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Tous droits réservés © Cinémas, 2017 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 04/29/2022 10:19 a.m. Cinémas Revue d'études cinématographiques Journal of Film Studies Pasolini, années 1940-1942 : généalogie d’une poétique antifasciste Pasolini, 1940-1942: Genealogy of an Anti-fascist Poetry Anne-Violaine Houcke Pasolini, cinéaste civil Volume 27, Number 1, Fall 2016 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1041106ar DOI: https://doi.org/10.7202/1041106ar See table of contents Publisher(s) Cinémas ISSN 1181-6945 (print) 1705-6500 (digital) Explore this journal Cite this article Houcke, A.-V. (2016). Pasolini, années 1940-1942 : généalogie d’une poétique antifasciste. Cinémas, 27(1), 21–39. https://doi.org/10.7202/1041106ar Article abstract Pier Paolo Pasolini grew up under the ventennio nero: twenty years of grandiloquent stagings of romanità against a marble backdrop manipulated by a selective archaeology. The study of these earliest texts makes it possible to trace the genesis of Pasolini’s resistance to what the historian Eric Hobsbawm has called “the [fascist] invention of traditions.” By analyzing the three fundamental schools on which Pasolini, in his correspondence, claims to draw—Longhi, studies of language (hermeticism and dialect) and Freud—along with the concepts (history, tradition) he contests in his earliest texts with respect to fascism, this article shows the development of a way of thinking about artistic invention, understood in the etymological and archaeological sense of bringing to light facts which are invisible because they are excluded from the official ideology, relegated to the sidelines and forbidden to depict. The article concludes with a succinct analysis of Pasolini’s translation of fragments of the ancient Greek poet Sappho, one of the first examples of a Greek model that would inform his entire future oeuvre. Pasolini, années 1940-1942: généalogie d’une poétique antifasciste Anne-Violaine Houcke RÉSUMÉ Pier Paolo Pasolini a vécu sa jeunesse sous le ventennio nero : vingt années de mises en scène grandiloquentes de la romanità, sur fond de décors de marbre qu’une archéologie très sélective manipule. L’étude de ses premiers textes permet de retracer la genèse d’une résistance à ce que l’historien Eric Hobsbawm a appelé « l’invention [fasciste] des traditions ». En analysant les trois écoles fondamentales dont se réclame Pasolini dans sa cor- respondance — Longhi, la réflexion sur la langue (hermétisme et dialecte) et Freud —, ainsi que les concepts (l’histoire, la tradi- tion) qu’il dispute au fascisme dans ses premiers textes publiés, cet article met en évidence l’élaboration d’une pensée de l’inven- tion artistique, entendue au sens étymologique et archéologique de la mise au jour de données invisibles, car exclues de l’idéolo- gie officielle, reléguées « hors champ », interdites de représenta- tion. L’article se termine par une analyse succincte de la traduc- tion qu’a faite Pasolini de fragments de la poétesse grecque archaïque Sappho, l’un des premiers exemples d’une matrice grecque qui informera toute son œuvre à venir. L’enfance et la jeunesse de Pier Paolo Pasolini se sont dérou- lées sous le ventennio nero : ces vingt années de manipulation des « traditions » et de mobilisation de l’Antiquité sont le ter- rain sur lequel s’élabore, par réaction ou plutôt par résistance, une poétique pasolinienne de l’« invention » dialectisant la tra- dition et la révolution. L’étude des tout premiers textes de Pasolini — correspondance, articles critiques et premières œuvres — permet de mettre en évidence les origines et le sens de la fameuse « scandaleuse force révolutionnaire du passé 1 », topos des études pasoliniennes. D’une invention l’autre Le 21 avril 1921, Il Popolo d’Italia publie un discours de Mussolini intitulé programmatiquement « Passato e futuro», où l’on peut lire ces mots (cités dans Foro 2006, p. 108): Rome est notre point de départ et de référence ; elle est notre symbole ou, si l’on veut, notre mythe. Nous rêvons l’Italie romaine, c’est-à-dire sage et forte, disciplinée et impériale. […] Civis romanus sum. L’idéologie sous-jacente à cette revendication du modèle antique apparaît clairement dans un texte publié en février 1922 sous le titre « Où va le monde ? » dans la revue Gerarchia. Mussolini (cité dans Malvano Bechelloni 2003, p. 113) y parle en effet d’une « reprise classique » entendue comme «“restaura- tion du passé” face à “l’égalitarisme démocratique gris et ano- nyme” » et comme « émergence de “nouvelles aristocraties” après les “enthousiasmes pour les mythes sociaux” et “l’orgie de l’in- discipline” ». Il va alors de soi que toute Antiquité n’est pas bonne à prendre et que s’impose la sélection d’une certaine Antiquité classique, susceptible de véhiculer les idées de gran- deur, de hiérarchie, d’ordre, de pureté 2. Cette sélection, voire cette manipulation d’une certaine Antiquité renvoie à ce que l’historien britannique Eric Hobsbawm (1983) a appelé « l’in- vention des traditions », désignant par cette formule a priori paradoxale une continuité « largement fictive» avec le passé dans le but d’utiliser l’histoire « comme source de légitimation de l’action et comme ciment de la cohésion du groupe», dans une visée « idéologique » souvent liée aux nationalismes. L’ampleur de l’invention fasciste des traditions antiques n’est plus à démontrer. L’archéologie a été l’un des fers de lance de l’exaltation de la romanité fasciste, car elle ramenait à la lumière la preuve tangible de cette Antiquité; incluse dans une politique d’urbanisme sans précédent, elle participait, par sa monumenta- lité, d’une stratégie de rhétorique visuelle propre à frapper le regard et à imprégner les consciences. Or, cette archéologie fut en grande partie sélective, c’est-à-dire élective, sa tâche étant de corroborer l’idée de la pureté des origines de Rome: l’archéologie de l’Italie du Sud — la Grande Grèce — n’est pas soutenue par 22 CiNéMAS, vol. 27, no 1 l’État, et les Étrusques sont l’objet d’un discours qui fait d’eux les vecteurs d’une contamination venue d’Orient, dont Rome aurait su se purifier. Au cœur même de Rome, les fouilles des forums impériaux, en mettant au jour les vestiges d’une romanité exem- plaire, permirent aussi de détruire les quartiers populaires, et donc de laver le cœur historique de l’Empire d’une disgrâce — la pauvreté — censée avoir disparu de la nouvelle Rome. Ce sont ces populations qui constitueront la première strate des borgate romaines, sortes de banlieues cons truites en périphérie pour y refouler tout un sous-prolétariat mélangé et sans doute trop peu conforme à l’homme nouveau promu par le fascisme, forzuto à la Maciste — puis à la Mussolini — mieux représenté par les sta- tues bordant le stade du tout nouveau Foro italico. À la fin des années 1950, Pasolini dénoncera d’ailleurs dans une série de textes cette éventration fasciste du centre de Rome, qui prend la forme de véritables « opérations de police » desti- nées à reléguer les populations indésirables dans ce qu’il qualifie de « camps de concentration 3 ». Une politique, dira-t-il, pour- suivie par la Démocratie chrétienne. Or c’est là, justement, dans ces borgate, qu’il se plongera à son arrivée à Rome en 1950: ce sont ces zones marginales, refoulées «hors champ», qu’il inven- tera dans son premier roman publié, Les ragazzi (1955), puis dans son premier film, Accattone (1961). Une «invention» qui prend sa source sous le fascisme, précisément contre cette « invention des traditions » étudiée par Hobsbawm (1983) et que Luciano Canfora (1989) qualifie d’«usurpation moderne» de l’Antiquité — et, plus largement, du passé. Une invention qui, contre la « restauration » fasciste et tout ce qu’elle implique — manipulation, élection, exclusion, pureté, monumentalité — , pourra être entendue au sens étymologique du terme, conservé en archéologie, celui de la mise au jour — invenire: tomber sur, rencontrer — de réalités déjà là, présentes dans le réel, mais invisibles car exclues du désir du regard, voire indésirables. Une attention à l’humus plus qu’au sublimis, pour retrouver des réali- tés faites de détails insignifiants, mais sans doute symptoma- tiques, des réalités stratifiées, mêlées, impures. Mussolini voulait que les monuments antiques puissent se dresser dans leur soli- tude, débarrassés de l’obscurité environnante. La Rome de Pasolini, années 1940-1942 : généalogie d’une poétique antifasciste 23 Pasolini, elle, sera impure, stratifiée, mélangée, contaminée : «Quand la beauté s’isole », écrit-il justement dans l’un des textes où il évoque les borgate fascistes, « elle a quelque chose d’archéo- logique, dans le meilleur des cas : mais elle est le plus souvent l’expression d’une histoire non démocratique » (Pasolini 1998, p. 1444). Or, c’est précisément sous le fascisme que germe cette poétique pasolinienne de l’invention. La correspondance des années 1941-1942 : à l’école de Cézanne, d’Ungaretti et de Freud Dans une lettre de 1940 adressée à son ami Franco Farolfi, Pasolini (1991, p. 30) écrit avoir en horreur «le travail universi- taire classique, fait par pur sens de la rhétorique et de l’érudition » ; il ajoute : Qu’est-ce que ça peut me faire à moi, qui idolâtre Cézanne, qui ressens la force d’Ungaretti, uploads/Litterature/ genealogia-di-una-poetica-antifascista.pdf
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- Publié le Jul 31, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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