1 De la textualité : de sa taxinomie, de sa représentation et de sa dynamique1
1 De la textualité : de sa taxinomie, de sa représentation et de sa dynamique1 Eduardo Ramos-Izquierdo Conférence au SAL, Université de Paris IV Sorbonne, 18 mars 2005. Publiée in M. EZQUERRO, (éd), Le texte et ses liens / El texto y sus vínculos, Paris, Indigo, 2006, p. 59-75. Introduction Ce travail a pour objectif d’étudier les rapports entre les concepts de texte et de ses dérivés, principalement dans le domaine littéraire. Une première partie développe une réflexion sur différents points de vue du concept d’ « intertextualité » ; une deuxième examine les rapports entre le texte et des néologismes qui lui sont associés; et la dernière propose un angle personnel de l’étude des rapports textuels à partir de leurs éventuelles représentations « géométriques » ou visuelles. 1. Autour de l’intertextualité 1.1. Du mot, du concept et de son existence avant la lettre La réflexion qui sera exposée dans ce texte part du principe que l’intertextualité est devenue un versant essentiel dans les études littéraires actuelles. Une ample et toujours croissante bibliographie théorique et d’analyses pratiques montre la portée et la généralisation des études intertextuelles pendant ces dernières années.2 S’il est vrai que le terme « intertextualité » est le résultat d’une conceptualisation qui a vu le jour dans la seconde moitié du XXème siècle, il peut être également compris du point de vue immédiat et intuitif comme une relation entre deux ou plusieurs textes. Par ailleurs, l’élément inter exprime également une distance, une distribution, une répartition spatiale ou temporelle. Les dernières éditions du Grand Robert (1994/2001) définissent le terme comme le : «caractère fondamental de tout texte, par lequel il renvoie à d’autres textes » ; elles signalent également son apparition dans la langue française en 1958 et attribuent à Kristeva l’origine du néologisme. Les études récentes sur l’intertextualité nous permettent de voir plus clairement aujourd’hui que les auteurs, dès le début de la littérature, ont eu recours, de manière consciente ou inconsciente, à d’autres textes pour l’écriture de leurs propres textes et, par ce fait instauraient déjà une pratique intertextuelle ; de manière symétrique, le lecteur a pu percevoir depuis toujours au moment de la lecture des rapports possibles entre le texte qu’il était en train de lire et d’autres textes. 1 Ce texte développe une première partie des arguments exposés au séminaire en mars 2005 et qui fait partie d’un travail qui abordera d’autres sujets comme la littérature combinatoire et l’hypertextualité, principalement dans le domaine hispano-américain. 2 Impossible de citer cette bibliographie. Fort laborieuse serait la compilation d’un volume ou d’une base de données qui pourrait mettre à jour le volume Udo HUBEL, Intertextuality, Allusion and Quotation. An International Bibliography of Critical Studies, New York, Greenwood Press, 1989. A signaler l’abondance de publications récentes de bons manuels universitaires (Nathalie PIEGAY-GROS, Introduction à l'intertextualité, Paris, Dunod, 1996 ; Tiphaine SAMOYAULT, L’intertextualité, Paris, Nathan Université, 2001 ; Sophie RABAU, L’intertextualité, Paris, Flammarion, 2002, Anne-Claire GIGNOU, Initiation à l’intertextualité, Paris, Ellipses, 2005.) qui intègrent pleinement l’étude de l’intertextualité dans les filières de lettres depuis les premières années universitaires. 2 Ainsi, on peut donc formuler d’ores et déjà que l’intertextualité est un élément inhérent et constitutif de la littérature de tous les temps: nul texte ne peut s’écrire indépendamment de ce qui a déjà été écrit. Et rappeler également que tout texte littéraire est la mémoire d’un passé et de sa tradition. 1.2. Des étapes vers une conceptualisation 1.2.1. La critique des sources a été une approche privilégiée pour l’analyse des rapports d’un texte littéraire avec d’autres. Ce type de travail correspond à une tradition comparatiste où les études littéraires se fondent sur l’étude de la vie et de l’œuvre de l’auteur ; et les aspects principalement abordés ont été la datation des œuvres, leur situation dans la tradition et l’histoire de la littérature, leur originalité et leurs influences. Dans cette optique de travail, on dispose donc des études de sources et des éditions critiques qui signalent des effets de mimesis et des influences dans un texte provenant essentiellement des auteurs antérieurs ou dits classiques. 1.2.2. L’empreinte des formalistes russes et la notion d’autonomie du texte. Il serait inutile d’abonder sur le fait bien connu que les théories des formalistes russes (Jakobson, Tynianov, Bakhtine, parmi les principaux) ont modifié substantiellement l’étude du texte littéraire. L’importance d’une lecture plus « scientifique » prime sur une tradition « impressionniste ». En particulier, la physionomie du champ des études littéraires s’est modifiée car il y a eu un nouveau courant d’approche où les analyses se centrent sur le concept de « l’autonomie du texte », concept qui considère le texte comme un tout. S’il est vrai que les approches du style « vie et œuvre » ou « historiques » persistent, elles ont subi les influences du formalisme. Par ailleurs, la conceptualisation française de l’intertextualité dérive de la poétique des formalistes russes qui privilégient cette autonomie du texte et refusent de l’expliquer par des causes extérieures. Mais, paradoxalement, au moment où le concept de « texte autonome » prend son importance, la réflexion sur l’intertextualité naît et se développe. Ainsi donc, les théories qui s’appuient sur l’autonomie du texte acceptent une nouvelle forme de relations et d’intégrations, cette fois-ci dans un réseau de discours et de significations. 1.3. Trois approches principales. En raison de l’orientation et de la nature de ce travail, j’ai choisi de commenter trois approches fondamentales de l’intertextualité (parmi d’autres). 1.3.1. Kristeva. Profondément liée à sa lecture et à ses commentaires de l’œuvre de Bakhtine, Kristeva propose une première définition de l’intertextualité. Dans Sèméiotikè3, elle établit un parallèle entre le statut du mot dialogique chez Bakhtine, et celui des textes. Ainsi, étant donné pour le mot sa double appartenance au sujet et au destinataire et également sa double orientation vers les énoncés antérieurs et contemporains, Kristeva situe le texte toujours au croisement d’autres textes. Elle propose en fait une formule synthétique qui reste fondatrice dans les études de l’intertextualité: «Tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte»4 A noter qu’elle signale déjà les deux aspects essentiels de l’intertextualité qui ont été étudiés dans les approches ultérieures, ce qu’on pourrait appeler l’intégration d’autres textes dans un texte (en 3 Julia KRISTEVA, « Le mot, le dialogue et le roman » (1966) in Sèméiotikè. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, pp. 145 et ss. Les réflexions de Kristeva sont liées aux membres du groupe Tel Quel et s’inscrivent dans la suite du volume Théorie d’ensemble (Paris, Seuil, 1968), ouvrage collectif cosigné par Foucault, Barthes, Derrida, Sollers et Kristeva même. 4 Ibid., p. 146. La citation est introduite par une affirmation de l’influence du théoricien russe (« une découverte que Bakhtine est le premier à introduire dans la théorie littéraire ») ; et signale que : « A la place de la notion d’intersubjectivité s’installe celle d’intertextualité, et le langage poétique se lit, au moins, comme double. » 3 particulier des citations) et la transformation, dont on distinguera plus tard les variantes5. Par ailleurs, le concept d’intertextualité n’est pas restrictif chez Kristeva.6 Il implique une dynamique textuelle qui établit une combinatoire des textes antérieurs incluent des formules anonymes et toutes sortes de citations. Cet aspect d’amplitude –héritage à nouveau de Bakhtine– implique également que le texte ne se réfère pas seulement à la production de l’écrit, mais également à tout type de discours et ouvre, paradoxalement, la porte à l’intégration de l’oralité.7 1.3.2. Genette. Devenu un des « classiques » sur l’étude de l’intertextualité, Palimpsestes8 propose une typologie et une nomenclature nouvelles. Il abandonne la priorité conceptuelle du terme « intertextualité » et la considère en tant que cas particulier d’une notion plus étendue, la transtextualité, qui comprend d’autres relations textuelles : la paratextualité, la métatextualité, l’architextualité, et l’hypertextualité.9 En effet, dans son système taxinomique, Genette définit l’intertextualité comme « la relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes », voire « la présence effective d’un texte dans un autre texte » ; et il signale trois cas particuliers : la citation, le plagiat, et l’allusion10. De manière complémentaire, il distingue des formes de transformation appartenant à ce qu’il appelle hypertextualité11. Par ailleurs, le sens de ce terme, qui était un néologisme dans les études littéraires à son époque, a « perdu la bataille » aujourd’hui vis-à- vis du sens de l’hypertexte proposé par Ted Nelson dans le domaine informatique qui a gagné du terrain dans le discours culturel actuel et, en particulier, dans le domaine des études littéraires12. 1.3.3. Riffaterre. Avant les formulations de Genette, une toute autre approche est celle proposée par Riffaterre, pour qui l’intertextualité est « la perception par le lecteur de rapports entre une œuvre et d’autres, qui l’ont précédée ou suivie»13. Si la notion chez Kristeva et Genette considère plutôt les aspects constitutifs, taxinomiques et fonctionnels, chez Riffattere elle insiste sur l’acte personnel de perception au moment de la lecture ; c’est-à-dire, la reconnaissance et l’identification de l’intertexte par le lecteur. Or, lorsque l’intertexte n’est pas uploads/Litterature/ de-la-textualite-de-sa-taxinomie-de-sa-repre-sentation-et-de-sa-dynamique-ramos-izquierdo.pdf
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- Publié le Mar 15, 2021
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