Explication linéaire en classe de Première : La poésie du XIXè au XXIè siècle D

Explication linéaire en classe de Première : La poésie du XIXè au XXIè siècle Document réalisé par Mme Anne-Noellia Carrols, professeure agrégée, pour une classe de Première du lycée Cocteau à Miramas. Lecture linéaire du poème « Le vin des chiffonniers », Les Fleurs du Mal 1 5 10 15 20 25 30 Souvent, à la clarté rouge d'un réverbère Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre, Au cœur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeux Où l'humanité grouille en ferments orageux, On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête Butant, et se cognant aux murs comme un poète, Et sans prendre souci des mouchards, ses sujets, Épanche tout son cœur en glorieux projets. Il prête des serments, dicte des lois sublimes, Terrasse les méchants, relève les victimes, Et sous le firmament comme un dais suspendu S'enivre des splendeurs de sa propre vertu. Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage, Moulus par le travail et tourmentés par l'âge, Éreintés et pliant sous un tas de débris, Vomissement confus de l'énorme Paris, Reviennent, parfumés d'une odeur de futailles, Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux. Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux Se dressent devant eux, solennelle magie ! Et dans l'étourdissante et lumineuse orgie Des clairons, du soleil, des cris et du tambour, Ils apportent la gloire au peuple ivre d'amour ! C'est ainsi qu'à travers l'Humanité frivole Le vin roule de l'or, éblouissant Pactole ; Par le gosier de l'homme il chante ses exploits Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois. Pour noyer la rancœur et bercer l'indolence De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ; L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil ! Explication linéaire en classe de Première : La poésie du XIXè au XXIè siècle Document réalisé par Mme Anne-Noellia Carrols, professeure agrégée, pour une classe de Première du lycée Cocteau à Miramas. Baudelaire publie une première fois son recueil intitulé Les Fleurs du Mal en 1857. Immédiatement, le livre fait l’objet d’un procès pour atteinte à la moralité, et Baudelaire devra retirer certains poèmes jugés scandaleux car évoquant très directement la débauche, l’érotisme et même les amours lesbiennes. En 1861, Baudelaire publie une deuxième version, expurgée des pièces condamnées, mais augmentée d’un grand nombre de nouveaux poèmes. Le poème intitulé « Le vin des chiffonniers » se situe dans la 3e section de 1861 ; c’est pourtant l’un des poèmes les plus anciennement écrits par Baudelaire. Il se compose de quatrains d’alexandrins à rimes plates et met en scène un personnage du petit peuple parisien, chargé de ramasser, à la nuit tombée, les déchets abandonnés dans les rues de la capitale. Le poème décrit les effets que le vin déclenche sur cet homme au dur labeur. Le thème est, a priori, peu poétique. Mais le vin est un thème de prédilection chez Baudelaire car il fait partie de ces substances qui permettent de démultiplier et d’explorer les facultés de l’imagination. Ainsi, nous nous demanderons en quoi le vin, en métamorphosant le chiffonnier en héros épique, révèle les pouvoirs alchimiques de la poésie. Strophes 1 et 2 : Une scène de rue. [Noter que ces deux strophes ne forment qu’une seule et même phrase : leur regroupement se justifie aussi par la syntaxe]. La première strophe pose le cadre : - Cadre urbain, avec des éléments comme le « vieux faubourg », le « réverbère » - Atmosphère particulière, nocturne, faiblement éclairée (« clarté rouge », flamme »). La personnification du vent qui « bat » et « tourmente » accentue le caractère inquiétant de l’ambiance : le climat n’est pas serein, la tempête couve. - L’endroit est répugnant : il est fangeux et peuplé d’une « humanité [qui] grouille ». Le V grouiller est péjoratif, il connote un mouvement confus émanant d’une masse informe, comme des insectes ou des serpents. La population est d’ailleurs déshumanisée par la métaphore des « ferments », qui la ramène à des micro-organismes biologiques. - Mais, au sens figuré, un ferment est une cause, un élément à l’origine d’un phénomène, ici l’orage. Métaphoriquement, cette expression fait allusion au caractère dissipé du peuple, prompt à se révolter et à produire du désordre social, de la violence. D’ailleurs, la lueur rouge qui enveloppe la scène est la couleur du meurtre et du sang. Le vieux faubourg est un lieu d’insécurité. - La métaphore du « labyrinthe » donne du faubourg l’image d’un lieu plein de détours, où on se perd, et dont on cherche la sortie. D’emblée, les bas-fonds parisiens prennent une dimension symbolique, celle d’un lieu dangereux qui, dans les contes et les romans de chevalerie, est aussi le lieu d’une épreuve initiatique à accomplir pour prouver sa valeur et obtenir une récompense. La 2e strophe, une fois le cadre posé, installe le personnage : un chiffonnier. - Le temps verbal est le présent d’habitude (ou présent itératif), préparé par l’adverbe « souvent » au v. 1 : l’anecdote racontée est habituelle et récurrente. - La présence du chiffonnier s’impose à partir d’une énumération de participes présents, « hochant la tête, / Butant, et se cognant […] ». Le plus court, « butant », est rejeté en début de vers suivant, ce qui le met en valeur et insiste sur la démarche hésitante, vacillante, typique d’un ivrogne. Ainsi, le chiffonnier n’est pas directement qualifié d’ivrogne, mais son allure le suggère. - Le verbe « épancher », qui appartient au champ lexical du vin, est employé ici pour évoquer la parole du chiffonnier. Sa parole s’écoule comme un liquide, elle est fluide, abondante, incontrôlable, déliée par les effets de l’ivresse. C’est aussi une parole lyrique (elle vient du « cœur », donc elle est personnelle, centrée sur les émotions). - D’ailleurs, le chiffonnier est comparé à un poète. Le point commun est le fait de se cogner aux murs, comme si le poète et le chiffonnier avaient en commun le fait de se heurter sans cesse à des obstacles qui les contrarient, d’être enfermés dans un lieu trop étroit dont ils cherchent vainement à s’échapper. Cette remarque nous ramène ainsi à la métaphore du labyrinthe. Le Explication linéaire en classe de Première : La poésie du XIXè au XXIè siècle Document réalisé par Mme Anne-Noellia Carrols, professeure agrégée, pour une classe de Première du lycée Cocteau à Miramas. poète et le chiffonnier cherchent à s’évader du cadre sinistre de Paris, de la ville sale et mal famée, et d’une condition sociale qui ne leur permet pas de s’épanouir. - La parole du chiffonnier semble le placer au-dessus des policiers et des services de l’ordre chargés de veiller à la tranquillité publique : dévalorisés par le terme de « mouchards », ces derniers sont rabaissés au rang de « sujets » du chiffonnier, alors qu’ils peuvent éventuellement prendre la décision de l’arrêter pour ivresse sur la voie publique. Le chiffonnier nie leur existence, ne leur prête nulle attention. Il est déjà ailleurs, dans de plus hautes sphères, porté par de « glorieux projets ». La diérèse sur l’adjectif « glori/eux » met en valeur ce mot qui tranche au milieu d’une ambiance de misère sociale. Strophes 3 à 6 : le délire épique du chiffonnier. Appelé par l’adjectif « glorieux », le registre épique marque la strophe 3 et rompt avec la description réaliste des bas-fonds parisiens. On change d’univers pour entrer dans celui des rois et des héros. Le registre épique est porté par des termes mélioratifs comme l’adjectif « sublime » ou le substantif pluriel « splendeurs ». Les « serments », les « lois », le « dais » sont en lien avec la majesté royale. Le chiffonnier devient un législateur, mais aussi un héros combattant au service du bien : l’antithèse qui oppose « méchants » et « victimes » nous situe dans le monde manichéen des histoires chevaleresques. Les verbes d’action s’enchaînent au présent de narration : « il prête », « dicte », « terrasse », « relève ». Le rythme des v. 9 et 10 est très cadencé (6/6), ce qui crée un dynamisme nécessaire à tout récit de combats. Le « firmament » est un terme poétique, rare et soutenu, pour désigner le ciel étoilé. La nuit parisienne, à peine éclairée par la « clarté rouge » d’un réverbère, s’illumine à la manière d’une voûte céleste dans les récits épiques. La parole du chiffonnier transfigure la réalité. Il se voit différemment de ce qu’il est, doté de qualités supérieures : la virtus désigne, en latin, les qualités masculines de force et de courage, qui caractérisent les grands hommes et les héros. On note encore une fois un terme appartenant au champ lexical du vin, « s’enivre », employé dans un sens figuré, non pas pour décrire les effets de la boisson mais ceux de la parole. On pourrait le paraphraser ici par des verbes comme s’enthousiasmer, s’exalter. Le chiffonnier uploads/Litterature/ explicatin-lineaire-le-vin-des-chiffonniers.pdf

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