Ouvrage publié sous la direction de Jean-Luc Barré © Éditions Robert Laffont, S
Ouvrage publié sous la direction de Jean-Luc Barré © Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2012 ISBN : 978-2-221-12981-4 En couverture : © Chamussy et Sichov / Sipa Press et E. Bernaux / Gamma Rapho Introduction Je suis contemporain de Mickey. Jean-Marie LE PEN On croyait Le Pen derrière nous, au bord de l’abîme. À droite, on se frottait les mains. Un rusé fils de Hongrois avait réussi un improbable hold-up électoral. Ainsi, il suffisait de parler comme Le Pen pour tromper ses électeurs. Que n’y avait-on pensé plus tôt ? La morale y perdait mais la démocratie y gagnait. À gauche, les réactions furent diverses. Pour les uns, Sarkozy était le nouveau nom de Le Pen et on ne gagnait rien au change. Pour les autres, la marginalisation du Front national devait permettre à la gauche de recouvrer son identité. Droite contre gauche, rien de tel pour remuscler la vie politique. Ici aussi, la démocratie l’emportait et nous consolait de la crise. Cinq années tout au plus ont suffi à balayer toutes ces illusions. Le Pen est, dit-on, le diable de la République 2. Par un paradoxe dont peu de gens ont pris conscience, la marginalisation de Le Pen, parfaitement réussie par ses adversaires, l’a installé au centre du jeu politique, et tout indique que la chose est bien partie pour durer. Le postlepénisme a peut-être plus d’avenir que Le Pen lui-même dans nos livres d’histoire. Les effets d’une illusion ne sont pas toujours une illusion. En 2013, cela fera trente ans que Jean-Marie Le Pen polarise le débat démocratique et ce de plusieurs manières. Il y a, bien sûr, le plus apparent, le phénomène électoral, que l’on peut résumer d’une phrase laconique mais incontestable : depuis que le Front national « congèle » entre 10 et 20 % de l’électorat lors de chaque scrutin, les partis de gouvernement sont condamnés à gouverner en étant minoritaires. Droite et gauche vivent un véritable cauchemar électoral. La première est dans l’impasse : si elle s’empare des thèmes lepénistes, son flanc centriste se détache d’elle et conquérir la majorité devient impossible. La seconde a visiblement perdu le peuple dans cette affaire en abandonnant au FN ses thématiques de prédilection. En régime de croisière, la gauche ne peut espérer l’emporter qu’à la faveur de triangulaires. Le scrutin majoritaire était censé protéger le pays de ce que beaucoup d’éditorialistes ont vite pris l’habitude de qualifier de populisme. Il semble avoir contribué à faire son lit. Dénués de toute responsabilité depuis trente ans (à l’exception de quelques municipalités), les élus lepénistes peuvent arborer une tunique immaculée : en les écartant du pouvoir exécutif, le « front républicain » qui régit implicitement notre vie politique a, en quelque sorte, innocenté le Front national. Plus grave est sans doute le fait que Le Pen a fini par polariser aussi le débat d’idées. Il dénonçait, voici trente ans, les ravages prévisibles d’une immigration non régulée. Il alertait le peuple sur la montée des périls dans les villes. Plus récemment et souvent avant les autres, il s’est emparé du thème de la mondialisation qui allait détruire l’industrie et la souveraineté de la France. Chaque fois, les bonnes consciences s’indignaient. Les immigrés quels que soient leurs comportements et les conditions de leur arrivée, ne pouvaient qu’être utiles et bienvenus. L’insécurité, un sentiment imaginaire. Quant à la mondialisation rebaptisée « ouverture », elle permettait aux vrais déshérités – ceux du Sud – de sortir de la pauvreté. Pas encore le bonheur absolu, mais déjà le recul de la misère. Cette tradition de dénégation s’est solidement installée à gauche. Jusqu’à l’été 2012 où le député écologiste Jean-Vincent Placé accuse le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg de flirter dangereusement avec les thèmes frontistes sous prétexte qu’il a mis en cause le choix, par le Conseil régional d’Île-de-France, d’un sous- traitant projetant d’installer une plateforme téléphonique au Maroc. Plus préoccupant pour notre vie intellectuelle, toute réflexion sur la diabolisation et ses effets dans le peuple, tout doute porté sur la stratégie de l’antifascisme militant voue son émetteur aux gémonies de la « lepénisation des esprits » ou du « crypto- lepénisme ». De Paul Yonnet à Laurent Bouvet en passant par Jean-Marie Domenach, combien d’intellectuels ont été ainsi brûlés au bûcher des vanités antifascistes ? Mais qu’importent les soubresauts d’un débat intellectuel inquiétant. Pour le citoyen doté d’un peu de bon sens, les trois sujets agités par Le Pen – immigration, insécurité, mondialisation – sont aujourd’hui au cœur du débat démocratique. Sommes-nous donc tous lepénisés ? Certains le pensent et entendent « entrer en résistance ». La France pétainiste ou fasciste peut encore secouer quelques consciences qui vivent dans le passé. La campagne législative de Jean-Luc Mélenchon à Hénin-Beaumont a été le symbole de ce combat dérisoire et contre-productif dont Marine Le Pen est sortie victorieuse (quoique battue au second tour) sans trop d’efforts 3. Pour les autres, il convient de reprendre tout à zéro. Et d’abord de comprendre qui est exactement Le Pen. Or ce n’est pas en fréquentant les librairies que l’on peut espérer y parvenir. Car la diabolisation qui a été construite autour du personnage voisine avec un autisme bibliographique : parmi les centaines d’ouvrages consacrés au lepénisme ou à Le Pen lui-même, il n’y a aucune mesure ; la raison même semble avoir déserté cette production pléthorique et hémiplégique. D’un côté, une dizaine d’ouvrages hagiographiques, en général commandés par le Front national, et réservés à ses électeurs, sans qu’aucun de ses détracteurs n’ose s’aventurer à les lire et à les critiquer. De l’autre, des centaines de livres et de brochures à charge, portés par de bonnes intentions mais dont on peine à trouver la moindre trace de curiosité et de bonne foi. À une exception près : l’excellente biographie des journalistes Christian Lionet et Gilles Bresson 4, publiée en 1994, lorsqu’ils étaient journalistes à Libération, voici près de vingt ans 5. Surprise : alors que leur journal s’est montré le champion toutes catégories de l’antilepénisme le plus militant, leur livre respecte tous les codes de la biographie « à l’américaine ». Le factuel y règne en maître, une sérénité de bon aloi laissant le lecteur libre de se forger son propre jugement. Le livre, profondément contradictoire avec l’esprit de diabolisation qui dominait à l’époque de sa publication, a été largement ignoré. Autre raison de remettre l’ouvrage sur le métier : en 1993, date à laquelle s’est arrêtée l’enquête de Lionet et Bresson, la trajectoire Le Pen était loin d’être terminée. Il nous a semblé qu’un point d’étape s’imposait au moment où le fondateur du lepénisme s’apprête à prendre une retraite qu’il a toujours tenue en horreur mais que les circonstances semblent bien lui imposer cette fois. Notre point de départ a été on ne peut plus simple. Détacher Le Pen des oripeaux idéologiques dont on l’affuble généralement. L’aborder comme un sujet d’enquête banal, sans a priori. La curiosité devait guider la biographie, quitte à donner parfois l’impression de céder à une forme d’empathie, ce qui est inévitable dans ce genre d’exercice. On enquêtera sur les prémices, les origines, les hauts et les bas de son parcours en appliquant à la lettre les principes du métier : relevé des faits le plus précis possible, recueil de témoignages, analyse et restitution des contradictions, conflits et incertitudes apparus. Cette méthode imposait de prendre langue avec le sujet principal de l’étude, ce qu’il a accepté sans barguigner. Au total, une bonne douzaine d’entretiens, une vingtaine d’heures d’enregistrements. Pour tout dire, un récit plutôt qu’un dialogue. Jean-Marie Le Pen s’est toujours montré très affable. Les rendez-vous étaient faciles à obtenir. Il s’est toujours montré fort disponible durant les entretiens, s’excusant lorsqu’il devait répondre au téléphone, écoutant les questions avec une bonne volonté évidente. Les premiers entretiens se sont déroulés en présence d’Alain Vizier, le directeur de la communication du Front national, qui l’assiste depuis 1986. Le rendez-vous était chaque fois fixé en fin de matinée. Son magnétophone était placé à côté du nôtre, souvenir sans doute de quelques procès perdus lors d’entretiens litigieux. Puis Jean- Marie Le Pen nous a reçus à Montretout, sans la présence de tiers, le plus souvent en fin de journée. Les entretiens se sont étirés en longueur. L’absence de témoin et de magnétophone de « contrôle » pouvait être prise pour une marque de confiance. Cela n’a jamais empêché Le Pen de rester sur une certaine réserve et de contrôler parfaitement son propos. Nous n’avons jamais réussi à mettre Le Pen réellement en difficulté durant ces entretiens. Nous avons pourtant mis un point d’honneur à l’interroger sur la plupart des scandales qui ont marqué son parcours politique. Mais lorsqu’une question le gêne, il nie, dément ou déclare ne plus se souvenir, avant de reprendre le fil de son récit. On peine à le ramener à ce qui fâche, ce qui peut se comprendre. Malgré son âge avancé, le fondateur du Front national tient relativement à jour une comptabilité de tout ce qui a été révélé ou écrit sur lui. Dans uploads/Litterature/ histoire-francaise.pdf
Documents similaires










-
49
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 4.1476MB