645 Religions et Spiritualités Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Décembr
645 Religions et Spiritualités Études – 14, rue d’Assas – 75006 Paris – Décembre 2008 – n° 4096 L oin d’être un texte fixé une fois pour toute, le Coran a une histoire faite d’évolutions, de relectures et de corrections. Il convient de présenter séparément la conception musulmane de la façon dont le Coran a vu le jour et les manières dont la recherche critique occidentale la conçoit. La collecte du Coran selon les sources musulmanes1 Selon l’opinion musulmane courante, à la mort de Mahomet (632), il n’existait pas d’édition complète et définitive des révélations qu’il avait délivrées. Toutefois, des portions plus ou moins grandes en avaient été mémorisées par ses compa- gnons, ou avaient été écrites sur divers matériaux. Certains musulmans qui savaient du Coran par cœur furent tués au combat, ce qui fit craindre que les révélations ne disparais- sent. Omar parvint à persuader le calife Abu Bakr (632-634) de les faire consigner par écrit. L’un des scribes de Mahomet, le jeune Médinois Zayd b. Thabit, se vit confier cette mis- sion ; il transcrivit les matériaux collectés sur des « feuillets » qu’il remit au calife. 1. Blachère R., Introduction au Coran, 1947, p. 18-102 ; Prémare A.L. de, Les Fondations de l’islam. Entre écriture et histoire, Seuil, 2002, p. 278-302 et 444-468 ; Déroche Fr., Le Coran, 2005, p. 71-76 ; Gilliot Cl., Exégèse, langue et théologie en islam. L’exégèse coranique de Tabari, 1990, p. 135-164 (sur les variantes). 1. Blachère R., Introduction au Coran, 1947, p. 18-102 ; Prémare A.L. de, Les Fondations de l’islam. Entre écriture et histoire, Seuil, 2002, p. 278-302 et 444-468 ; Déroche Fr., Le Coran, 2005, p. 71-76 ; Gilliot Cl., Exégèse, langue et théologie en islam. L’exégèse coranique de Tabari, 1990, p. 135-164 (sur les variantes). Origines et fixation du texte coranique CLAUDE GILLIOT Professeur à l’Université de Provence. 646 A la mort de ce dernier, ils passèrent au calife Omar (634-644), puis à sa fille Hafsa, l’une des veuves de Mahomet. Cette recension, si elle a bien existé, correspondait à la volonté du chef de la communauté de posséder un corpus coranique, tout comme d’autres compagnons en avaient eu ; il ne s’agis- sait pas d’imposer une version particulière à l’ensemble des fidèles. Sous le calife Othman (644-656), on prit conscience des divergences dans la façon de réciter le Coran. Le calife demanda à Hafsa de lui prêter son texte du Coran pour en faire une recension complète. Après le lui avoir rendu, le calife ordonna que l’on détruise tous les autres documents contenant du Coran qui avaient pu être utilisés pour l’éta- blissement de ce texte. Ce travail aboutit à la « vulgate oth- manienne2 ». Quatre ou sept copies furent envoyées dans plusieurs métropoles de l’empire naissant. Cette collecte du texte ne fut pas sans rencontrer des oppositions3. Pourtant la tradition musulmane tend à soute- nir l’idée que cette version du Coran a été acceptée partout. Les récits sur la collecte du Coran comportent de nombreu- ses contradictions qui conduisent à se poser des questions sur la véracité de la version musulmane des faits. Les modifications apportées au texte collecté. – Des problèmes subsistaient dans la lecture de cette version oth- manienne. D’une part, elle ne comportait pas les voyelles brèves, et pas toujours les voyelles longues, ce qui pouvait donner lieu à des confusions dans la lecture de certains mots, même si certains choix de lecture sont éliminés par le contexte. Plus grave encore, l’écriture arabe primitive n’était pas pourvue des points dont sont maintenant marquées cer- taines consonnes de l’alphabet pour fixer la valeur exacte des signes qui prêtent à confusion4. C’est sous les Omeyyades, sous ‘Abd al-Malik (685- 705) plus particulièrement, que l’on peut placer la troisième phase de l’histoire du Coran. Mais les informations fournies par les sources sont contradictoires. Plusieurs modifications importantes faites sur le texte sont attribuées à l’homme fort du régime omeyyade de cette période, al-Hajjaj b. Yusuf (714). Pour les uns, les améliorations qu’il aurait fait apporter au texte coranique se seraient limitées à rectifier des lectures déficientes ou à y mettre en ordre les versets, voire les soura- tes. Pour d’autres, il en aurait perfectionné l’orthographe en 2. Version (canonique) définitive du texte. 2. Version (canonique) définitive du texte. 3. Le refus le plus affirmé vint du compagnon Ibn Mas’ud (m. 653). 3. Le refus le plus affirmé vint du compagnon Ibn Mas’ud (m. 653). 4. Pour ne donner qu’un exemple, le même ductus consonantique peut se lire : b, t, th (fricative interden- tale sourde), n, ou î long ; d (occlusive dentale sono- re, comme notre d) ou dh (fricative interdentale sonore). Des vingt-huit let- tres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës. Dans les plus anciens fragments du Coran, les lettres ambiguës constituent plus de la moi- tié du texte. 4. Pour ne donner qu’un exemple, le même ductus consonantique peut se lire : b, t, th (fricative interden- tale sourde), n, ou î long ; d (occlusive dentale sono- re, comme notre d) ou dh (fricative interdentale sonore). Des vingt-huit let- tres de l’alphabet arabe, seules sept ne sont pas ambiguës. Dans les plus anciens fragments du Coran, les lettres ambiguës constituent plus de la moi- tié du texte. 647 introduisant des points5. Des réformes semblables sont égale- ment attribuées à d’autres personnages par les sources musul- manes. En dépit des contradictions, le règne de Abd al-Malik, fut un moment déterminant pour la constitution des textes coraniques qui nous sont parvenus. Le texte final ne s’im- posa que très lentement. Les textes des compagnons et les variantes corani- ques. – La tradition musulmane mentionne quelque quinze textes pré-othmaniens principaux et une douzaine de textes secondaires6. Jusqu’à ce jour, aucun manuscrit de ces textes n’a été retrouvé. Les variantes des textes pré-othmaniens qui diffèrent de la Vulgate ont disparu de la récitation du Coran. Néanmoins, il arrive que des exégètes anciens qualifient d’er- ronée ou de « faute de scribe » un mot du texte othmanien, lui préférant celui d’un autre texte. Lorsque le texte « othmanien », ou supposé tel, fut universellement reconnu par les savants musulmans, vers le milieu du ixe siècle, se constitua une hiérarchie parmi les sys- tèmes de lectures qui aboutit à une liste de sept lectures (ou lecteurs)7 canoniques, les savants désignant de façon consen- suelle les chefs d’école en fonction de leur valeur. Cette liste fut déclarée canonique. Durant cette même période, deux exégètes furent condamnés : Ibn Miqsam, en 934, et Ibn Shannabûdh, en 935, parce qu’ils récitaient des variantes non approuvées. Le critère de « transmission ininterrompue », et par conséquent « authentique », étant très fluide, on a rajouté des lecteurs à la liste des sept déjà approvés pour arriver au sys- tème des « dix lecteurs », puis à celui des « quatorze lec- teurs ». Un grand changement se produisit au XVIe siècle, lorsque l’empire ottoman adopta la lecture de Asim dans la transmission de Hafs (796). Progressivement, ce système de lecture devint le plus répandu ; il le demeure d’ailleurs. L’édition du Coran qui parut en Egypte en 1923 est conforme à cette lecture, ce qui a encore augmenté sa diffusion. Ceci dit, la lecture la plus répandue en Afrique septentrionale et occidentale est celle Nafi’, dans la transmission de Warsh (812). La prépondérance du système des sept lectures dans la récitation du Coran n’a pas pour autant plongé les autres sys- tèmes dans l’oubli. En effet, le système des dix et des qua- torze, et même les lectures – variantes – « irrégulières », 5. La scriptio plena, soit les « points-voyelles », soit les points diacritiques (du ductus consonantique). 5. La scriptio plena, soit les « points-voyelles », soit les points diacritiques (du ductus consonantique). 6. Jeffery A., Materials for the History of the Text of the Qur’ān, Leyde, 1937, V-VI. 6. Jeffery A., Materials for the History of the Text of the Qur’ān, Leyde, 1937, V-VI. 7. Dans ce contexte, « lec- teur » s’entend d’un spécia- liste reconnu des variantes du texte. 7. Dans ce contexte, « lec- teur » s’entend d’un spécia- liste reconnu des variantes du texte. 648 continuent à être étudiés, notamment pour des raisons exé- gétiques et grammaticales. La littérature qui porte sur les variantes coraniques est énorme ; elle a engendré une foule de commentaires8. Critiques musulmanes contre la version commune du Coran Un certain nombre de savants musulmans ont violemment critiqué la version othmanienne durant les trois premiers siè- cles de l’islam. Cela commença avec des compagnons de Mahomet, lesquels avaient leur propre texte, nous dit-on. Certains musulmans ont considéré inauthentiques quelques passages du Coran pour des raisons théologiques et éthiques. Ainsi Coran, 111,1-3, contre Abu Lahab, l’un des grands adversaires de Mahomet, et 74,11-26 : Dieu, comme à tous les hommes, lui ordonne de croire, mais le voue expres- sément à l’enfer, ce qui le place dans l’obligation de croire qu’il ne croira pas ! Quelques théologiens de uploads/Litterature/ claude-gilliot-origines-et-fixation-du-t.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
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