Michel Charolles Introduction aux problèmes de la cohérence des textes [Approch
Michel Charolles Introduction aux problèmes de la cohérence des textes [Approche théorique et étude des pratiques pédagogiques] In: Langue française. N°38, 1978. Enseignement du récit et cohérence du texte. pp. 7-41. Citer ce document / Cite this document : Charolles Michel. Introduction aux problèmes de la cohérence des textes [Approche théorique et étude des pratiques pédagogiques]. In: Langue française. N°38, 1978. Enseignement du récit et cohérence du texte. pp. 7-41. doi : 10.3406/lfr.1978.6117 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1978_num_38_1_6117 Michel Charolles. Besançon INTRODUCTION AUX PROBLEMES DE LA COHERENCE DES TEXTES (Approche théorique et étude des pratiques pédagogiques) « Nous marchions et il lui échappait des phrases presque inco hérentes. Malgré mes efforts, je ne suivais ses paroles qu'à grand-peine, me bornant enfin à les retenir. L'incohérence du discours dépend de celui qui l'écoute. L'esprit me paraît ainsi fait qu'il ne peut être incohérent pour soi-même. Aussi me suis-je gardé de classer Teste parmi les fous. D'ailleurs, j'aper cevais vaguement le lien de ses idées, je n'y remarquais aucune contradiction; — et puis, j'aurais redouté une solution trop simple ». Paul Valéry « Monsieur Teste » INTRODUCTION N'importe quel assemblage de mots ne produit pas une phrase. Pour qu'une suite de morphèmes soit admise comme phrase par un locuteur- auditeur natif, il faut qu'elle respecte un certain ordre combinatoire, il faut qu'elle soit composée selon le système de la langue. Tout membre d'une communauté linguistique a une connaissance intuitive et une pratique immédiate de ces contraintes structurelles. L'ordre de la langue apparaît dans l'usage sous la forme de prescriptions imperatives implicites consti tuant une norme minimale à partir de laquelle tout un chacun est en mesure d'accomplir spontanément et naïvement des opérations discriminatoires fondamentales du genre : « pas français », « charabia »... Ces disqualifica tions radicales entraînent des procédures d'exclusion sévères : comme elles sanctionnent un manquement aux règles constitutives sur lesquelles repo se le consensus linguistique, elles ont pour conséquence une mise à l'écart des circuits d'échange communicatif et un démarquage sociologique plus ou moins rédhibitoire. En tout cas, ces disqualifications sont sans commune mesure avec les « évaluations linguistiques péjoratives » du type « familier », « vulgaire »... qui renvoient, elles, à des infractions secondaires n'entamant pas le système et qui ont pour effet de simples déclassements (« inculte », « provincial »...). Cet ordre normatif constitutif implicite est explicité par la grammaire (de phrase) qui le reproduit théoriquement en construisant les règles com- binatoires sur lesquelles il repose. Aux discriminations naïves radicales, la grammaire substitue des marques appréciatives théoriques (« grammat ical - agrammatical »...) contrôlables et éventuellement affinables à l'inté rieur du dispositif modélisé dont elles résultent. La subrogation théorique des évaluations péjoratives tombe pareillement dans le champ de la grammaire qui remplace les taxinomies naïves par des taxinomies techni ques (« non standard », « semi-phrase »...) également dérivées du modèle de base selon des procédures spéciales appropriées. Dans un cas comme dans l'autre les jugements de sortie engendrés par la grammaire ont (en principe et dans l'idéal) la même portée empirique que les jugements naïfs d'entrée. Les considérations qui précèdent ont été introduites à partir de la phrase mais elles ont leur exact pendant au niveau du texte. Comme tout tas de mots ne donne pas une phrase, tout tas de phrases ne forme pas un texte. A l'échelle du texte ainsi qu'au plan de la phrase, il existe donc des critères efficients de bonne formation instituant une norme minimale de composition textuelle. L'usage de cette norme conduit à des disqualifica tions massives et naïves : « ce texte n'a ni queue, ni tête », « cette histoire ne tient pas debout »... beaucoup plus puissantes que les évaluations déprécia- tives du genre « gauche », « maladroit »... qui ne concernent que les arran gements de surface mais ne bloquent pas fondamentalement les processus communicatifs. Ces disqualifications naïves radicales sont inconcevables tant qu'on ne les rapporte pas, elles aussi, à un système implicite de règles intériorisées également disponibles chez tous les membres d'une commun auté linguistique. Ce système de règles de base constitue la compétence textuelle des sujets, compétence qu'une théorie — ou grammaire — du texte se pťopose de modéliser. Une telle grammaire (dont le projet est en tous points comparable à celui des grammaires de phrase précédemment évoquées) fournit à l'intérieur d'un cadre formel et problématique déterminé l'ensemble (censément exhaustif) des règles de bonne formation textuelle. De ces règles, on peut dériver des jugements théoriques dits de cohérence recouvrant si possible exactement le champ des appréciations vernaculaires à disqualification maximale et des « jugements de non standardisation » correspondant aux dépréciations de surface x. Dans une communauté linguistique la majorité des sujets a une maît rise parfaite des règles de bonne formation phrastique et textuelle, il est 1. La fondation d'une grammaire de texte repose sur une argumentation originelle directement trans* férée de celle à partir de laquelle a été constitué le projet d'une grammaire generative et transformationnelle (cf. N. Chomsky 1957 et 1965). Les grammaires de texte souffrent donc, dans leurs dispositions initiales, d'insuffisances identiques à celles que l'on a relevées pour les grammaires génératives et transformationnelles. On notera cependant que, quelles que soient les réserves que l'on puisse émettre à rencontre de concepts comme compétence, performance..., il reste que de telles généralisations permettent, dans un premier temps, de constituer un cadre de systématisation très opératoire et certainement irremplaçable. Les modèles actuel lement développés par les Grammairiens du texte dépassent d'ailleurs considérablement ces limites originelles, à cause notamment de leur dimension pragmatique (cf. les ouvrages et articles de J.S. Petôfi et T.A. Van Dijk cités en bibliographie). donc très гаге qu'un individu ait à opérer à l'endroit des productions ver bales de ses semblables des disqualifications radicales. Il n'y a guère que dans les ouvrages de linguistique que l'on rencontre, à titre d'exemples spéculatifs, des tas de mots ou de phrases contrevenant de toute évidence au système constitutif de la langue. La construction des grammaires et, plus généralement, l'élaboration théorique obligent à de tels artifices heuristi ques : pour dégager une règle fondamentale le plus sûr moyen est encore de raisonner sur des énoncés déviants qui présentent l'envers (et donc aussi l'endroit) du mécanisme recherché. On aurait tort cependant de penser que ces aberrations n'ont cours que dans le laboratoire du linguiste, on peut, en effet, faire état de situations, bien réelles, dans lesquelles un sujet (ou un groupe) en vient à considérer telle ou telle performance verbale comme fondamentalement paradoxale. Ces situations sont assez facilement localisables : au sein d'une société donnée, il est généralement établi que ces manifestations langagières plus ou moins tératologiques émanent de catégories déterminées (malades mentaux, jeunes enfants) ou réfèrent à des modes de fonctionnement particuliers (art, magie...). De là il résulte d'ail leurs que tout individu confronté à des énoncés de ce type sait, selon la situation (reconnue), opérer des accommodations et dispose de cadres de comportement et d'évaluation appropriés qui peuvent finalement et éven tuellement conduire jusqu'à des rétablissements de normalité. Ces prati ques sont fort complexes à analyser dans le détail et chaque cas appellerait évidemment une étude spécifique. Notre travail portera exclusivement sur les stratégies d'intervention que le maître développe en face de certains textes écrits d'élèves qu'il juge incohérent. Notre propos est donc tout à fait particulier et relativement limité encore que le traitement d'une telle ques tion engage, comme on le verra, un nombre assez considérable de pro blèmes et oblige à pas mal de détours. Nous montrerons successivement : i) — que la plupart du temps les maîtres dénoncent naïvement les malfor mations textuelles qu'ils rencontrent dans les copies et en restent à un stade évaluatif pré-théorique conduisant à des interventions pédagogiques sou vent mal contrôlées et relativement dangereuses et peu efficaces; ii) — qu'il est possible d'expliciter, au moins partiellement et grossièrement, (à l'intérieur d'un cadre problématique référant schématiquement aux grammaires de texte) le système des règles de cohérence sur lequel reposent les appréciations des maîtres ; iii) — qu'un tel système, une fois constitué, n'est pas applicable mécanique ment mais stratégiquement car les maîtres effectuent très souvent, selon les textes et selon la situation, un certain nombre de calculs d'adaptation débouchant sur des estimations de cohérence non directement prédictibles à partir des règles. Notre travail reposera sur des données empiriques concernant les pratiques pédagogiques des enseignants. En l'absence d'étude systématique sur la façon dont les maîtres interviennent en face de textes qu'ils considè rent comme mal formés 2, nous nous en remettrons aux quelques informa- 2. Il existe un certain nombre d'études sur les pratiques correctives des maîtres de français (R. Eluerd 1972 M. Laurent et alii 1973, T. Vertalier 1977, Cercle de linguistique et de pédagogie du français de Per pignan 1976, Repères numéro 29) et plusieurs articles sur la norme linguistique en situation scolaire (H. Besse 1976, E. Genouvrier 1972, С Petiot et С Marcello-Nizia 1972). Malheureusement, dans ces tra vaux, le problème des contraintes de cohérence n'est pratiquement jamais abordé. tions que nous avons pu recueillir uploads/Litterature/ coherence.pdf
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- Publié le Jui 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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