IMAGINAIRE DES SOCIABILITÉS ET CULTURE MÉDIATIQUE AU XIXE SIÈCLE Guillaume Pins
IMAGINAIRE DES SOCIABILITÉS ET CULTURE MÉDIATIQUE AU XIXE SIÈCLE Guillaume Pinson Presses Universitaires de France | « Revue d'histoire littéraire de la France » 2010/3 Vol. 110 | pages 619 à 632 ISSN 0035-2411 ISBN 9782130580355 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.inforevue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2010-3-page-619.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Mais que le salon et l’imaginaire littéraire aient quelque chose en partage, nul ne le contestera : de Guez de Balzac à Marcel Proust, ce lieu de sociabilité est indissolublement lié aux représentations qui ont contribué à le doter d’une aura particulièrement suggestive. Au XIXe siècle d’une manière inégalée par l’ampleur et la fréquence du phénomène, le salon est en effet littérale- ment modelé par le roman réaliste, qui a contribué à en léguer l’image composite dont nul ne peut désormais se départir. Si le salon existe encore pour nous, c’est que ses intrigues ont été imaginées par Balzac et que le jeune Marcel y a fixé ses rêveries — et ses déceptions. Le salon a donc été pour le roman l’objet d’une efficace « sociologie-fiction2 » ; un lieu avec ses types (la salonnière, le jeune entrant, le mari trompé, la demoiselle à * Université Laval (Québec). 1. Voir notamment Antoine Lilti, Le Monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 et Anne Martin-Fugier, La Vie élégante ou la formation du Tout-Paris, 1815-1848, Paris, Fayard-Seuil, coll. « Points-Histoire », 1990. 2. Jacques Dubois, Les Romanciers du réel, de Balzac à Simenon, Paris, Seuil, coll. « Points- Essais », 2000. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.23.93.213 - 07/10/2019 23:03 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.23.93.213 - 07/10/2019 23:03 - © Presses Universitaires de France REVUE D’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE 620 marier), ses hiérarchies (Paris, Province, aristocratie, bourgeoisie, Fau- bourg Saint-Germain, Faubourg Saint-Honoré), ses intrigues (séduction, rivalités, jalousies), ses scénographies (une entrée, une sortie, un aparté, une apostrophe), etc. Ouvert aux uns et fermé aux autres, le salon de la fiction est un lieu fascinant qui, du personnage élu au lecteur voyeur, donne à réfléchir à ce qu’il est véritablement3. Pour autant, si le salon imaginé par le roman a été un écran relative- ment opaque, dissimulant les pratiques effectives de la mondanité — mais faisant aussi, sans doute, retour sur ces mêmes pratiques et sur la manière dont les individus concernés les ont appréhendées4 —, il a aussi contribué à laisser dans l’ombre un secteur considérable du discours social. Le dis- cours médiatique a longtemps été occulté par un effet de distorsion que l’on connaît mieux maintenant que la recherche, grâce aux avancées de la sociocritique, de l’analyse du discours ou encore de l’histoire culturelle, est sortie d’un certain « littératurocentrisme5 ». Or sur la représentation des sociabilités, il n’y a sans doute pas de secteur de l’imprimé au XIXe siècle qui ait été plus actif et plus largement diffusé que celui du journal et des publications périodiques. Lorsque l’on tente de cerner la place et les usages de la sociabilité dans le journal, c’est à un phénomène massif que l’on se retrouve confronté, qui peut prendre les allures les plus subtiles comme les plus évidentes. Entre autres, s’il ne saurait être question ici exclusivement de ces sociabilités littéraires qui font l’objet de ce collectif, nous sommes néanmoins en présence d’une poétique des sociabilités qui a beaucoup à voir avec des formes littéraires héritées du passé et profondément immer- gées dans la nouvelle culture médiatique. On sait en effet que cette der- nière s’est constituée à coup de recyclages et de bricolages discursifs. Alors que tout était à inventer, les poétiques littéraires ont massivement investi l’espace du journal pour le structurer et lui donner forme6. Le genre de l’épistolaire par exemple, issu lui-même d’une tradition et d’une culture mondaines, a permis l’éclosion de multiples formes d’interlocu- tions entre le journaliste et ses lecteurs, produisant des effets de familia- rité et de connivence. C’est tout naturellement que dès le début du siècle un publiciste comme Étienne de Jouy s’amuse de la polyphonie que pro- 3. Sur cette fascination du salon, voir Roland Barthes, « La Bruyère », dans Œuvres com- plètes, vol. II : 1962-1967, Paris, Seuil, 2002, p. 473-487. 4. Sur l’équilibre dynamique entre pratiques et représentations, voir Roger Chartier, « Le monde comme représentation. Redéfinition de l’histoire culturelle », Annales ESC, n° 6 (novembre-décembre 1989), p. 1505-1520. 5. À ce propos, voir Alain Vaillant, « Pour une histoire de la communication littéraire », RHLF, vol. 103, n° 3 (2003), p. 549-562. 6. Voir Marie-Ève Thérenty, La littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siè- cle, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.23.93.213 - 07/10/2019 23:03 - © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 181.23.93.213 - 07/10/2019 23:03 - © Presses Universitaires de France IMAGINAIRE DES SOCIABILITÉS ET CULTURE MÉDIATIQUE AU XIXe SIÈCLE 621 voque l’intégration dans ses articles de correspondances fictives avec ses lecteurs7. Le procédé sera massivement pratiqué durant tout le siècle chez les chroniqueurs, et le genre de la chronique — j’y reviendrai — opère lui-même un recyclage constant des codes de la lettre. Avec les poétiques médiatiques, structurées autour de telles récupérations d’une rhétorique de la mondanité et d’une certaine conception dans la mise en scène des échanges sociaux, le journal a trouvé dans les sociabilités des microsocié- tés fascinantes, aisément médiatisables. Trois constats essentiels sont à rappeler en la matière : 1. L’adéquation historique. L’observation conjointe de l’histoire du journal et de l’histoire des sociabilités montre que toutes deux sont étroi- tement corrélées. Au démarrage rapide de l’ère médiatique sous la monar- chie de Juillet et à l’invention du « Tout-Paris8 » à la même époque, suc- cèdent la prudence des journaux sous le Second Empire et la floraison d’une sociabilité compensatrice comme le café9. Puis vient la libéralisa- tion du journal sous la IIIe République et simultanément la reprise de sociabilités variées10. Le rapprochement pourrait être poussé jusqu’à pro- poser que certaines formes de sociabilités, comme le cercle ou le salon, vont ensuite connaître leur déclin progressif du fait même de l’avènement de la société médiatique de masse. Comme l’a bien montré Jean-Yves Mollier, « la révolution culturelle qui s’est produite entre 1890 et 1914 a bouleversé les structures mentales en donnant naissance à un individu plus homogène, davantage socialisé, partageant avec ses contemporains, même très éloignés dans l’espace, un horizon d’attente relativement compa- rable11 », entraînant un irréversible phénomène de décloisonnement des modes d’être-ensemble traditionnels. 2. L’« usage médiatique » des sociabilités. Avec la presse mondaine notamment (mais il va de soi que les formes de sociabilités et leurs « équi- valents » journalistiques sont autrement variés), s’invente un genre jour- nalistique, ou du moins un secteur médiatique qui préexistait dans une forme archaïque au XVIIIe siècle mais dont la vitalité et la variété appar- tiennent indéniablement au siècle suivant. Fidélisant leur lectorat, les 7. Judith Lyon-Caen, « L’actualité de l’étude de mœurs. Les Hermites d’Étienne de Jouy », Orages. Littérature et culture (1760-1830), n° 7 (2008), p. 85-102. 8. Martin-Fugier, La Vie élégante ou la formation du Tout-Paris, op. cit. 9. Un cas exemplaire à cet égard est celui de Jules Vallès : voir Roger Bellet, Jules Vallès, journalisme et révolution. 1857-1885, Tusson, Du Lérot, 1987. 10. Anne Martin-Fugier, Les Salons de la IIIe République. Art, littérature, politique, Paris, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 2003. 11. Jean-Yves Mollier, « Naissance de la culture médiatique à la Belle Époque : mise en place des structures uploads/Litterature/ imaginaire-des-sociabilites-et-culture-mediatique-au-xixe.pdf
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- Publié le Fev 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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