DU MÊME AUTEUR J’épouserai le Petit Prince, conte, éditions Dialogue Nord-Sud,
DU MÊME AUTEUR J’épouserai le Petit Prince, conte, éditions Dialogue Nord-Sud, 2014 ; rééd. Éditions Frantz Fanon, 2016. Toute femme est une étoile qui pleure, poésie/théâtre, éditions Dialogue Nord-Sud, 2013. Allah au pays des enfants perdus, roman, éditions Dialogue Nord-Sud, 2012 ; rééd. Éditions Frantz Fanon, 2016. Si vous souhaitez prendre connaissance de notre catalogue : www.editionsecriture.com Pour être tenu au courant de nos nouveautés : www.facebook.com/EditionsEcriture E-ISBN 9782359052695 Copyright © Éditions Écriture, 2017. Le sommeil de la raison engendre des monstres. Eau-forte (1797-1798) de Francisco de Goya Écrire, c’est coudre ses blessures avec la pointe de son stylo. Celui qui dit je n’est pas l’auteur. Sommaire 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 1 Je suis au lit. La ̹lle s’esclaʩe. J’embrasse ses pieds. Elle se touche les seins. Elle soupire. Le téléphone retentit. Il tue l’amour. C’est frangin qui appelle. L’enterrement, c’est dans deux jours. J’ai le vertige. Mes jambes vacillent. Je transpire. Je vais à la salle de bains. La ̹lle me serre dans ses bras. Elle me pose des questions. Je ne réponds pas. Je tire un livre de la bibliothèque. Les mots m’échappent. Je brise un stylo. J’ai envie de pleurer. Je ne peux pas. C’est une habitude chez moi : quand je suis triste, je tremble et je me tais. Comme un hérisson, je rentre dans ma carapace. Faut surtout pas me déranger. Je pique. La ̹lle comprend. Elle se rhabille. Elle me dit au revoir. Tant mieux. Je veux rester seul. Il fait un temps stupide. Les mouches ont disparu. Les cigales ne chantent plus. Le soleil est craintif. Il rougit au lever. Il gémit quand il rend l’âme. Il se nourrit de sa quête absurde. Ce pays n’est pas mien. Il est pour le froid. Il est pour les solitaires. Il est pour la souʩrance. En face, il y a des tombes. Sur les tombes, il y a des croix. Sur les croix, il y a de la glace. Sous la glace dort la cendre. Un corbeau sautille. Un chien glapit. Un écureuil grimpe sur un érable. Dans un coin discutent des vieux. Ils sont vêtus de noir. Ils portent des chapeaux et des bottes. Tant de sujets à ressasser : l’au-delà, l’ami qui s’en va, la maladie qui guette, Dieu qui châtie, le temps qui fuit. Ils déposent des chrysanthèmes et des roses. Comme des bisons, ils sont lourds et tristes. L’exil est un ̺euve en crue. Il charrie dans ses vagues la mémoire des enfants. Je prends une gorgée de vin. J’allume une cigarette. Je regarde le portrait de ma mère : les cheveux ramassés dans un tissu, le front plissé, les lèvres fragiles, le regard profond. Chaque ride est un conte. Chaque ombre, une tragédie. Chaque lueur, un regret. La mélancolie est douce. Je ferme les paupières. Plus jamais je ne baiserai le front de ma mère. 2 L’interphone sonne. J’ouvre. C’est mon ami Ronald. Il est en sueur. Je suis gêné de l’avoir dérangé. Il a dû interrompre son cours de piano. Je me confonds en excuses. Il m’enlace. Sa voix est enrouée. Il retient ses larmes. Je lui donne un calepin. Je lui indique des numéros. Il avertit mon patron. Il appelle une agence de voyages. Je sors ma valise. Il me dit qu’elle est vieille. Je souris. Il m’oblige à prendre des vêtements neufs. Il me met du parfum. Il me tend une brosse à cheveux. Ce n’est pas la peine. Il me coiʩe. Je rechigne. Il insiste. Je le laisse faire. Je me souviens quand j’étais enfant : avec un peigne édenté, ma mère me défaisait la tignasse et y cherchait des poux, tandis que, moi, chouchouté mais espiègle, je feignais d’avoir mal. Je me souviens de la crise que j’ai piquée le jour où ma mère a tenté de me laver le corps alors que je revenais crasseux d’une partie de foot. Elle s’est jetée sur moi, m’a déshabillé de force et m’a plongé dans une bassine. Mon Dieu, que j’ai sangloté ! Quelle oʩense, ma mère avait vu mon sexe ! C’était un crime d’honneur. Il fallait le laver. En me débattant, la mousse du savon aidant, j’ai réussi à m’échapper. Dans la cour, je me suis roulé dans la poussière. Je réclamais les gendarmes pour qu’ils viennent arrêter ma mère. Le soir, après avoir boudé le dîner, j’ai dormi dans une valise. Maintenant, après tant d’années d’errance, cette vieille valise me sert encore de bagage. Où que j’aille, je la traîne. J’y ai caché mon enfance, mon insouciance, ma rage et les parfums de ma mère. Les temps ont changé, les histoires aussi. Je me suis trompé : les gendarmes ne sauvent pas les enfants. Ils ont débarqué un printemps dans notre montagne, et ils ont tué plus de cent trente jeunes innocents. Adieu ma mère, adieu mes frères, adieu mon pays. 3 Ciel terne et délavé. Je n’aime pas mars. C’est un mois bâtard. Il ne veut pas choisir son camp. Il tergiverse. Il fait soleil, puis il pleut, puis il vente, puis il neige, puis il merde. Je suis dans la voiture qui me conduit à l’aéroport. J’observe la photo de ma mère. Je mords dans une cigarette. Ça desserre le cœur et ça pourrit les poumons. Tout cela est vain. Mais c’est déjà une parade. Diluer le chagrin est la prouesse des enfants perdus. Même si le temps rame, la douleur deviendra céleste. Elle s’évaporera. Je la revois, ma mère, vêtue de sa robe bariolée, en train de dessiner des motifs sur une poterie. Elle a le sourire vague et les dents qui scintillent. Elle a le nez ̹er et le menton qui dé̹e. Sur son cou, un tatouage suspect : une salamandre. Sur ses paupières, des étincelles. Dans ses yeux, des braises. Les étoiles, c’est ma mère qui les a dessinées. Le soleil, c’est ma mère qui l’a lancé sur les montagnes. Une ride lui griʩe le front. C’est comme une couture, une ride. C’est une marque de sagesse, disent les misérables pour se consoler. Balivernes ! Demandez l’avis des va-nu-pieds et vous entendrez leurs con̹dences. Vous récolterez grimaces et jurons. Le ventre vide ne chante pas. Dans la tête étourdie cogne souvent la douleur. Heureux ceux qui, enfants pauvres, n’ont pas croqué des racines et des glands. C’était presque du luxe, les caroubes, les pissenlits et les orties que nous donnait ma mère. Elle s’en allait les cueillir dans la lointaine forêt où les chacals et les ogres des légendes vivaient en meute. Mon frère, ma sœur et moi, trois gringalets, les doigts agrippant la couverture eʬlochée, les orteils engourdis, attendions son retour. Ah, qu’elles étaient bonnes, ces arbouses et ces mûres qu’elle nous mettait dans la bouche ! Aujourd’hui, je donnerais mes yeux pour manger des fruits des bois de ma mère. 4 Recroquevillé sur un banc de l’aéroport, j’attends mon tour pour entrer dans le rapace mécanique. Les hôtesses, je ne les aime pas. Elles sont grimées. Elles ont les cils soulignés et les pommettes fausses. Elles n’ont pas la rusticité de ma mère. Les gens ont la mine racornie. Mais ils rient. Jaspinent. Se regardent. Ils pianotent sur des écrans. La technologie en a fait des automates. Ils jouent. Et ils ne pleurent pas ma défunte mère. À ma gauche, une dame feuillette un journal en grognant. Je ne sais pas ce qu’elle a. A-t-elle perdu son chat ? Je n’en suis pas l’assassin. Avant, si. En̹n, pas tout à fait. C’était presque. Je voulais prendre soin d’un chaton orphelin, mais je l’ai tué. C’était un accident. Je le confesse. C’était pendant un été caniculaire. Il avait faim et soif. Je l’ai trouvé mourant dans un fossé. Je l’ai apporté à la maison et l’ai attaché au pied d’une vigne. Je voulais m’occuper de lui. Je ne voulais pas qu’il reparte vagabonder sur les routes. Les chauʩeurs sont des criminels. Ils n’ont pas de pitié pour les bêtes. Maladroit, j’avais mal noué la ̹celle. J’en avais fait une potence. Le chaton, en essayant de se sauver, s’est étranglé. Tout bêtement, il s’est donné la mort. Le lendemain, c’est ma mère qui a découvert le cadavre. Elle est venue vers moi en pleurant. Elle m’a accusé de ce crime que j’ai nié. J’ai mis la faute sur le dos d’un voisin. Et ma mère m’a cru. Elle est allée chez les parents de l’accusé et les a exhortés, pour racheter le crime de leur rejeton, à faire oʩrande de cent kilos de sel. Ma voisine se racle la gorge. Ça dérange le repos de ma mère. Qu’elle se taise et annonce le décès de son chat dans la rubrique nécrologique du journal de son quartier ! Ce genre d’écrits console. Ça fait ré̺échir les solitaires. C’est une œuvre uploads/Litterature/ karim-akouche-la-religion-de-ma-mere.pdf
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- Publié le Sep 15, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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