplit ces quelques pages. Dans le domaine encore mal exploré de la langue populaire, il a fallu se construire des règles de travail. Si elles ne sont pas parfaites, elles nous ont permis, cependant, d’entrevoir chemin faisant une multitude de phénomènes dont l’étude pourra être féconde. Le mot go 1, recueilli au passage, nous a fourni une nom- breuse famille : rigo — tire-larigot — Angot — débecquetant — dégueulasse — gogo — gogue — goguette — gogaille — gogue- nard — rigoler — rigougner — regoubillonner — dégobiller — goberger — goinfre — goualer — gouailler — bagout — bagouler — baragouiner — bigot — jobelin — jobard — jargon 2, etc. On avait essayé de tirer gogo de « gaudium » et bara- gouiner du bas-breton. L’étude du thème go montre que la langue française se nourrit d’elle-même — non seulement par un travail de dérivation morphologique, mais aussi par des modifications sémanti- ques — des adjonctions de préfixes et de suffixes, ainsi que des rédu- plications. On pourra donc parcourir le vaste champ de la langue française avant de s’adresser aux idiomes étrangers pour expliquer l’origine des mots. La réduplication en ar de jargon (gargon) présente une particula- rité étudiée déjà par M. Bijvanck. Cette étude est malheureusement encore inédite. Mais c’est par des réduplications qu’il faut expliquer les mots Tartufe (cf. tufe — trufer — tartrufet) — farfadet — gargoulette — gargote, etc. Ailleurs, la langue s’enrichira par des préfixes, comme ba, bé, bi, mar, te, ri, etc. (cf. bagout, bégueule, bigot, margoulette, remoucher, rigoler, etc.) Là encore on trouvera objet à de nombreuses recherches. Je crois qu’il n’est pas inutile de signaler un curieux phénomène, également observé par M. Bijvanck. Certains radicaux, identiques d’aspect, ont été revêtus des mêmes suffixes. De là, des doublets morphologiques. Mannequin, par exemple, au sens de corbeille ou corbillard vient de manne (corbeille d’osier) + quin. Mannequin au sens de figurine, poupée, vient de manne (homme — germ.) + quin. Si on essaye de tirer le sens de figure du sens de corbeille, on 1. Bulletin de la Société de Linguistique, n° 33, juillet 1889, « Tire-larigot ». 2. Argot (cf. ragot) se rattache sans doute à cette série : ce qui n’exclurait pas l’explica- tion proposée par Georges Guieysse et qui serait un doublet morphologique. ÉTUDE SUR L’ARGOT FRANÇAIS ! 6 " commet une erreur. Cette faute n’est-elle pas fréquente, surtout dans les mots les plus simples comme calotte (coiffure — de calle, tête) et calotte (soufflet — de caler, frapper)? Ne faut-il pas prémunir contre ce danger ceux qui abordent les interprétations sémantiques? On se tromperait aussi en essayant de tirer directement linge (joueur de bonneteau) du mot courant linge. Il faut passer par les intermédiaires — bonnet — bonneterie — lingerie. Ce sont là de véritables doublets sémantiques. Leur nombre est si grand qu’il convient d’en tenir compte dans toutes les études du langage popu- laire. Un mot auquel on donne un nouveau sens par convention ou métaphore ne devient pas pour cela un doublet; mais si on n’arrive à ce mot que par une suite de dérivations morphologiques et d’équiva- lences de synonymes, il devient un véritable doublet sémantique (cf. marmite, marmotte, taupe). Bien d’autres points, touchés par cette étude, présentent un intérêt supérieur. La sémantique, en particulier, trouvera dans le langage populaire, suivant l’expression de Bopp, une « ruche vivante » où s’élaborent les mots. Mais ce n’est pas après une première étape qu’on peut mesurer le chemin parcouru. Les avis bienveillants du savant M. Bijvanck nous ont donné grande confiance : par des méthodes directement opposées, lui en Hollande, nous en France, nous sommes arrivés simultanément, sur les mêmes sujets, aux mêmes résultats. J’exprime ici toute ma reconnaissance à M. Bijvanck pour ses pré- cieuses indications. Je remercie M. le ministre de l’Instruction publique qui a bien voulu accorder l’appui de ses recommandations au travail entrepris. Quant aux pages qui suivent — ce sont les seules que nous ayons pu écrire à deux. Mon ami a emporté avec lui plus que sa collabora- tion — la plus grande part de nos rêves de jeunesse. Je crois accomplir sa volonté en dédiant son dernier travail à son maître et au mien, M. Michel Bréal, qui voudra bien accepter ce faible hommage au nom de l’amitié qu’il a témoignée à Georges Guieysse pendant sa courte vie. M. S. MARCEL SCHWOB ! 7 " M. Francisque Michel, dans ses Études philologiques sur l’argot, avoue avoir cédé, en choisissant ce sujet de travail, à un attrait mystérieux que nous subissons tous plus ou moins pour les monstruosités. Il ne semble pas qu’il y ait lieu de s’excuser en dirigeant ses travaux vers l’argot. La science du philologue res- semble beaucoup à celle du naturaliste. Les savants qui s’occu- pent de tératologie n’ont nul besoin de mettre en tête de leurs ouvrages une préface apologétique. Les mots sont des phéno- mènes et appartiennent à tous, quels qu’ils soient, au domaine de la linguistique. Mais, outre l’intérêt général de toute étude linguistique, un intérêt particulier résulte pour la langue française des travaux entrepris sur l’argot. Nous aurons occasion, dans la suite de cet article, de signaler un grand nombre de mots que la langue géné- rale a recueillis dans ces bas-fonds. Et il ne s’agit pas ici des argots de métier, langages techniques qui exercent une influence nécessaire par les noms d’outils ou de procédés mécaniques; l’argot que nous étudions est la langue spéciale des classes dan- gereuses de la société. Une nécessité impérieuse pousse ce lan- gage à produire. Les mots de notre langue ne sont ni chassés ni traqués. Ceux de la langue verte vivent à peu près avec les repré- sentants de la justice sociale comme les mineurs dans l’Arizona ÉTUDE SUR L’ARGOT FRANÇAIS ! 8 " avec les Peaux-Rouges Arapahoes. Or ces mineurs forment une nation jeune, vivace, qui émigre et colonise continuellement. L ’argot est aussi comme une nation de mineurs qui débarquerait chez nous des cargaisons d’émigrés. Il est facile de voir que les ports d’arrivée sont uploads/Litterature/ l-x27-argot.pdf
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- Publié le Oct 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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