INTRODUCTION A L’APPROCHE NARRATIVE Marie-Nathalie Beaudoin Ph.D. Au début des

INTRODUCTION A L’APPROCHE NARRATIVE Marie-Nathalie Beaudoin Ph.D. Au début des années 1980, la psychologie devait à nouveau faire face à des idées radicalement différentes de la pensée occidentale contemporaine. Plusieurs cliniciens avaient déjà cessé de travailler uniquement sur l’individu et commencé à tenir compte des relations familiales. Avec le développement du mouvement post-moderne, la psychologie se dirigeait maintenant vers une approche encore plus globale, tenant compte de l’influence de la culture, de l’environnement spécifique des individus et de la relativisation des perspectives. De nouvelles questions préoccupaient de nombreux psychologues, telles que: Si une personne vivait dans une société dénuée de concept de classe ou de race, en quoi serait-elle différente? Puisque chaque personne est influencée par sa propre expérience, comment le thérapeute peut-il aider son client à se diriger vers ce qui lui convient le mieux et éviter de lui imposer ses propres valeurs? Que peut-il arriver si le thérapeute aide son client à développer son potentiel et se concentre sur son bien-être, au lieu de traiter une pathologie? Et s’il n’y avait pas de pathologie? Qui décide ce qui est normal et ce qui ne l’est pas? Et si les critères de la normalité sont erronés? Si une personne est sûre d’elle dans une circonstance donnée mais timide en une autre, qui est-elle vraiment? Intrigués par ce genre de questions et fascinés par les travaux de Michel Foucault et de Gregory Bateson, Michael White, avec la participation de David Epston, élabora une nouvelle approche clinique : la “thérapie narrative”. Cette forme de thérapie devint progressivement connue pour ses résultats rapides et efficaces, son intérêt pour les récits personnels, la déconstruction sociale des problèmes et normes de santé, ainsi que son accent sur l’expertise individuelle de chaque client. Passons maintenant en revue et avec plus de détails, les bases fondamentales de la thérapie narrative. Puisque les idées peuvent être plus facilement comprises par des exemples et des expériences, je me propose d’illustrer ces concepts en vous invitant, vous lecteur, à y réfléchir en mettant à profit votre propre expérience. Dans la seconde partie de cet article, à l’aide d’un exemple clinique, en l’occurrence le cas d’une adolescente souffrant de dépression et d’anorexie, je vous exposerai les étapes du processus d’une démarche narrative. Cette explication est enrichie par un texte de la cliente qui vous raconte son expérience dans ses propres mots . Les histoires et les récits Un concept fondamental utilisé en thérapie narrative est celui de la narration ou l’histoire des expériences de vie d’un individu. Ce concept se fonde sur le choix que nous faisons de retenir, de classer et d’accorder une signification à certains événements de notre vie. La plupart des gens vont raconter de manière cohérente l’histoire de leur vie et mettre en évidence certaines expériences leur apparaissant particulièrement significatives. Cette narration est habituellement colorée par notre culture, notre communauté, le point de vue de la famille et des amis et ainsi différera d’un individu à l’autre. Le travail de recherche du lecteur Pour débuter, je vous invite à vous rappeler trois gestes effectués ou paroles dites, peut-être en tant que jeune adulte, et qui vous ont fait ressentir de la honte ou de la culpabilité. Ces événements peuvent avoir découlé de mauvais choix, que vous avez regrettés par la suite ou d’une absence de décision qui a eu des effets négatifs. Si quelqu’un, lorsque se sont produits ces événements ou même maintenant en prenait connaissance, quelles conclusions pourrait-il en tirer sur votre identité? Outre ces événements, si cette personne vous connaît très peu, pouvez-vous penser en quelques phrases comment elle vous décrirait. Ces phrases pourraient être perçues comme représentant l’histoire complète et définitive de votre identité, ne tenant cependant compte que des plus mauvais choix de votre vie. Pouvez-vous imaginer comment cette personne pourrait vous considérer et combien serait difficile une relation influencée par cette seule histoire? Pouvez-vous seulement réaliser quels en auraient été les effets si vous aviez commencé à croire que vous êtes une “mauvaise personne”, une personne déboussolée ou perturbée? Ainsi, autant vous-même que d’autres personnes, véhiculant ces idées sur votre identité, peuvent profondément influencer ce que vous devenez. Comme deuxième partie de cet exercice, je vous invite à vous rappeler trois choses que vous avez accomplies et pour lesquelles vous avez ressenti de la fierté. Encore une fois, si quelqu’un ne connaissait de vous que ces trois incidents, quelle sorte d’histoire serait-il enclin à construire? Comment cela influencerait-il son attitude envers vous? Quels en seraient les effets sur votre propre identité et sur votre confiance envers autrui? A ce stade, vous allez probablement penser que cette dernière histoire est également une perception inexacte de ce que vous percevez de vous-même! Vraisemblablement, une troisième histoire pourrait être racontée. Mon point de vue ici est à l’effet que plusieurs histoires de la vie d’une personne peuvent être racontées “en fonction” des événements retenus et “selon la façon dont” ces derniers sont interprétés et associés à d’autres. Ainsi, une personne peut s’adresser à un thérapeute se décrivant comme terriblement timide et appuyer ses dires par de nombreux exemples. La plupart du temps, cette même personne n’a pas remarqué qu’ elle ne fait pas preuve de timidité dans d’autres contextes. Malheureusement, nombreux sont les gens qui ne remarquent pas l’absence de problèmes, comme par exemple se lever le matin et se réjouir de l’absence de maux de tête. Laissés à nous-mêmes, nous avons plutôt tendance à remarquer la présence d’inconfort, à y accorder de l’importance et à en rechercher l’origine, que cette analyse soit utile ou non. Hypothèses sous-jacentes aux “problèmes” Parfois les problèmes résultent de la souffrance elle-même comme dans le cas de traumatisme physique ou émotionnel; en d’autres occasions, les problèmes peuvent survenir du fait que d’autres personnes ou la culture dominante jugent inappropriées certaines valeurs ou certains comportements qui paraissent naturels à l’individu. Ainsi, être indépendant sera bien perçu dans un pays individualiste et au contraire mal vu et problématique dans un pays collectiviste. Le même phénomène peut être observé dans des sous-cultures telles que les milieux scolaires, alors qu’un enfant peut très bien fonctionner dans une école donnée et développer un comportement problématique dans une autre. Notre lieu de naissance, Asie, Europe ou Amérique va profondément influencer la sorte de personne que nous allons devenir et conséquemment les difficultés rencontrées. Dans un tel cadre, la normalité devient tout simplement un reflet du comportement de la moyenne des gens dans la culture locale dominante et non un standard de santé en soi. Reconnaître l’influence profonde de la culture, du contexte et des relations pour décider ce qui est problématique et ce qui ne l’est pas a des implications très importantes pour le travail du thérapeute. En particulier, la porte est ouverte permettant de traiter les problèmes comme étant "extérieurs" à la personne. Permettez-moi de clarifier en revisant les trois prémisses discutées précédemment: 1. Le contexte contribue de façon significative aux problèmes; 2. Personne ne choisit d’avoir des problèmes; 3. Les problèmes ne sont pas une représentation exacte de la richesse et de la complexité de l’identité d’une personne. Si l’on accepte ces prémisses, il devient plus logique de traiter les problèmes comme "extérieurs" au lieu de les considérer comme des déficiences. On pourrait ici faire une analogie avec un problème d’ordre médical. Si un virus, donc un corps étranger qui arrive de l’extérieur, nous affecte, il peut agir sur notre humeur nous rendant moins attentif aux autres, ou plus impatient. Les problèmes qui touchent notre mode de penser, nos émotions et nos comportements peuvent aussi être perçus comme "extérieurs" à l’identité de la personne. De fait, si une personne vivait seule sur une île, il est fort possible que le problème à l’origine d’une consultation, n’existerait même pas (situation qui pourrait toutefois en créer d’autres....). Les problèmes ne se développent pas en isolement mais naissent suite à des interactions. “Extérioriser” les problèmes dans une approche thérapeutique donne non seulement de la perspective mais offre également de nombreux avantages cliniques. 1. "L’extériorisation" modifie en profondeur le point de vue du client. Au lieu de se critiquer personnellement, il se met à détester le problème. Ce processus entraîne la création d’un espace qui lui permet de se sentir moins dévalorisé, moins paralysé et plus enclin à passer à l’action. L’"extériorisation” engendre l’espoir et soutient le passage à l’action. 2. "L’extériorisation" permet de considérer les problèmes comme des entités palpables que l’on peut nommer et circonscrire . Cette nouvelle perspective permet à la personne de se dresser contre “le problème” et de “le” tenir responsable de ses comportements et ce souvent pour la première fois. En d’autres termes, "l’extériorisation” met en évidence les effets du problème, renforce la nécessité d’agir, rend la personne capable d’effectuer de meilleurs choix et contribue à changer sa vie; 3. "L’extériorisation" aide également l’entourage à percevoir le problème comme une entité distincte et fait en sorte que chacun commence à reconnaître les intentions, les valeurs et les talents particuliers de la personne. Le blâme s’estompe et fait place au travail uploads/Litterature/ introduction-a-lapproche-narrative-pdf.pdf

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