149 La littérature est faite de langue, certes, mais c’est une forme particuliè

149 La littérature est faite de langue, certes, mais c’est une forme particulière de la langue, visant une communication spécifique. On peut considérer la forme litté- raire comme une «langue» qui a ses principes propres quant à l’agencement des signes et à la production des «sens». Par le biais de la littérature, on apprend une langue et aborde une civilisation, mais surtout, on est invité à réexaminer et à réévaluer la conception acquise depuis longtemps sur la «langue» et sur la «communication». Nous pouvons donc dire que pour enseigner la langue, toute didactique ignorant cette variété particulière de communication qu’est la lit- térature s’avère incomplète; toute méthodologie ne prenant pas en compte le discours littéraire est amputée. Introduction L’histoire des méthodologies présente des périodes où le culte de la litté- rature a dominé l’enseignement-apprentissage de la langue. Mais elle en contient aussi d’autres où on doutait de la légitimité de la littérature dans la didactique de la langue. Certaines méthodologies, notamment l’approche communicative, ont même exclu complètement la littérature pour faire place à des actes langa- giers dans des situations communicatives authentiques. Force est cependant de constater aujourd’hui que c’est justement l’approche communicative qui promeut la réintégration de la littérature parmi les supports d’apprentissage de langue et de culture étrangères. Ce nouveau phénomène mérite notre attention, non seu- lement parce qu’on peut apprendre une langue et aborder une civilisation par le biais de la littérature, mais surtout parce que ce renversement de position nous invite à réexaminer et à réévaluer notre conception acquise depuis longtemps sur la «langue» et sur la «communication». I. La littérature: un moyen particulier de communication Pour apprendre une langue, on peut recourir à toutes sortes de textes: articles de presse, textes administratifs, modes d’emploi techniques, publicités, etc. Alors se pose une question : «Pourquoi encore faut-il faire appel à la littéra- ture dans l’enseignement-apprentissage de la langue?» Pour répondre à cette question, il faut d’abord répondre à cette autre question: «Pourquoi apprendre une langue?» A laquelle on peut apporter très vite une réponse: «Pour que la communication (ou l’échange d’informations) se fasse.» Certes, la langue est un outil de communication. Pourtant, il faut peut-être qua- lifier le mot «outil» par l’adjectif «principal», parce qu’on sait que la communi- cation entre êtres humains ne se limite pas à la seule langue, au sens restreint Liu Bo, Yin Li Institut des Langues étrangères du Sichuan Pourquoi intégrer la littérature dans la didactique de la langue? 150 du terme, c’est-à-dire langue verbale. Il existe dans la vie une communication qui est aussi «authentique» et qui n’est pas verbale: action, geste, signe de po- litesse, couleur, sons musicaux, images, formes, etc. La définition suivante de la compétence communicative en trois composantes rend compte de la complexité de la communication: • composante linguistique: savoirs et savoir-faire relatifs au lexique, à la pho- nétique, à la sémantique et à la morphosyntaxe; connaissances du système de signes linguistiques et des règles de combinaison de ces signes entre eux. • composante sociolinguistique: Elle renvoie aux conditions socioculturelles de l’usage de la langue et elle est présentée de sorte que l’apprenant puisse ap- préhender la réalité d’une culture. Elle envisage aussi une approche intercultu- relle. • composante pragmatique: certains aspects de la compétence discursive et fonc- tionnelle, les usages non verbaux, les usages gestuels, les mimiques, etc. Ces derniers éléments non langagiers jouent un rôle important dans la transmission du sens des interactions. On voit par là que l’apprentissage de la seule langue n’assure ni ne garan- tit la réussite de la communication. Si nous voulons maintenir la communication comme objectif de l’enseignement/ apprentissage des langues, il y a lieu peut-être de remplacer «la didactique de la langue» par «la didactique de l’art (ou du sys- tème) de la communication». Ou bien nous pouvons élargir le champ sémantique du terme «langue» et le considérer comme «tout système de signes linguistiques ou non linguistiques». Le passage de l’approche linguistique [étude scientifique du langage verbal] à l’approche sémiologique [étude scientifique de l’ensemble des systèmes de signes] effectué depuis plus d’une vingtaine d’années dans l’enseigne- ment du FLE dans des universités illustre bien cette considération. Plutôt qu’ objet d’étude de la linguistique, la littérature est objet d’étu- de de la sémiologie. Traditionnellement, les réponses à la question «Pourquoi la littérature?» sont presque communément données autour de la qualité linguistique et de la qua- lité culturelle des textes littéraires. On étudie le texte littéraire soit pour acquérir des connaissances linguistiques, améliorer l’orthographe, accroître le vocabulaire, perfectionner le style, etc., soit pour acquérir des connaissances culturelles, par- tager des savoirs, des expériences, un mode de vie, une vision du monde. Mais le problème est que d’autres genres de textes ne remplissent-ils pas à ces mêmes visées? Alors, où réside la particularité du texte littéraire par rapport à ces autres textes? La littérature est faite de langue, certes, mais c’est une forme particulière de la langue, destinée à servir de moyen particulier de communication. La litté- rature assume son rôle en recourant surtout à la «fonction poétique» du langage. C’est dans le texte littéraire que l’on peut le mieux appréhender cette fonction particulière du langage. Et voilà une réalité, nous le croyons, qui n’a pas été suffi- samment soulignée dans la didactique traditionnelle des langues. 151 II. Texte littéraire et texte non littéraire Un texte littéraire ne traite pas la langue de la même façon qu’un texte non littéraire. Aussi nous ne devons pas traiter un texte littéraire de la même façon dont nous traitons un texte non littéraire dans la mesure où les principes de ces deux traitements sont complètement différents, et même tout à fait opposés. Pour justifier cette position, le moyen le plus simple est de préciser l’usa- ge particulier que la littérature fait du langage. Le langage est le matériau de la littérature, tout comme la pierre ou le bronze est le matériau de la sculpture, tout comme les couleurs pour la peinture, les sons pour la musique. Mais il faut bien se rendre compte que le langage n’est pas une simple matière naturelle, comme la pierre, le bronze, les couleurs, les sons. Parce que le langage est déjà une créa- tion de l’homme et qu’il contient tout un héritage culturel. L’essentiel est de bien distinguer entre plusieurs usages du langage: courant, scientifique, littéraire. À la différence des autres arts, la littérature ne possède pas de moyen d’expression qui lui soit propre. Comment distinguer le langage littéraire du langage scientifique? Il ne suffit pas d’opposer «l’émotion» ou «le sentiment» à «la pensée». La littérature peut exprimer la «pensée», et le langage «affectif» n’est pas réservé à la seule littérature. La différence entre ces deux langages réside dans la façon d’utiliser le langage. Il s’agit donc d’éviter la confusion entre langage littéraire et langage courant (usuel, normal) de communication. Un texte littéraire diffère du texte d’articles techniques, par exemple. Dans ces derniers, ce qui compte, c’est de faire passer un message ou d’obtenir une information d’une façon aussi exacte que possible. Dans une phrase comme «L’eau bouillonne dans la bouilloire.», le message compte plus que la forme. Les mots sont une vitre transparente qui laisse voir les choses elles-mêmes. C’est dans ce sens qu’on dit que le langage scientifique idéal est purement «dénotatif»: il vise à établir une correspondance directe entre signifiant et signifié, entre les mots et leurs référents. Le signifiant est transparent, c’est-à-dire, il nous oriente sans ambiguïté vers son signifié. Ainsi, le langage scientifique tend vers un système de signifiants du type des mathématiques ou de la logique symbolique. La particula- rité de ce langage réside dans sa monosémie. À côté de ce langage transparent, le langage littéraire abonde en ambi- guïtés. La littérature se définit soit parce qu’elle s’écarte de la langue courante, soit parce qu’elle manifeste des parallèles et des oppositions internes qui lui don- nent une structure de forme ou d’idée, soit parce qu’elle provoque des associa- tions inusitées (une association inusitée traduit une expérience inédite). Pour Jean Cohen et tant d’autres critiques structuralistes modernes, la spécificité du langage poétique est «une manière, différente, selon les niveaux, de violer le code du langage normal»1. Il écrit encore: «il n’est pas de poésie sans écart; (…) il n’est pas d’écart sans poésie» 2. Ainsi la théorie de l’écart rend compte de la singularité du langage poétique. Dans une phrase telle que «Le sang bouillonne dans ses vei- nes.», le message ou l’information n’est plus le débit direct, naturel ou logique de la fonction dénotative du langage. Ici, les signifiants ne nous orientent plus vers leurs signifiés. Sinon, nous serions effrayés par un fait vraiment absurde. Les mots ne sont plus des supports d’informations, mais plutôt des éléments constituants d’une forme. Ce qui fait sens ici, ce ne sont plus les mots, mais la forme constituée des mots. Ce que traduit cette phrase, ce n’est plus un fait physique, mais plutôt 152 des effets émotionnels ou psychiques: colère, indignation, élan d’émotion, exas- pération. Pour la même raison, la signification d’une phrase brève comme: uploads/Litterature/ enseigner-la-litterature.pdf

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