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HAL Id: hal-01411280 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01411280 Submitted on 7 Dec 2016 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’affleurement du contre-texte chez Volochinov et Bakhtine Serge Rolet To cite this version: Serge Rolet. L’affleurement du contre-texte chez Volochinov et Bakhtine. La Lecture littéraire, Klinck- sieck / Université de Reims, 2014, Le contre-texte. ￿hal-01411280￿ L’affleurement du contre-texte chez Volochinov et Bakhtine Serge Rolet Article paru dans La lecture littéraire, n° 12, Le contre-texte, textes réunis par Alain Trouvé, Reims, mai 2014, pp. 17-30. Si on essaie de faire résonner « contre-texte » avec la pensée de Valentin Volochinov et de Mikhaïl Bakhtine, ce sera dans un sens très différent de celui que proposait initialement Anne Clancier. En effet, l’idée même de l’inconscient est totalement étrangère à Volochinov et à Bakhtine1. La philosophie du langage de ces deux auteurs, tout imprégnée de l’organicisme romantique, magnifie l’unité, le tout, le lien2. Les relations dialogiques, dont la polyphonie dostoïevskienne donne l’exemple littéraire idéal, et unique, s’établissent entre « des consciences pleinement qualifiées ». L’altérité se dit en plusieurs sens, et celui que lui donnent V.-B. n’est pas celui de la psychanalyse. Que toute intervention verbale soit pleine de « mots d’autrui » ne permet pas de conclure que la psyché soit divisée. Pour V.-B., rien n’échappe à la conscience, et la compréhension d’un énoncé donne accès à la totalité de son sens. Aussi vaut-il mieux ne pas lire « Bakhtine » (Bakhtine lui-même, et ses hétéronymes supposés) dans la perspective de Kristeva, comme on le fait en France depuis les années soixante3. Alors que, vue d’Occident, la figure biographique et intellectuelle de « Bakhtine » était enveloppée d’un épais mystère, Kristeva a interprété à ses propres fins, en fonction des enjeux de la « théorie du texte », ce que, à sa suite, l’usage a nommé en français le « dialogisme »4. 1 Bien que la pensée de ces deux auteurs diffère sur quelques points, on peut considérer qu’elle est en gros la même sur une partie des questions qui seront abordées ici. Dans ce cas, on trouvera dans la suite « V.- B. », en lieu et place de « Volochinov et Bakhtine ». Sur la question de l’attribution de plusieurs ouvrages, dont Marxisme et philosophie du langage, à l’un ou à l’autre des membres du groupe informel improprement appelé, après coup, « cercle de Bakhtine » (Bakhtine n’y occupait pas de position centrale), cf. : la préface de Patrick Sériot à V1 (voir infra, la bibliographie), pp. 36-47. P. Sériot y dresse l’état de la question, avant de prendre position, dans le cas de Marxisme et philosophie du langage, en faveur de la « paternité » de Volochinov. 2 Cf. : Sériot (1999). 3 Dans bon nombre de travaux universitaires parus en France au sujet du « dialogisme », on continue à lire « Bakhtine » à partir de Kristeva, ignorant à peu près complètement les documents et études publiés depuis quelque vingt ans. C’est par exemple le cas de la contribution à la question du dialogisme proposée par le « Groupe de recherche Fabula » (URL : http://www.fabula.org/atelier.php?Dialogisme). L’article, long de 3000 signes, ne contient aucune citation de Bakhtine lui-même, mais en contient une de Kristeva, qui occupe plus du tiers du texte : « Le discours de l’auteur [de roman polyphonique] est un discours à propos d’un autre discours, un mot avec le mot (…) (non pas un métadiscours vrai). Il n’y a pas de troisième personne unifiant la confrontation des deux : les (discours) contraires sont réunis, mais non pas identifiés, ils ne culminent pas dans un “je” stable qui serait le “je” de l’auteur monologique. Cette “dialogique” de coexistence des contraires, distincte de la “monologique” (qui postule le tertium non datur) et que Freud découvre dans l’inconscient et dans le rêve, Bakhtine l’appelle, avec une perspicacité étonnante, logique du rêve », etc. (Kristeva (1970), p. 15). Il n’y a pas de perspicacité particulière à parler ici de « logique du rêve », puisqu’il s’agit du célèbre « rêve de Raskolnikov ». Ce moment est évoqué par Bakhtine pour illustrer la dimension carnavalesque des romans de Dostoïevski, nullement dans une perspective psychanalytique. Le rêve est le pont qui permet à Kristeva de passer de l’un à l’autre, de manière forcée. 4 On compte près de 30 occurrences du mot « dialogisme » dans « Une poétique ruinée ». Précisons que le terme correspondant en russe est absent des travaux de V.-B., à une seule exception près. On trouve dans la monographie de Bakhtine sur Dostoïevski « Ètot dialogizm Grossman sklonen ob’’jasnjat’… » (littéralement : « Ce dialogisme, Grossman est enclin à l’expliquer »), que Guy Verret traduit fort opportunément par : « De cette pratique du dialogue L. Grossman est enclin à chercher l’explication… », B3, p. 23). Pour Bakhtine, le « dialogisme » caractérise donc une autre pensée que la sienne. Le contre-texte sera donc pensé en dehors de toute référence au transfert, aux affects, aux fantasmes inconscients et à la division du sujet, et sollicitera les travaux de V.-B. portant sur la présence des « mots d’autrui » dans l’œuvre verbale. Si néanmoins on veut trouver un point commun entre l’hypothèse première du contre-texte et les écrits de V.-B., on partira de l’idée que le texte suscite une « réaction ». L’énoncé, en effet, pour Volochinov comme pour Bakhtine, est avant tout, comme le souligne Mikhaïl Gasparov, « réaction à la parole [d’autrui] »5. Avant d’évoquer ce que V.-B. peuvent apporter à la théorie du contre-texte, il faut prévenir une objection préalable : « texte » est à peu près absent de leurs travaux. On en trouve bien quelques occurrences, mais une étude d’ensemble conduit à conclure que « la notion même de texte est radicalement étrangère à Bakhtine », aussi bien qu’à Volochinov6. Comment le moulin du contre-texte trouverait-il du grain à moudre là où il n’y a même pas de texte ? Dans l’histoire de la notion de contre-texte, imaginée par analogie avec celle de contre-transfert, le contre-texte est second par rapport au texte, comme le contre-transfert l’est par rapport au transfert. L’hypothèse proposée ici est que V.-B. apportent quelque chose à l’idée du contre- texte, bien qu’ils rejettent le concept de texte, ou, à l’inverse, dans la mesure même où ils le rejettent. Pour pouvoir s’articuler avec leur conception du langage, il faut que l’idée du contre-texte soit méthodologiquement première. Alors que, dans Marxisme et philosophie du langage, « contexte » revient des dizaines de fois, « texte » apparaît seulement à deux reprises. La seconde occurrence du mot, à la fin du livre, n’a pas d’intérêt pour nous, puisque ce que Volochinov appelle « le texte » n’est rien d’autre que le corps de l’ouvrage, par opposition à sa conclusion : « Nous serons bref. Tout ce qui est essentiel se trouve dans le texte lui-même, et nous essaierons d’éviter les répétitions7. » Reste la première occurrence. À propos de « la compréhension inévitablement passive » de la langue, étudiée par le « philologue linguiste », Volochinov écrit : « Il en résulte une théorie de la compréhension foncièrement fausse, qui est à l’origine non seulement des méthodes d’interprétation linguistiques des textes, mais aussi de toute la sémasiologie européenne8 ». Chez Bakhtine, « texte » est presque aussi rare que chez Volochinov. On trouve dans le recueil Esthétique et théorie du roman 30 occurrences de « texte », dont la moitié (14) dans les remarques conclusives de l’étude Formes du temps et du chronotope, écrites en 1973. Dans l’étude elle-même, qui date de 1937-1938, on ne rencontre qu’une fois le mot « texte », dans une acception particulière : il s’agit, chez Rabelais, des prières des moines9. Dans les travaux de Bakhtine où la question de l’interaction verbale dans la littérature donne lieu aux réflexions les plus approfondies, le mot « texte » n’apparaît pas. Dans « Du discours romanesque », on trouve « texte » cinq fois, la première dans le sens de « document écrit » (« […] tout son texte pourrait être émaillé de guillemets »), les autres dans des exemples de « parole autoritaire » : le texte, c’est le texte sacré10. Ces emplois rares et marginaux 5 Cf. : Gasparov (2002) p. 37. 6 Depretto (1997), p. 12. 7 V2, p. 460. 8 Idem, p. 269. 9 Mikhaïl Bakhtine, « Formes du temps et du chronotope », dans le même volume que B1. La traduction proposée (« le nombre des leçons et prières ») fait l’économie du mot « texte ». 10 M1, p. 128, et pp. uploads/Litterature/ contre-texte-lalecturelitte-raire.pdf

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