ELINOR OSTROM L'inventivité sociale et la logique du partage au cœur des commun
ELINOR OSTROM L'inventivité sociale et la logique du partage au cœur des communs Hervé Le Crosnier CNRS Éditions | « Hermès, La Revue » 2012/3 n° 64 | pages 193 à 198 ISSN 0767-9513 ISBN 9782271075581 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2012-3-page-193.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions. © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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La théorie des biens communs – ou plus précisément des « communs », suivant le terme anglais commons, plus général et moins focalisé que la traduction française actuel- lement utilisée – a connu plusieurs périodes : les études historiques, l’analyse du fonctionnement des communs naturels et la construction des communs du numérique. Elinor Ostrom et l’approche institutionnelle de l’économie politique des communs est essentielle dans ce parcours pour comprendre le renouveau de l’étude des communs et l’apparition de mouvements sociaux se reven- diquant de leur défense ou de leur construction. Leçons de l’histoire : communs et enclosures L’histoire de l’Angleterre et du mouvement des enclosures, qui opposa très violemment les pauvres des campagnes aux propriétaires terriens entre les xiiie et xviie siècles, a été la première incarnation des analyses et des mouvements sur les communs. Les propriétaires voyaient dans la privatisation et la clôture des espaces la garantie d’une meilleure productivité, notamment pour l’élevage des moutons destinés aux filatures. Les pauvres, qui dans les coutumes et les premiers textes législa- tifs2 avaient des droits élémentaires sur les communs, y voyaient une expropriation de leurs moyens de subsis- tance : la récolte du miel, le bois de chauffe, les produits de la cueillette. Une expropriation qui les conduisait à rejoindre les villes et accepter les travaux les plus ingrats, notamment l’engagement sur les bateaux de la marine anglaise. Le mouvement politique des Levellers a porté les revendications égalitaires des révoltés des communs lors de la guerre civile anglaise de 1647. La répression et la terreur qui régna alors dans les campagnes font dire à l’historien Peter Linebaugh (2010) que le « mouvement des enclosures en Angleterre fait partie de ces universaux concrets, à l’image du marché triangulaire des esclaves, des sorcières portées au bûcher, de la famine irlandaise ou du massacre des nations indiennes, qui permettent de définir le crime du modernisme, à chaque fois limité dans le temps et l’espace, mais toujours dépassant le par- ticulier et susceptible de revenir au-devant de la scène ». Aujourd’hui encore, penser les communs ne peut se faire qu’en relation avec les tentatives, les formes et les succès ou Elinor Ostrom L’inventivité sociale et la logique du partage au cœur des communs © CNRS Éditions | Téléchargé le 06/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 129.0.125.122) © CNRS Éditions | Téléchargé le 06/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 129.0.125.122) Hommages 194 HERMÈS 64, 2012 échecs des nouvelles enclosures, qui organisent la privati- sation de ce qui était auparavant utilisé par tous. Charlotte Hess (2011), collègue d’Elinor Ostrom avec qui elle écrivit un livre majeur sur les nouveaux communs de la connais- sance, tente la définition suivante : « les communs sont des ressources partagées par un groupe de personnes et qui sont vulnérables aux dégradations et aux enclosures. » De la tragédie à l’écologie : le renouveau de la théorie des communs Cependant, à part les historiens et les lecteurs atten- tifs de Marx ou de Polanyi, tous les économistes semblaient avoir oublié la notion de communs lorsqu’en 1968 paraît l’article de Garrett Hardin « La tragédie des communs », dans lequel il estime que chacun étant guidé par son avi- dité va essayer de bénéficier au mieux des communs, sans prendre en charge leur renouvellement. Il en conclut que la gestion optimale des communs passe soit par la privatisa- tion du bien considéré, soit par sa nationalisation, et qu’il vaut mieux créer des inégalités que de conduire à la ruine de tous. Cet article va rester longtemps une référence, au point que jusqu’à la reconnaissance du travail d’Elinor Ostrom, il était impossible dans un lieu public de parler des communs sans que quelqu’un ne pose la question de leur « tragédie ». Mais paradoxalement, comme le signale Christian Laval (2011), cet article va également remettre la question à l’ordre du jour. Il aura ainsi poussé Elinor Ostrom et son mari Vincent à approfondir les études sur les communs. Plutôt que de se livrer à des jeux mathéma- tiques comme Hardin, ils vont examiner ce qui se passe réellement da ns les communs existants, et montrer que des formes de gouvernance autres que privation ou étati- sation sont possibles, qu’elles sont concrètement mises en œuvre par des communautés pour protéger et maintenir les ressources partagées qui leurs sont confiées. Ces travaux seront publiés ultérieurement dans son ouvrage le plus connu, Governing the Commons (1990). Entre-temps, les recherches menées au sein du Workshop in Political Theory and Policy Analysis qu’elle a créé avec son mari en 1973 à l’Université d’Indiana avaient connu un développement mondial qui s’est traduit par la consti- tution de l’International Association for the Study of Common Property3 au milieu des années 1980. Dès lors, des chercheurs du monde entier vont étudier les modes de gestion des communs dans de nombreux endroits, à la suite et à l’image des premiers travaux d’Ostrom sur la gestion des réseaux d’irrigation directement par les parties prenantes en Californie du Sud, ou la façon dont des copropriétaires peuvent gérer correctement et col- lectivement les immeubles. Ils découvriront ainsi que la gestion de ressources partagées passe par la constitution d’arrangements institutionnels, souvent informels, mais néanmoins dotés d’une force de réalisation par l’implica- tion des acteurs directement concernés. Loin du modèle de Hardin, dans lequel les éleveurs pouvaient faire paître leurs animaux dans un même champ sans jamais se parler, au point d’en épuiser la source même de nourriture, les chercheurs découvrent la grande variété et l’inventivité des communautés réelles pour gérer les ressources com- munes. Elinor Ostrom répondra souvent à ceux qui lui demandent des « recettes » que « chaque commun est un cas particulier », qu’il faut analyser à la fois en lui-même (quel est le type de ressource offerte en partage) et en regard de la communauté qui en a la charge – ce qu’elle fit avec pédagogie lors de son dernier séjour en France en juin 2011. Elinor Ostrom a mis en place un cadre d’analyse et de développement institutionnel destiné à l’observation des communs. De ses observations concrètes, elle a tiré huit principes d’agencement que l’on retrouve dans les situations qui assurent réellement la protection des com- muns dont ces communautés d’acteurs ont la charge : des groupes aux frontières définies ; des règles régissant © CNRS Éditions | Téléchargé le 06/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 129.0.125.122) © CNRS Éditions | Téléchargé le 06/09/2021 sur www.cairn.info (IP: 129.0.125.122) Hommages 195 HERMÈS 64, 2012 l’usage des biens collectifs qui répondent aux besoins et spécificités locales ; la capacité des individus concernés à les modifier ; le respect de ces règles par les autorités exté- rieures ; le contrôle du respect des règles par la commu- nauté qui dispose d’un système de sanctions graduées ; l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ; la résolution des conflits ; des activités de gou- vernance organisées en strates différentes et imbriquées. On voit clairement dans son approche qu’à la différence de nombreux économistes, elle ne considère pas les biens pour eux-mêmes, mais dans leur relation avec les groupes sociaux qui participent à leur production ou maintien. Les communs ne sont pas des « biens » particuliers, mais également des systèmes de règles pour les actions collec- tives. Ce qui est alors ouvert au partage n’est pas seulement une ressource, mais bien un agencement social particu- lier ; en conséquence, sa préservation passe par la prise de conscience des interactions sociales permettant ce partage. La rencontre entre l’approche économique et poli- tique de la théorie des communs portée par l’École de Bloomington d’Elinor Ostrom et la prise de conscience écologique au cours des années 1970 et 1980 uploads/Litterature/ herm-064-elinor-ostrom-l-x27-inventivite-sociale-et-la-logique-du-partage-au-coeur-des-communs.pdf
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- Publié le Mar 07, 2021
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