« Arabesques de malheur » Jules Laforgue, Des Fleurs de bonne volonté (1890) 

« Arabesques de malheur » Jules Laforgue, Des Fleurs de bonne volonté (1890)  Texte proposé à l’occasion d’un bac blanc écrit ARABESQUES1 DE MALHEUR Nous nous aimions comme deux fous ; On s’est quittés sans en parler. (Un spleen2 me tenait exilé 4 Et ce spleen me venait de tout.) Que ferons-nous, moi, de mon âme, Elle de sa tendre jeunesse ! Ô vieillissante pécheresse, 8 Oh ! que tu vas me rendre infâme ! Des ans vont passer là-dessus ; On durcira chacun pour soi ; Et plus d’une fois, je m’y vois, 12 On ragera : « Si j’avais su ! »....3 Oh ! comme on fait claquer les portes, Dans ce Grand Hôtel d’anonymes ! Touristes, couples légitimes, 16 Ma Destinée est demi-morte !.... — Ses yeux disaient : « Comprenez-vous ! « Comment ne comprenez-vous pas ! » Et nul n’a pu le premier pas ; 20 On s’est séparés d’un air fou. Si on ne tombe pas d’un même Ensemble à genoux, c’est factice, C’est du toc. Voilà la justice 24 Selon moi, voilà comment j’aime. Jules Laforgue, Des Fleurs de bonne volonté (1890) 1 Arabesques : Ornement d’architecture, de peinture, de sculpture, représentant des motifs géométriques. Sens littéraire : Fantaisies de l’imagination et du style d’un écrivain. 2 Spleen : État affectif, plus ou moins durable, de mélancolie. 3 Choix de l’auteur de mettre quatre points de suspension au lieu des trois points conventionnels. 2  Constats : ✓ Une majorité d’élèves ont planché pendant trois heures sur les quatre heures imparties. ✓ Une majorité de commentaires étaient centrés sur la psychologie amoureuse sans tenir compte de l’aspect littéraire du texte. ✓ Le titre a été la plupart du temps ignoré malgré la note de bas de page.  Objectifs du corrigé : ✓ Proposer aux élèves un corrigé méthodologique centré sur la lecture attentive du texte pour optimiser les quatre heures de l’épreuve (c’est en général une heure de travail au brouillon qui manque, et non une heure de rédaction). ✓ Leur montrer que le réflexe (compréhensible) de puiser dans la boîte à outils des figures de style n’est pas suffisant et ne permet pas de rendre compte d’un texte. ✓ Insister sur la démarche d’enquête sur le texte : formuler des hypothèses interprétatives.  Le titre du poème est une métaphore : Motifs d’arabesques sur une mosquée. Au sens premier, l’arabesque est un motif ornemental composé de rinceaux végétaux pouvant former des entrelacs plus ou moins complexes. Les arabesques ont été identifiés en Occident au XVe siècle comme un élément de l'art islamique, d'où leur nom. Mais en Occident ce terme a été utilisé pour désigner par extension des entrelacs et des rinceaux divers, y compris ceux de tradition occidentale, même lorsqu'ils n'ont aucune correspondance avec les motifs arabes. Source : Wikipédia En danse classique, l’arabesque est une pose (inspirée de motifs orientaux) dans laquelle le danseur ou la danseuse, en appui sur une jambe, lève l'autre tendue à l'arrière, un bras vers l'avant prolongeant la ligne de la jambe levée. Le deuxième bras est le plus souvent perpendiculaire au premier (de côté). Il peut cependant paraître placé vers l'arrière si la danseuse "épaule" la posture de ses bras. Emprunté à l'arabesque des arts plastiques, le terme apparaît au début du XIXe siècle et désigne l'évolution de danseurs et danseuses s'entrelaçant de mille manières. Source : Wikipédia La valeur métaphorique du titre est à rapprocher du mouvement littéraire auquel appartient Jules Laforgue : le symbolisme.  Projet de lecture : En quoi le poème dessine des motifs d’arabesques ? ou Peut-on dire que l’écriture du poème évoque des arabesques ? 3  Observer le système verbal et la distribution des sujets (noms et pronoms) : Nous nous aimions comme deux fous ; 2 premiers vers résument l’expérience amoureuse On s’est quittés sans en parler. commenter le passage de l’imparfait au p. composé (Un spleen me tenait exilé parenthèse explicative : raisons de la séparation Et ce spleen me venait de tout.) 4 Que ferons-nous, moi, de mon âme, le pr. « nous » est distribué en « moi » et « elle » Elle de sa tendre jeunesse ! Ô vieillissante pécheresse, qui désigne la « vieillissante pécheresse » ? Oh ! que tu vas me rendre infâme ! désarroi, effroi, dégoût de soi 8 Des ans vont passer là-dessus ; strophe au futur comme la précédente On durcira chacun pour soi ; Et plus d’une fois, je m’y vois, = je m’y vois déjà, maintenant (au présent), en écrivant On ragera : « Si j’avais su ! ».... futur / imparfait 12 Oh ! comme on fait claquer les portes, présent de vérité générale ? Dans ce Grand Hôtel d’anonymes ! Touristes, couples légitimes, Ma Destinée est demi-morte !.... 16 — Ses yeux disaient : « Comprenez-vous ! imparfait / présent « Comment ne comprenez-vous pas ! » Et nul n’a pu le premier pas ; passé composé On s’est séparés d’un air fou. passé composé (cf. v. 2) / « fou » (cf. v. 1) 20 [Si on ne tombe pas d’un même présent de vérité générale Ensemble à genoux, c’est factice, => [formulation d’une morale amoureuse] C’est du toc.] Voilà la justice présentatif « voilà » x 2 Selon moi, voilà comment j’aime. cette morale est personnelle 24  Interpréter : Arabesques verbales / temporelles, au sens où la richesse du système verbal du poème (va-et- vient entre le présent, le passé et le futur) crée des motifs qui s’entrelacent de strophe en strophe, de même que le système des pronoms. Remarque : malgré la variété des temporalités (passé, présent, futur), le poète ne situe jamais précisément un événement (la séparation par ex.) et ne précise pas les durées (« Des ans vont passer » : c’est vague). Cela ne crée pas de la confusion, mais de l’indétermination, qui peut être rapprochée du « spleen » au sens d’un « exil » intérieur du poète (vers 3), d’une mélancolie profonde dont la cause n’est pas identifiable, au point que le poète affirme que le spleen lui « venait de tout ». 4  Observer les « arabesques » formées par les phrases et les vers : Nous nous aimions comme deux fous ; asyndète / ellipse On s’est quittés sans en parler. (Un spleen me tenait exilé explication Et ce spleen me venait de tout.) 4 Que ferons-nous, moi, de mon âme, angoisse / question + exclamation Elle de sa tendre jeunesse ! Ô vieillissante pécheresse, Oh ! que tu vas me rendre infâme ! tournure exclamative / valeur expressive 8 Des ans vont passer là-dessus ; On durcira chacun pour soi ; métaphore / sens du toucher Et plus d’une fois, je m’y vois, On ragera : « Si j’avais su ! ».... discours direct 12 Oh ! comme on fait claquer les portes, strophe exclamative / sens de l’ouïe Dans ce Grand Hôtel d’anonymes ! Touristes, couples légitimes, Ma Destinée est demi-morte !.... 16 — Ses yeux disaient : « Comprenez-vous ! discours direct + exclamation/question « Comment ne comprenez-vous pas ! » reprise à la forme négative Et nul n’a pu le premier pas ; ellipse / asyndète On s’est séparés d’un air fou. 20 Si on ne tombe pas d’un même expression de la condition Ensemble à genoux, c’est factice, 2 enjambements C’est du toc. Voilà la justice tournures présentatives Selon moi, voilà comment j’aime. 24  Interpréter : Phrases courtes et simples (syntaxe). Propositions qui s’étendent rarement sur plus d’un vers => ce sont autant de motifs qui dessinent les arabesques du poème. Les différents types de phrase (affirmatives, interrogatives et exclamatives mêlées, négatives + discours direct) montrent une grande variété dans les « motifs » de l’écriture de Laforgue. De même, la ponctuation variée et originale (en particulier les quatre points de suspension aux vers 12 et 16 et le tiret long au début du vers 17) enrichit les arabesques poétiques. Remarque : la versification dessine elle-même des arabesques : dans la poésie classique, il y a une véritable géométrie du vers, des strophes et des rimes. Dans ce poème : six quatrains d’octosyllabes en rimes embrassées (on pourrait dire, en filant la métaphore des arabesques : rimes entrelacées). Absence de connecteur entre les deux propositions. C’est la parenthèse qui exprime la cause de la séparation. Rimes masculines dans les quatre vers des strophes paires. Rimes féminines dans les quatre vers des strophes impaires => alternance des rimes masculines et féminines. Remarque : dans la poésie traditionnelle, cette alternance se fait entre la rime a et la rime b. 5  Et le malheur dans tout ça ? Repérer thème du malheur dans le poème : ARABESQUES DE MALHEUR Nous nous aimions comme deux fous ; On s’est quittés sans en parler. séparation (Un spleen me tenait exilé spleen + exil Et ce spleen me venait de tout.) aucune prise sur les causes du mal 4 Que ferons-nous, moi, de mon âme, uploads/Litterature/ commentaire-arabesques-de-malheur-laforgue.pdf

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