« L'ÉVÉNEMENT, C'EST CE QUI ADVIENT À CE QUI EST ADVENU... » Entretien avec Pie
« L'ÉVÉNEMENT, C'EST CE QUI ADVIENT À CE QUI EST ADVENU... » Entretien avec Pierre Laborie Pascale Goetschel et Christophe Granger Publications de la Sorbonne | Sociétés & Représentations 2011/2 - n° 32 pages 167 à 181 ISSN 1262-2966 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2011-2-page-167.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Goetschel Pascale et Granger Christophe, « « L'événement, c'est ce qui advient à ce qui est advenu... » » Entretien avec Pierre Laborie, Sociétés & Représentations, 2011/2 n° 32, p. 167-181. DOI : 10.3917/sr.032.0167 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Publications de la Sorbonne. © Publications de la Sorbonne. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 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Son dernier livre, Le Chagrin et le Venin2, tout comme son travail pour l’exposition permanente « Guerre mondiale, guerre totale » du mémorial de Caen en font, parmi les historiens du (très) contemporain, un spécialiste de ce qui fait l’événement et plus largement de la construction des rapports au passé. Dans cet entretien, il revient en particulier sur les modes de fabri- cation de l’événement, et tout spécialement sur les phénomènes de réception, les imaginaires sociaux et l’imbrication des temporalités qui en forment les principaux ressorts (propos recueillis à Paris, le 3 novembre 2011). À travers vos travaux sur l’opinion sous l’Occupation et à travers les séminaires que vous avez animés avec Arlette Farge à l’EHESS, vous avez contribué à familiariser certains historiens avec la notion d’événement. Pouvez-vous nous dire comment s’est opéré le parcours qui vous a conduit à travailler sur l’événement et à en faire une notion pertinente ? Et quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Quand on travaille sur les années 1930, 1940, sur la Seconde Guerre mondiale et ses mémoires plurielles, on est confronté à l’événement en permanence, 1. Pierre Laborie, L’Opinion française sous Vichy, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 1990 ; réédité sous le titre L’Opinion française sous Vichy. Les Français et la crise d’identité nationale, 1936-1944, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 2001. Voir aussi : id., Les Français des années troubles. De la guerre d’Es- pagne à la Libération, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Histoire », 2001 [rééd. Paris, Seuil, coll. « Points histoire », 2003]. 2. Pierre Laborie, Le Chagrin et le Venin. La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues, Paris, Bayard, 2011. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 17/10/2013 11h50. © Publications de la Sorbonne Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Laval - - 132.203.235.189 - 17/10/2013 11h50. © Publications de la Sorbonne 168 Pascale Goetschel et Christophe Granger, « “L’événement, c’est ce qui advient à ce qui est advenu…” », S. & R., no 32, décembre 2011, p. 167-181. inévitablement. Mes recherches, qui portent sur les phénomènes d’opinion, sur les représentations collectives, les imaginaires sociaux et, partant, sur les interactions de la réception intègrent une réflexion sur l’événement. C’est la raison pour laquelle, quand, en 1998, à ma surprise, on m’a proposé de rejoindre l’EHESS, j’ai présenté un projet de séminaire sur la construction de l’événement3. J’ai alors pris conscience, en me retrouvant en particulier aux côtés de sociologues dans des jurys de thèse ou à l’occasion de journées d’études, des différences qui existaient entre nous dans la perception de la notion. Pour beaucoup, l’événement était « ce qui arrive ». J’indiquais pour ma part : l’événement n’est pas seulement ce qui se produit, c’est aussi ce qui se passe après et sur ce qui vient de se passer. Je me souviens avoir souvent dit à mes étudiants : ce qui fait événement n’est pas le seul fait de l’événement ; il n’est pas simplement ce qui advient mais ce qui advient à ce qui est advenu. Ou, pour prolonger une formule de Paul Ricœur : « L’événement, c’est plus que le quelque chose qui arrive en tant qu’il arrive4. » En travaillant à la fois sur les imaginaires sociaux, sur la place et les effets des événements dont on connaît la densité pendant les années 1940, l’impossibilité de réduire l’évé- nement à sa dimension factuelle relevait de l’évidence. Il s’agissait en fait de réfléchir sur les diverses formes du statut socio-historique de l’événement. On peut faire référence au cas d’Auschwitz, plus exactement d’Auschwitz-Birke- nau, un des centres de mise à mort des juifs européens. En raison du secret et du nombre infime de survivants, l’événement, dans le temps de son existence, n’a pas donné lieu à une expérience directe des contemporains, à la différence d’événements – qu’il ne s’agit évidemment pas de comparer – comme la Fête de la Fédération le 14 juillet 1790, le 11 novembre 1918, l’effondrement de juin 1940, le débarquement du 6 juin 1944 ou encore le 11 septembre 2001, entre des centaines d’exemples5. Sa réalité a dû être patiemment et méticu- leusement restituée, le nom d’Auschwitz lui-même n’a été vraiment connu et n’a pris son sens véritable que des années plus tard. Nous sommes là face à un immense événement, celui à partir duquel, dans notre culture, nous pensons aujourd’hui la Seconde Guerre mondiale. On s’interrogerait sans doute sur les intentions de ceux qui s’en écarteraient. Un événement hors du champ direct 3. Projet de direction d’études à l’École des hautes études en sciences sociales : « La construction de l’évé- nement. Histoire sociale de la réception, xxe siècle », 1998. 4. La formule a dû être prononcée, en 2001, lors de l’intervention de Paul Ricœur au séminaire que Pierre Laborie et Arlette Farge animaient à l’EHESS. Voir également Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2000 [rééd. Paris, Seuil, coll. « Points essais » 2003]. 5. « L’empreinte que laisse l’événement, c’est le voir relayé par le dire et le croire », Paul Ricœur, Revue de métaphysique et de morale, janvier-mars 1998, p. 14. 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Il apparaît cependant, et c’est un autre problème impossible à aborder ici, que les recherches de plus en plus précises sur la « Shoah par balles » ainsi nommée par le père Patrick Des- bois6, ce que pour ma part je préfère appeler l’« extermination de proximité », incitent à revenir, pour la nuancer, sur l’analyse qui associe l’extermination des juifs européens à un génocide industriel mené dans le secret. Je n’ai aucune prétention à avoir inventé quoi que ce soit. J’ai emprunté un peu partout, aux antiquisants, beaucoup aux médiévistes et aux moder- nistes, à Georges Duby qui a presque tout dit7, à Marc Bloch, Lucien Febvre, Robert Mandrou, Michel Foucault8, Walter Benjamin, Hannah Arendt… à ceux qui réfléchissent sur l’histoire, historiens ou non. Je dois énormément au séminaire de l’EHESS avec Arlette Farge, à la chance d’avoir pu rencontrer et écouter Nicole Loraux et Jean-Pierre Vernant, d’avoir eu en Jean-Michel Ber- thelot un ami proche9. Je me suis très largement inspiré de ces lectures et de ces influences mais, pour ce que j’appelle le très contemporain, on s’attachait alors en priorité, quand j’étais un jeune chercheur, à la dimension factuelle de l’événement, en privilégiant son approche politique. Parfois encore, quand j’interviens dans des séminaires ou des débats, uploads/Litterature/ goetschel-pascale-et-granger-christophe-l-x27-evenement-c-x27-est-ce-qui-advient-a-ce-qui-est-advenu-pdf.pdf
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- Publié le Mar 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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