L'EFFET-VALEUR DANS UN DISCOURS EN PARABOLES Une lecture de Matthieu 13 Céline

L'EFFET-VALEUR DANS UN DISCOURS EN PARABOLES Une lecture de Matthieu 13 Céline Rohmer Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses » 2011/1 Tome 86 | pages 101 à 111 ISSN 0014-2239 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et- religieuses-2011-1-page-101.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Institut protestant de théologie. © Institut protestant de théologie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Ces valeurs, véhiculées par les personnages, apparaissent en particulier dans la mise en récit de leur regard, de leur langage, de leur travail et de leur éthique. Depuis que la parabole est reconnue comme un genre littéraire spécifique, le discours en paraboles de Matthieu 13 a reçu différents traitements1. On peut retenir quatre principaux axes de recherche : l’étude des sources rédactionnelles (qui ouvre 101 * Céline ROHMER est doctorante en Nouveau Testament à l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier. 1 Depuis la publication des travaux d’Adolf JÜLICHER, Die Gleichnisreden Jesu, Fribourg-en- Brisgau, Mohr, t. 1, 1888, t. 2, 1899, qui mettent fin à dix-neuf siècles de lecture allégorique des para- boles, au moins cinq types de commentaires ont profondément marqué la lecture des paraboles. (1) Le travail de Jeremias a ouvert la voie de l’investigation historique, de la quête d’un sens premier des paraboles ; voir Joachim JEREMIAS, Les paraboles de Jésus, Le Puy, Éditions Xavier Mappus, 1962. (2) Les ouvrages de Dodd ont permis de lire les paraboles comme des récits fondamentalement en lien avec le Christ, qui relèvent de l’expérience personnelle du message évangélique ; voir Charles DODD, Les paraboles du royaume de Dieu, Paris, Seuil, 1977. (3) La recherche de Jüngel a inauguré une voie qualifiée généralement de « théologie de la parole », qui envisage les paraboles comme des événements de parole, rendant totalement présent ce qu’elles portent au langage ; voir Eberhard JÜNGEL, Paulus und Jesus. Eine Untersuchung zur Präzisierung der Frage nach dem Ursprung der Christologie, Tübingen, Mohr, 19673. (4) Les travaux de Funk ont été parmi les premiers à utiliser les outils des sciences du langage pour interroger les paraboles, perçues alors comme des récits à saisir selon leur puissance d’évocation et leur force narrative ; voir Robert Walter FUNK, Parables and Presence, Phila- delphie, Fortress Press, 1982. (5) L’œuvre philosophique de Ricœur a permis d’envisager les paraboles à partir de la spécificité de leur langage, en soulignant l’importance de leur mode de discours métaphorique qui vise de manière oblique le Royaume de Dieu ; voir Paul RICŒUR, L’herméneutique biblique, Paris, Cerf, 2001, p. 147-265. ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 86e année – 2011/1 – P. 101 à 111 © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 19/03/2021 sur www.cairn.info via Université de Fribourg (IP: 134.21.149.154) © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 19/03/2021 sur www.cairn.info via Université de Fribourg (IP: 134.21.149.154) généralement à la question du contexte communautaire matthéen), l’étude du contexte d’insertion (qui marquerait la rupture entre Israël et les disciples, donnant ainsi naissance à l’Église), l’étude de l’auditoire (qui met en jeu les personnages en présence et la force persuasive du discours) et l’étude des fonctions des paraboles (regroupées habituellement en trois catégories non exclusives : apologétique, caté- chétique et de révélation). Quel que soit l’angle d’approche, ces recherches attestent, plus ou moins directement, que le texte véhicule un univers de valeurs. Elles ouvrent la voie à une approche pragmatique qui prend acte de ce que ce récit établit un rapport à autrui qui passe par le langage. Ce discours, doté d’une intention, véhicule des valeurs et fait appel aux mécanismes de la rhétorique qui aujourd’hui déborde largement sur la théorie du langage, de la littérature et de l’idéologie. Dans Poétique des valeurs2, Vincent Jouve propose une méthode d’analyse de la mise en texte des valeurs. Il est question d’évaluer la capacité d’un corpus litté- raire à élaborer un ou des point(s) de vue, en interrogeant sa manière de sélection- ner et de construire des valeurs. Cette méthode distingue trois larges plans de travail. Le premier consiste à analyser la manière dont le texte affiche des valeurs : soit en se référant à des valeurs préexistantes que le lecteur évalue « naturelle- ment » parce qu’il les connaît déjà, soit en mettant en place des valeurs originales qui nécessitent des dispositifs narratifs appropriés. Une deuxième étape consiste à repérer « localement » les valeurs véhiculées par les personnages, en analysant ce qu’ils disent, pensent et font. Enfin, une lecture globale de ces valeurs « locales » permet de faire apparaître « la valeur des valeurs », c’est-à-dire l’idéologie à laquelle elles renvoient. Le récit est alors abordé au niveau discursif (selon l’auto- rité énonciative), au niveau narratif (via les leçons de l’histoire racontée) et au niveau programmatique (lorsque le texte régit lui-même sa lecture). Une applica- tion de cette méthode en Matthieu 13 permettrait de souligner dans ce corpus « l’importance de la dimension idéologique dans l’interaction texte/lecteur3 », et de dégager une ou plusieurs visions du discours en paraboles, à partir de critères strictement issus de la sémiotique narrative. La première étape consiste à comprendre la manière dont Matthieu 13 propose une vision du bien et du mal en se référant à des valeurs préexistantes4. Puisque « toute évocation par le texte d’un personnage qui regarde, parle, travaille ou entre en relation avec autrui est à évaluer par rapport aux normes qui régissent ces quatre CÉLINE ROHMER ETR 102 2 Vincent JOUVE, Poétique des valeurs, Paris, PUF, 2001. 3 Ibid., p. 9. 4 Pour déterminer ce mécanisme, la méthode de Vincent Jouve se fonde sur le travail de Philippe HAMON, Texte et idéologie, Paris, PUF, 1984. Hamon propose en effet de repérer les systèmes norma- tifs qui fonctionnent dans le texte, qui génèrent de la comparaison et donc de l’évaluation. Évaluer revient ainsi à comparer une action (un procès de personnage sujet) et une norme (un programme étalon) dotée d’une valeur stable et connue du lecteur. Cet espace évaluatif s’organise autour de quatre types de vecteurs (regard, langage, travail, éthique) que la méthode ici mise en œuvre propose d’ana- lyser en détail. © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 19/03/2021 sur www.cairn.info via Université de Fribourg (IP: 134.21.149.154) © Institut protestant de théologie | Téléchargé le 19/03/2021 sur www.cairn.info via Université de Fribourg (IP: 134.21.149.154) domaines dans le hors-texte de la culture5 », il s’agit de montrer comment ce chapitre met en texte un savoir-voir, un savoir-parler, un savoir-faire et un savoir-être. I. LE REGARD Le récit s’ouvre sur l’organisation d’un espace donné à voir (v. 1-2). Le regard du lecteur est fortement dirigé : il se pose sur l’unique point de repère désigné, le personnage Jésus. Les foules n’ont ici qu’une fonction focalisatrice. Elles partici- pent à la construction du « point-héros » : tous les regards convergent au point de réunion des lignes de mire sur Jésus. En le plaçant en situation d’hypervalorisation, le narrateur fait fonctionner sa propre évaluation du personnage, unique point de vue du récit. Le lecteur a accès au discours alors que ce dernier a déjà commencé (v. 3a). Il est propulsé dans cet espace public sonore et porte dessus un regard autorisé, mais en attente : en évaluant positivement le personnage, le narrateur signifie en effet qu’il y a un gain à acquérir en exerçant son savoir-voir sur Jésus (faire partie des bienheureux [makarioi] qui voient, v. 16). Sur la scène d’énonciation, aucun personnage n’échange de regard. Une mise en texte du regard n’apparaît qu’aux versets 13 à 17, au cours de l’explication que Jésus donne sur son mode de langage. Il y est question d’un regard de compétence : Jésus évalue la compétence du « regardeur », de son regard et du profit que ce « regardeur » retire du spectacle regardé. Il constate ainsi l’échec des prophètes et des justes précédents : ils n’ont pas vu6. D’autres échouent encore aujourd’hui, mais on ignore leur identité exacte (v. 13.14.15). Il y a quelque chose à voir aujourd’hui uploads/Litterature/ etr-0861-0101.pdf

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