Que reste-t-il des dandys? DÉCRYPTAGE - L’illustrateur Aubrey Beardsley est à l
Que reste-t-il des dandys? DÉCRYPTAGE - L’illustrateur Aubrey Beardsley est à l’affiche au Musée d’Orsay. Le chanteur Bryan Ferry, au générique d’un documentaire diffusé jeudi soir. L’occasion de se demander où sont les Bowie, Gainsbourg et Christophe d’aujourd’hui? Par Hélène Guillaume, Publié le 10/12/2020 à 18:39, Mis à jour le 11/12/2020 à 14:02, site Le figaro Photo de Bryan Ferry, le 1er juillet 1974. Anwar Hussein/Getty Images «J’ai une théorie sur Bryan Ferry qui est un artiste dans la maîtrise de l’image, dans le contrôle de l’apparence, dit d’emblée Olivier Nuc, critique musique au Figaro. Pourtant, lors de ses apparitions, il y a souvent un détail qui cloche, rappelant qu’il est un enfant de la classe ouvrière. Le too much pas rédhibitoire, c’est le soulier trop ciré, le geste gauche… Comme lorsqu’il tient deux micros sur la scène du Live Aid en 1985, le concert qui a sans doute été le plus étudié de l’histoire. Il est beau, il a 40 ans et ces micros qui lui mangent le visage !» Ce qui ne s’oppose pas au dandysme, puisque Barbey d’Aurevilly (1808-1889) revendiquait un mauvais goût (et son pouvoir subversif), même s’il feignait le contraire dans sa correspondance: «Ah! J’ai beaucoup de peine à me faire du goût! Il traîne toujours dans ma toilette quelque bout de mes gilets rouges d’autrefois!» Oscar Wilde, dessin d’Aubrey Beardsley (1879), l’illustrateur dandy britannique qui sera l’objet d’une rétrospective au Musée d’Orsay à sa réouverture. Bridgemanimages/Leemage En tombant sur le programme d’Arte et le titre de ce documentaire Bryan Ferry, Don’t Stop the Music. Portrait du dandy du rock anglais, on s’interrogeait sur le sens contemporain de ce mot dont même les origines demeurent obscures. Voilà bien longtemps que le dandy a quitté les sphères des lettres où il est né, dans les œuvres d’Oscar Wilde (1854-1900), de Joris-Karl Huysmans (1848-1907) ou encore d’Aubrey Beardsley (1872-1898), brillant illustrateur au style vestimentaire savamment entretenu. Réhabilitée dans les années 1960 par le Swinging London mais peu connue en France, son œuvre marquée par l’érotisme et la décadence sera consacrée au Musée d’Orsay (dès sa réouverture) après l’avoir été, cette année, par la Tate Britain. Pour moi, le dandy, comme le punk ou le rocker, c’est un mot marketing dicté par les groupes de luxe. Il y a un rock LVMH, un dandy Kering, etc Photo de Bertrand Burgalat, musicien et créateur du label Tricatel Le dandy ne tient ainsi plus la plume mais le (double) micro. Il suffit de googliser le mot pour le voir associé à un genre, si l’on peut dire, de musiciens. Ferry donc, mais aussi David Bowie, Christophe ou encore Serge Gainsbourg. Un bon chanteur, un bon costume suffit-il à être ainsi défini? «Pour moi, le dandy, comme le punk ou le rocker, c’est un mot marketing dicté par les groupes de luxe. Il y a un rock LVMH, un dandy Kering, etc., affirme le musicien et créateur du label Tricatel, Bertrand Burgalat, souvent qualifié de la sorte, en raison de son style singulier et de ses lunettes fumées. Je me rappelle avoir joué, en 1998, pour une soirée organisée par la marque de costumes Smalto au Cirque d’Hiver “parrainé” par Bryan Ferry. J’étais à la fois fier d’être sur scène devant lui et catastrophé par ce monde de la mode récupérant ce concept de dandy. D’autant plus qu’à mes yeux, le dandysme est une esthétique, une attitude plutôt macabre. Selon moi, ce n’est pas une référence de Ferry par exemple.» Extrait du documentaire «Bryan Ferry, Don’t Stop the Music» (ici, le chanteur de Roxy Music en 1975). © Mirrorpix / Bridgeman Images Serait-ce ces parfaits costumes à la scène comme à la ville qui entretiennent cette mythologie? «J’ai habillé Bryan Ferry en 2019, raconte, pas peu fier, Lorenzo Cifonelli, maître tailleur de la maison familiale fondée en 1880. Ce fut assez long de caler les essayages entre ses déplacements, je suis allé à son studio de Londres, il est venu à Paris. J’ai la chance d’habiller des artistes et des politiques. Mais l’exercice est autrement plus fascinant face à des personnalités comme lui ou encore Ralph Lauren, Hubert de Givenchy, qui ont du répondant, qui sont dans cette quête de l’élégance. Quand j’ai commencé le métier, mon père m’a dit: “Oublie les mesures, pense à la ligne”. C’est la définition d’un bon costume pour moi: donner à celui qui le porte la légèreté, la ligne, le style. Une attitude puissante et sexy. Nul doute que Ferry est un connaisseur.» Plus encore qu’il ne le croit puisque, comme le révèle le documentaire, son petit boulot d’adolescent fut d’être commis chez un tailleur. Sur l’affiche de sa première exposition d’artiste à l’université de Durham, à 22 ans, en 1967, «je portais un costume “comme d’habitude” (en français dans le texte, NDLR), un costume en mohair… C’est ce que je porte sur scène aujourd’hui, le même type de tenue. Rien n’a changé en fait», conclut le Britannique en riant. Ferry fait partie de cette génération d’Anglais modestes des années 1960 portée par le système scolaire et les écoles d’art Bertrand Burgalat, musicien et créateur du label Tricatel «Ferry fait partie de cette génération d’Anglais modestes des années 1960 portée par le système scolaire et les écoles d’art, reprend Bertrand Burgalat. Il en a gardé, comme Bowie, cette revendication de ses modèles, les artistes qui l’ont précédé. Il est de ceux qui savent admirer, qui savent le dire pour mieux s’en affranchir. Le glam rock puisait dans une nostalgie des années 1930, du Hollywood des années 1940. C’est l’inverse des “créateurs” actuels qui reprennent les inspirations épinglées sur le moodboard en prétendant faire du neuf.» David Bowie, le Thin White Duke, sur un balcon parisien en 1977. Christian Simonpietri/Sygma/VCG via Getty Images Aux yeux du producteur, en France, seul Gainsbourg peut se prévaloir de l’étiquette, dans ce qu’elle a de désespéré: une victime de son image, tel le chanteur à blazer à rayures dans les années 1970 incapable de quitter ses oripeaux de peur de perdre son public, tout comme il était devenu prisonnier de son «musée» de la rue de Verneuil à la façon d’un des Esseintes (prototype de la rock star décadente puis décatie). Ce que j’aime chez les artistes, c’est la part de mystère de fabrication. La téléréalité, l’inclusivité ont tué cette magie pour le moment Olivier Nuc, critique musique au Figaro Mais pourquoi qualifie-t-on ainsi, à tort ou à raison, les musiciens et non pas les acteurs, par exemple? «Peut-être parce que ce sont les rares artistes que l’on voit, en même temps, en direct, au travail et en représentation quand ils sont sur scène, répond Olivier Nuc. Ils cultivent un mélange de pur artifice et de pur naturel, de pudeur et de flamboyance. C’est Bowie et son allure incroyable qui a fait avancer son art avec des accords étranges, des harmonies audacieuses, qui soignait la vitrine et l’arrière-boutique. C’est Bashung quand il signe son retour au Bataclan en 2003, en costume Thierry Mugler et gants de cuir, qui se jette sur le sol. C’est Jacques Dutronc que j’ai vu enfiler devant moi un perfecto pour sortir de son domicile comme je n’ai vu personne le faire. Ces musiciens ont une tenue. Je déteste, à l’inverse, les chanteurs qui posent le coude sur votre épaule pour vous cracher leurs états d’âme…» Serge Gainsbourg, en 1973, derrière le bureau de son hôtel particulier du 5 bis, rue de Verneuil. L’antre d’un esthète digne de Des Esseintes. Giancarlo BOTTI/STILLS Les noms cités sont ceux d’une époque bientôt révolue, la relève paraît bien compromise. Que restent-ils des dandys?, telle est la question… «Dans les années 1970, Ferry, Bowie et les autres voulaient prouver que cet art populaire qui est la musique, était noble. Ce qui passait par une exigence esthétique, des références littéraires, une attitude, décrypte Olivier Nuc. À la fin des années 1980, la consécration de la culture pop a balayé ces aspirations, et la tenue de scène dans tous les sens du terme. C’est l’échec de la démocratisation de la culture, nous avons été rattrapés par la démagogie. Ce que j’aime chez les artistes, c’est la part de mystère de fabrication. La téléréalité, l’inclusivité ont tué cette magie pour le moment.» Quelques semaines avant sa disparition en mai 2020, Christophe posait, fidèle à sa réputation de dandy un peu maudit, un peu vieilli… Eric Fougere - Corbis via Getty Images «On ne peut pas nier que nous vivons dans la culture de l’avachissement, y compris vestimentaire, renchérit Burgalat. Même le luxe a abdiqué, en vendant des baskets à 1000 euros avenue Montaigne. Mais comme toujours face à la mode dominante apparaît une contre-culture. De nos jours, les jeunes musiciens sont bien plus intéressants que les plus de 40 ans qui ont été bercés à un certain conformisme des Inrockuptibles. Si je suis pessimiste sur la vision d’ensemble, je suis optimiste sur ce que nous réservent les adolescents.» Même note positive chez Cifonelli: «Le dandysme, c’est bien plus qu’une histoire de vêtement, donc uploads/Litterature/ dandys.pdf
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- Publié le Apv 04, 2021
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