BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES IVe SECTION SCIENCES HISTORIQUES ET P

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES IVe SECTION SCIENCES HISTORIQUES ET PHILOLOGIQUES TOME CENT QUATRE-VINGT-SEPTIÈME Edmond FARAL LES JONGLEURS EN FRANCE AU MOYEN ÂGE BIBLIOTHèQUE DE LA MAISON DE FRANCE Ÿ O° i 0 P IV ft * Librairie Honoré Champion, Editeur 7, quai Malaquais PARIS J - d ^ ,J O ~ r U 1987 j £fVOX ' ; I A M. JOSEPH BÉDIER PAOFBSSBUR AU COLLEGE DE FRANCE i Hommage de respect et d'affectueuse gratitude. t » © 1987. Editions Champion, Paris. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. ISBN 2-85203-051-9 S. & o AVANT-PROPOS J’ai essayé, dans ce livre, de déterminer quelle part revient aux jongleurs dans la production littéraire de leur temps et quelle était leur condition. Sur le premier point, je ne l’ignore pas, les conclusions auxquelles j'ai atteint sont assez indécises, pour deux causes principales ; il m’était impossible de pousser très avant l’étude intérieure des œuvres, d’où il y a pourtant beaucoup à attendre, mais qui eût dépassé singulièrement les limites de mon sujet ; et en outre, je me suis trouvé souvent fort empêché pour décider si tel auteur serait compté comme jon- gleur, comme ménestrel, ou comme clerc. Je pense, malgré tout, être arrivé à quelques approximations, qui peuvent offrir un certain intérêt. Sur le second point, qui est la condition des jongleurs, la tâche était relativement plus aisée, et peut-être m’en suis-je moins mal acquitté. Si j’étais arrivé, en cette double recherche, à des résultats satisfaisants, on conçoit qu’on aurait eu là un moyen de saisir d’une façon positive l’esprit de la littérature du moyen âge. En effet, une dépendance étroite lie les auteurs à la société où ils vivent. Et ce n’est pas à dire seulement que, si l’écrivain agit, il subit ; que la lumière qu’il rend, il l’emprunte ; qu’il réforme son milieu, aussi bien qu’il en est le produit. Il n’est pas question que de goûts, de sentiments, de principes, de traditions, de pré- jugés qu’il accepte ou qu’il repousse. Mais, avant tout cela, il faut tenir compte qu’il appartient à un certain état social, à une classe, sur laquelle il ne saurait modifier à son gré le jugement du monde. On ne doit pas l’oublier quand, à distance, on prétend déterminer la signification et la portée d’une œuvre. Si la réputa- tion des auteurs s’échafaude sur leurs œuvres, il est aussi vrai AVANT-PROPOS de dire que l’œuvre doit une bonne part de son prestige à celui de l'auteur ; et lui-même, le prestige de l’auteur tient autant à l’idée que le public se fait de son rôle qu’à la puissance intrin- sèque de sa pensée. Cette idée est extrêmement variable. Le poète a été, pour les Grecs, par exemple, un personnage presque surnaturel, favori des dieux qui l’inspiraient ; il a été, en France, au xviii0 siècle, un ingénieux ajusteur de mots et de rimes ; il a été, au xixe siècle, selon l’enthousiaste prétention des roman- tiques, le penseur qui éclaire l’humanité, le rêveur qui l’enchante. Quelle a donc été, au moyen âge, l’attitude de l’opinion publique devant l’écrivain? quel accueil a-t-il reçu ? quelle place lui a-t-on faite ? Il n’est pas indifférent de le savoir, puisque le sachant, on sera à même de dire, avec plus de précision et d’exactitude, quels sont les éléments qui entrent à cette époque dans la notion de littérature. C’est une grande ambition de vouloir apporter la lumière en une question si complexe: le reproche de témérité qu’encourent ceux qui s'y risquent suffirait à les rendre sages, s'ils ne croyaient pas que cette témérité porte en elle-même son excuse. C’est mon devoir (pour finir par le principal), de faire ici mes remerciements à M. Antoine Thomas, auquel j’ai plus d’une rai- son d’être reconnaissant, et à M. Mario Roques, qui a bien voulu relire après moi les épreuves et m’aider de ses conseils. Je sais aussi ce que je dois à l’amitié de M. Lucien Herr, biblio- thécaire de l’Fcole normale. x NOTE BIBLIOGRAPHIQUE Les travaux qui intéresssent le plus directement l’histoire des jongleurs de France sont les suivants : 1738 MURATORI, Antiquitales italicae medii aevi, sive Dissertationes, etc., Milan, t. II, col. 831 ss. De spectaculis et ludis publicis medii aevi (intéresse surtout l’Italie, mais aussi la France). 1834 DE LA RUè (abbé), Essai historique sur tes bardes, tes jongleurs et les trouvères normands et anglo-normands. Caen, 3 vol. 1856 LE CLERC ( V.), dans Y Histoire littéraire de la France, t. XXIII, p. 88 ss. 1875 TOBLER (A.), Spielmannsleben im allen Frankreichy dans « Im neuen Reich », p. 321 ss. 1883 LAVOIX (H.), fils, La musique au temps de saint Louis, 2e vol. du Recueil de motets français, p. p. G. RAYNAUD, p. 353 ss. et 448 ss. 1883 FREYMOND (E.), Jongleurs und ménestrels, diss. de Halle. 1886 NYROP (C.), Storia delV epopea francese, trad, da Gorra. Florence, p. 275 ss. 1889 SCHULTZ (A.), Das hofische Leben zur Zeit der Minnesanger, 2e éd., Leipzig, t. I, p. 565 ss. (intéresse l’Allemagne et la France). 1891 WITTHOEFT (F.), « Sirventes joglaresc ». Ein Blickauf das altfranzô- sische Spielmannsleben (Stengels Ausg- und Abhand., fasc. 88) (intéresse surtout la Provence, mais aussi la France). 1892 GAUTIER (L.), Les épopées françaises, 2e éd., Paris, t. II, p. 3 ss. 1892 MEYER (F.). Dié Stànde, ihr Leben und Treiben, nach den altfranz. Artus- und abenteuerromanen (Stengel, Ausg. und Abhand., fasc.89), p. 89 ss. 1895 BéDIER (J.), Les fabliaux, p. 347 ss. 1900 HERTZ (W.), Spielmannsbuch, 2® éd., Stuttgart, p. 1 ss. 1903 CHAMBERS (E.-K.), The mediaeval Staget Oxford, t. ï, p. 23 ss. 1907 BONIFACIO (G.), Giullari e uomini di corte nel 2001 Naples (intéresse surtout l’Italie, mais aussi la France). 1909 AUBRY (P.), Trouvères et troubadours (Collection des Maîtres de la musique, publiée sous la direction de J. Chantavoine), p. 157 ss. On trouvera citées en notes, par chapitres, les études particulières qui ne concernent qu'un point du sujet. PREMIÈRE PARTIE CHAPITRE I O R I G I N E D E S J O N G L E U R S Qu’est-ce qu’un jongleur ? C’est la première question qui se pose au début d’un livre qui prétend être une histoire des jongleurs, et elle ne laisse pas d'être embarrassante. Supposons, en effet, que nous répondions : «Un jongleur est un être multiple : c’est un musicien, un poète, un acteur, un saltimbanque ; c’est une sorte d’intendant des plaisirs attaché à la cour des rois et des princes ; c’est un vagabond qui erre sur les routes et donne des représentations dans les vil- lages ; c’est le vielleur qui, à l’étape, chante de « geste » aux pèlerins ; c’est le charlatan qui amuse la foule aux carrefours ; c’est l’auteur et l’acteur des « jeux » qui se jouent aux jours de fête, à la sortie de l’église ; c’est le maître de danse qui fait « caroler » et ballerles jeunes gens ; c’est le « taboureur », c’est le sonneur de trompe et de « buisine » qui règle la marche des processions ; c’est le conteur, le chanteur qui égaie les festins, les noces, les veillées; c’est l’écuyer qui voltige sur les chevaux ; l’acrobate qui danse sur les mains, qui jongle avec des couteaux, qui traverse des cerceaux à la course, qui mange du feu, qui se renverse et se désarticule ; le bateleur qui parade et qui mime ; le bouffon qui niaise et dit des balourdises ; le jongleur, c’est tout cela, et autre chose encore » ; — quand nous aurons fourni cette longue définition, nous n’aurons pas tout dit. On pourra encore se demander : « Un jongleur, était-ce donc tout cela à la 2 ORIGINE DES JONGLEURS jj les débuts des jongleurs et de faire commencer là leur histoire. Leur nom, sous la forme française de jogleor ou sous celle de jogler, n’a pas été hérité directement par le gallo-roman du vieux fonds de la langue latine. C’est un mot d'emprunt et dont on peut approximativement déterminer l’âge. On doit d'abord noter que le c des formes l&tmesjoculatoret jocularis est simple- ment passé à g et que, contrairement à la règle générale, il ne s’est pas résolu en yod.Il fallait donc que,au moment où la langue populaire s’empara du terme,l’évolution duc devant une consonne fût un phénomène déjà accompli. A elle seule, l’indication est assez précise pour permettre d'affirmer que les mots jogler et jogleor n’ont pu entrer dans l’usage vulgaire qu'au début, au plus tôt, du vmc siècle, c'est-à-dire à l’extrême fin de la période mérovingienne. Ainsi, c’est au ixc siècle pour la première fois qu'on entend parler des jongleurs, etd’autre part, il y a d’autres raisons qu simple absence de témoignages pour croire que leur titre n’a pas commencé à se répandre dans le monde avant le vm* siècle. Mais est-ce Á dire que, la chose naissant seulement avec le nom, les jongleurs n’ont pas existé antérieurement uploads/Litterature/ edmond-faral-les-jongleurs-en-france-au-moyen-age-editions-champion-1987.pdf

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