Denis Demonpion HOUELLEBECQ NON AUTORISÉ enquête sur un phénomène Maren Sell Éd

Denis Demonpion HOUELLEBECQ NON AUTORISÉ enquête sur un phénomène Maren Sell Éditeurs © Maren Sell Éditeurs, 2005 7, rue des Canettes, 75006 Paris 2-35004-022-4 A la femme que j'aime ; un rêve de miel. Si on ne peut plus rien écrire, il n'y a plus qu'à aller se coucher et faire des dominos. Michel Houellebecq II n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. Beaumarchais He was a man, take him for all in all1. Shakespeare 1. « C'était un homme, prenez-le pour ce qu'il est. » Traduction de l'auteur. AVANT-PROPOS Houellebecq m'intriguait. Je le croisais parfois le matin rue Racine, avachi dans son blouson de cuir de bonne qualité, embrumé, la silhouette ployant sous le mal de vivre. Allure de dandy fin de siècle, la sempiternelle cigarette coincée entre le majeur et l'annulaire, son signe distinctif. C'était vers la fin des années 1990. Le troisième millénaire était proche. Les Particules élémentaires venaient de le porter au faîte de la gloire. D'obscures rêveries semblaient lui tenir lieu de compagnie. A quoi pensait- il ? Au monde tel qu'il va et tel qu'il le voit - implacable et sans joie ? A ses droits d'auteur — mirobolants ? A son prochain roman ? A sa stratégie marketing — qui lui permettrait de frap- per toujours plus haut et plus fort et de se maintenir au firma- ment de la République des lettres ? Au concert de lamentations sur la perte des valeurs et des repères ? A sa propre survie peut- être, tout simplement. Les épaules ingresques, la mine lasse, l'air de dégoût de celui qui se dit : « Tout est foutu. On est sur des ruines », Houelle- becq se traînait plus qu'il ne marchait. Comme si quelque chose en lui était brisé. N'était l'éclair du regard, bleu, aigu, indiffé- rent. Au tranchant d'un rayon laser. Quiconque l'aurait croisé sans le reconnaître aurait facilement pu prendre en pitié ce pauvre hère à la dérive. A Paris, pour se foutre à l'eau, il suffit de pousser le pas, la Seine n'est jamais bien loin. Je l'ai revu un soir dans le sous-sol surbondé d'un restaurant- boîte de nuit des Champs-Elysées. Une foule de gens du Paris noctambule et branché s'étaient retrouvés à la première du film Extension du domaine de la lutte; à la sortie de la projection le mardi 14 septembre 1999- II en a cosigné l'adaptation avec Phi- lippe Harel, le réalisateur et acteur qui tient le rôle du narrateur à l'écran. Tirant sur sa cigarette et sirotant sec, Houellebecq, égaré dans les vapeurs d'alcool, dodelinait du chef chaque fois qu'un admirateur au débraillé chic, pas rasé, la mèche en bataille, vêtu de noir et gris, lui assénait un compliment. De jeunes producteurs parvenus plastronnaient, accompagnés de blondes créatures au charme slave avides de se voir bientôt à l'af- fiche. L'atmosphère donnait la nausée. Lui bredouillait quelques mots entre deux bouffées. De Michel Houellebecq on ne sait que ce qu'il veut bien dire. Sa principale carte de visite se résume à ses romans, au premier rang desquels Les Particules élémentaires, livre culte tendance fin de siècle. Son irruption dans le paysage littéraire à l'au- tomne 1998 a provoqué un tel séisme que l'onde de choc a dépassé les frontières. Il a mis à bas les derniers vestiges de 68, condamné ses épigones féministes et écologistes, appelé à la regénérescence du genre humain par la manipulation géné- tique, réintroduit l'eugénisme dans le discours, stigmatisé la montée de l'islam face à une chrétienté essoufflée et, à travers ses héros, déploré la misère sexuelle de ses contemporains. Tout ça dans un style clinique et glacé qui l'a propulsé en tête des best- sellers. Il est en parfaite adéquation avec l'époque : la France est mal en point, l'Occident est sur le déclin, l'humanité est en per- dition. Incapable d'être heureux, l'homme se débat et n'a plus rien à espérer. L'œil rivé à sa lunette d'entomologiste, Houellebecq observe, Houellebecq dissèque, Houellebecq consigne. Il parle de souffrance. La violence est partout, la mort guette, l'amour est devenu impossible. Le diagnostic est impitoyable, le miroir qu'il tend insoutenable. Ses considérations sur l'amélioration de l'espèce, les Noirs, les Arabes, les femmes, lui ont valu quelques volées de bois vert et des procès. On l'a dit réactionnaire, fasciste, stalinien. Il a inspiré et inspire encore de la répulsion 12 comme peu d'écrivains avant lui. Il faut remonter à Céline et au Voyage au bout de la nuit sorti en 1932 pour retrouver une empoi- gnade aussi vive entre adulateurs et détracteurs. Avec Houellebecq, toujours sur la ligne de crête, mais conscient du danger qu'il y a de pousser le bouchon trop loin, le malaise s'est installé dès son deuxième roman. Il en a joué avec une maîtrise insoupçonnée. Les eaux troubles, c'est son champ de prédilection. Tout à son œuvre et sûr d'être le meilleur, Houellebecq s'en moque. Il en ricane, lucide, indifférent, le mépris souverain. C'est une forte tête qui n'a pas peur d'avancer à contre-courant. Il se dit volontiers conservateur, contre l'avor- tement, pour le retour à l'ordre. La liberté lui est suspecte. Il a brisé des tabous. En disant tout haut ce que beaucoup pensaient in petto. Il a fait des émules. Eructer la haine est devenu ten- dance. De jeunes auteurs s'y emploient avec plus ou moins de veine. Sa rage froide fait école. La parution de Plateforme en 2001 l'a conforté dans son rôle de provocateur. Le cynisme à l'œuvre, son héros Michel, portrait craché de Houellebecq, préconise de remédier à la libido contrariée par de vastes échanges mondiaux entre, d'un côté, les riches peine-à-jouir et, de l'autre, les pauvres crève-la-fin. Parce qu'entre deux vitupérations contre l'islam et les musul- mans, il a imaginé un attentat dans un village de vacances en Thaïlande par des terroristes « enturbannés », certains l'ont pris pour un visionnaire. Qu'importé que ce roman soit plus relâché que les deux précédents. Le scandale a été complet. La valeur marchande de l'artiste en a été décuplée. Infréquentable, Houel- lebecq tient son rang. Ses moindres faits et gestes sont épiés. On l'attend. Au tournant. Au-delà de l'écrivain au talent et au savoir-faire certains, il y a l'homme. Qui est-il au fond ? Que savons-nous de lui ? Peu de choses en dehors de ce qu'il concède avec parcimonie au fil d'entretiens désormais choisis. Sous son air souffreteux qui décourage les indiscrétions, Michel Houellebecq cultive le mystère d'un œil sourcilleux. Un 13 mystère que cette enquête se propose de lever, à partir de docu- ments et de témoignages inédits. Parents, proches, anciens camarades de classe, ex-condisciples d'université, personnalités du Tout-Paris ont accepté de témoigner. Son père de quatre- vingts ans et sa mère de soixante-dix-neuf ans, qu'il égratigne et injurie dans ses romans, ne s'étaient jamais exprimés. Pour la première fois, ils ont consenti à parler de leur fils, de sa vie et de ses succès, longuement, sans fard et sans éluder les questions sur « l'abandon » que Michel affirme avoir éprouvé petit. Grâce à eux tous, il m'a été possible de remonter à ses origines, de retra- cer au plus près les tourments de l'enfance et de l'adolescence, de décortiquer les années étudiantes à l'Institut national d'agro- nomie, et, ce qu'on ignore tant il préserve le secret, l'école natio- nale Louis-Lumière, centre de formation cinématographique à Vaugirard. Houellebecq a toujours rêvé d'être cinéaste. C'était même sa seule aspiration avant ses essais en poésie et la gloire littéraire. Le fanstastique, le trash ont longtemps eu sa préfé- rence. Pour faire vibrer la corde sensible de tout un chacun, il y a ajouté ce qu'il faut de romantisme. Au final, il s'est révélé un formidable farceur, modifiant jusqu'aux faits et dates de son curriculum vitae. J'avais lu Extension du domaine de la lutte dans la collection de poche « J'ai lu », sur les chaudes recommandations de l'écrivain Denis Robert, auteur à succès. Les mésaventures du héros de Houellebecq, un cadre informaticien plombé par une existence poisseuse et grise, m'avaient emballé. La justesse de l'observa- tion et le ton neurasthénique du récit, enthousiasmé. J'entrepris de lire le reste de l'œuvre : Les Particules élémentaires, les poèmes, les recueils d'articles et de chroniques. Et à la rentrée littéraire de l'automne 2001, Plateforme. Sur le coup, j'aurais dû aussi lire son Lovecraft, ouvrage clé qui contient en germe les grands thèmes des romans à venir et aide à comprendre le personnage. C'est au moment de la polémique déclenchée par son interview 14 au magazine Lire dans le cadre de la campagne de promotion de son troisième roman, que je fus amené à m'intéresser à la per- sonnalité de l'artiste. « La religion la plus con, c'est quand même l'islam », tranchait-il. Mon journal, Le Point, jugea que ce serait un bon coup de consacrer la une à « l'affaire Houellebecq » sous le titre : « L'anatomie d'une polémique ». Fervent lecteur de Houelle- becq, je fus préposé au décryptage de la prose jugée scélérate par ses adversaires. uploads/Litterature/ houellebecq-non-autorise-enquete-denis-demonpion.pdf

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