Anne-Hélène Rigogne conservateur en chef, adjointe au chef du service des expos
Anne-Hélène Rigogne conservateur en chef, adjointe au chef du service des expositions, Bibliothèque nationale de France ICAM 15, Paris, session 4 • 2 mai 2010 EXPOSER LE LIVRE Mon intervention sur le thème « Exposer le livre » s’appuiera simplement sur mon expérience au sein du service des expositions de la Bibliothèque nationale de France, en espérant que nos questionnements spécifiques feront écho auprès de vous qui êtes responsables de musées d’architecture, ou de collections de bibliothèques ou d’archives en lien avec l’architecture. Une précision, quand je parle d’exposer le livre, il s’agit de celui-ci au sens large : j’y inclus les manuscrits médiévaux, les manuscrits reliés pour les besoins de conservation ou restés en feuille, les archives… Exposer le livre est un des défis qui nous est proposé quotidiennement. Cet objet, dont la fonction première est d’être lu, est-il un objet à exposer ? Comment lui faire dépasser ce statut d’objet et lui donner sens ? Comment l’utiliser pour donner du sens aux expositions ? Voici les quelques réflexions que je vous propose. Exposer le livre est une longue tradition à la Bibliothèque nationale de France. Dès 1870, était présenté un panorama de l’histoire du livre dans la Galerie Mazarine. En 1937, lors de l’exposition universelle, Julien Cain, administrateur de la Nationale, créa un musée de la Littérature avec Paul Valéry. Je reviens au présent. À la Bibliothèque nationale de France, les deux activités principales sont bien sûr la conservation du patrimoine écrit national et la mise à disposition des collections, dans les salles de lecture ou à distance avec la bibliothèque numérique. Toutefois, pour répondre à l’une des missions de la bibliothèque, communiquer les collections au plus grand nombre, une politique culturelle ambitieuse s’est développée à partir de l’ouverture du site François- Mitterrand en 1996. Ainsi le service des expositions produit environ une quinzaine d’expositions par an, de tailles diverses, essentiellement sur le site historique de Richelieu dont vous connaissez sans doute la prestigieuse salle des imprimés de Labrouste, et sur le site François-Mitterrand que nous devons à Dominique Perrault. Nos expositions sont de plusieurs types. Nous avons bien sûr des expositions monographiques : sur des écrivains bien sûr, Victor Hugo, Artaud par exemple, ou sur des artistes, à partir de nos collections d’estampes, de Daumier à Soulages, ou de photographies, d’Atget à Cartier-Bresson. Mais notre programmation comprend également des expositions liées à la matérialité du document : des expositions de bibliophilie, comme Reliures de Fontainebleau ou Livres rares, Anne-Hélène Rigogne • ICAM 15, 2010 • 2 une présentation des Trésors de notre Réserve. Certaines expositions sont liées à une collection comme L’Enfer de la bibliothèque, sur laquelle je reviendrai plus loin, ou Livres d’Arménie. Enfin nous proposons également des expositions dites « de propos » qui traitent de sujets spécifiques, comme Brouillons d’écrivains qui faisait le point sur la génétique des textes, ou de thèmes d’histoire, de société, telle l’exposition Lumières ! un héritage pour demain, qui traitait de la persistance aujourd’hui de ce courant fondateur. Même si mon intervention porte essentiellement sur le livre, la BnF n’expose pas uniquement des imprimés ou des manuscrits. Cartes, photographies, estampes, costumes, monnaies, sont largement représentés dans notre collection dont la taille n’a d’égal que son encyclopédisme. Le livre est-il un objet d’exposition ? « Est-ce qu’exposer le livre, c’est imposer l’ennui ? » comme le disait Hubert Bari, un collègue du Muséum d’histoire naturelle lors d’un colloque sur l’exposition du patrimoine écrit. En effet, quoi de plus ennuyeux pour le non-spécialiste qu’un alignement de vitrines contenant des ouvrages. Le livre n’est pas si simple que cela à exposer, malgré les apparences. Je ne parle pas de la fragilité du papier qui oblige à une attention particulière aux conditions de présentation, du point de vue de la lumière et de la température en particulier. L’obligation de la vitrine crée des frustrations, le livre est rendu visible dans sa vitrine, mais de fait il devient illisible. Exposer une œuvre d’art ou une maquette qui s’offre toute entière au regard est plus simple. Il s’agit également d’une question d’usage, la lecture est un acte privé, presque secret, qui paraît antinomique avec la visite d’exposition qui est un acte public de partage. Pourtant le livre nous parle quand il est exposé. Le livre est un témoin, sa simple apparence nous resitue dans le temps. Les minuscules ouvrages du XVIIe siècle pour échapper à la censure, les livres dits « sous le manteau », les imposants manuscrits médiévaux, le papier jauni du XIXe siècle, l’esthétique des couvertures… La mise en page, les choix de typographies traduisent bien sur une époque, un temps. Les ouvrages futuristes exposés dans Utopie donnaient à voir l’enthousiasme de ce mouvement en action. Ici même, dans la galerie d’architecture contemporaine du musée des Monuments français, découvrir que la couverture de l’ouvrage de Gustave Eiffel sur la construction de sa tour – pas encore dénommée la « tour Eiffel » – porte le titre « La tour de trois cent mètres », nous dit quelque chose. Le livre est habituellement d’un usage intime, personnel, même s’il s’agit d’un exemplaire d’une collection prestigieuse ou d’un livre d’artiste, que le visiteur n’aura pas l’occasion de posséder. Ce livre, une fois exposé, peut toucher le visiteur. Il est à sa mesure physique. Surtout, au même titre que l’archive ou le manuscrit, le livre dans sa forme originale a un pouvoir émotionnel très important : il donne la part de l’homme soucieux de laisser une trace, un savoir. Voir un jeu d’épreuves corrigé de la main de Verlaine, voir sa pensée en action est rendu accessible à tous par son exposition. Voir, dans l’exposition Utopie, la page de titre qui contient pour la première fois le mot « robots » dans le titre d’une pièce de théâtre tchèque publiée à New York en 1923. Être le témoin de l’hésitation, du travail en train de se faire par l’observation des différents états d’un manuscrit : ainsi nous avons guetté sur des dizaines de pages l’apparition du titre « Le Cimetière marin » de Paul Valéry, nous en avons fait d’ailleurs une borne multimédia. Anne-Hélène Rigogne • ICAM 15, 2010 • 3 De la même façon, dans le cas d’une monographie, exposer la production d’un auteur, mais également les livres qu’il a lus, annotés, dit beaucoup. Un peu comme quand nous allons chez des amis et que nous jetons un coup d’œil sur la bibliothèque. Comment exposer le livre, faire de cet objet, un sujet ? Tout d’abord, dans la construction du scénario de l’ exposition, de son plan, de son discours, le parti pris devra être clair. Le choix d’exposer une pièce traduira bien sûr l’intention générale du commissaire, vous savez tout ça. Le livre peut être présenté soit comme un document illustrant un propos, soit comme un objet isolé avec le statut d’œuvre. Il peut être montré seul ou dans une collection éditoriale ou de bibliothèque. La question se pose actuellement dans un projet que nous avons pour 2011 autour des cent ans de la prestigieuse maison d’édition Gallimard : la question de la sélection et du parcours se pose de manière cruciale, comment choisir dans le copieux catalogue de la maison d’édition qui est le sujet de l’exposition pour ne pas étourdir le visiteur, comment distiller les secrets des fameuses fiches de lecture ? Un livre unique peut être le sujet d’une exposition. Par exemple, en 2001, nous avons exposé une géographie du XIIe siècle, celle d’un géographe arabe à la cour du roi de Sicile Al Idrisi. Le propos était de montrer que cette carte, faite de récits de voyageurs, était le témoin du dialogue en Méditerranée entre trois mondes pacifiés à cette époque, Byzance, l’Islam et la Chrétienté. Idem pour l’exposition Au bonheur des dames : le centre était occupé par les manuscrits de Zola, et la périphérie proposait à l’aide de documents, de fresques graphiques, un développement sur la naissance des grands magasins. Le choix de présentation est bien sûr capital : cela commence par le choix que vous connaissez bien – présentation de l’ouvrage fermé ou ouvert… et, si le choix est « ouvert », il faut choisir la bonne page. Le document peut être vu du dessus dans une vitrine table, ou présenté en majesté dans une cimaise verticale, ou même être encadré ! Pour notre exposition sur le poète René Char, la scénographe nous a même proposé un arbre à livres. Plus largement, le choix de la scénographie est capital. Ce n’est pas à un auditoire qui est au plus près de l’architecture que je vais l’apprendre. Son rôle est de donner de la magie et du sensible, mais également de faire comprendre le propos de l’exposition. Donc de faire entrer le visiteur suivant les expositions dans l’univers du livre, l’univers mental de l’écrivain, ou dans l’esprit du thème de l’exposition. Dans l’exposition La page, le plafond quadrillé de laser donnait l’impression subliminale de rentrer dans la page. La déambulation entre des cloisons textiles de l’exposition La légende uploads/Litterature/ exposer-le-livre 1 .pdf
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- Publié le Jan 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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