1 Emploi des temps et des modes dans les discours rapportés du genre historique

1 Emploi des temps et des modes dans les discours rapportés du genre historique illustré par le livre I de la Guerre civile de César Chantal KIRCHER (Université de Nice Sophia Antipolis) kircher@unice.fr INTRODUCTION Dans la narration des évènements de l’année 49 A.C., César, que l’on peut définir comme le locuteur primaire, le narrateur, rapporte de nombreux messages des locuteurs secondaires que sont les protagonistes de cette guerre civile, dans laquelle le verbe fut la première arme : analyse de la situation, propositions, promesses et menaces proférées oralement en présence de leurs destinataires ou transmises par l’intermédiaire d’émissaires ou par lettre. Parmi ces locuteurs secondaires, celui qui fait le plus de discours est d’ailleurs César qui parle de lui-même à la troisième personne1. Ce livre s’ouvre sur les discussions au sénat à l’annonce des intentions prêtées à César puis raconte la marche de César en Italie, son départ en Espagne en passant par Marseille et sa victoire en Espagne. 1. LES DIVERS ÉTATS DES DISCOURS RAPPORTÉS Le texte est émaillé sinon tissé de discours rapportés (désormais DR) qui présentent divers états. On rencontre peu de discours directs, cités tels qu’ils ont été prononcés, et dans lesquels le locuteur primaire laisse au(x) locuteur(s) secondaire(s) la responsabilité du discours cité mais beaucoup de discours indirects avec ou sans verbe déclaratif introducteur2. Ces discours sont en effet volontiers introduits par un verbe déclaratif dénotant un acte de parole et, surtout dans les discours brefs, ce verbe est aussi celui dont dépendent syntaxiquement les complétives qui seraient principales ou indépendantes dans un discours direct. 1 Cf. sur ce point, M. DUBROCARD (1994). Il est piquant de remarquer que parfois le narrateur supprime lui-même ces frontières : ainsi en XVIII, 2, dans un récit, simul atque signa nostra uiderunt. 2 Comme le souligna M. LAVENCY in C. BODELOT (2003 :183). 2 On peut distinguer six « degrés » de discours rapportés, les deux cas extrêmes ne représentant que 3% des occurrences. 1.1. La citation en « discours direct » des locuteurs secondaires. C’est un discours rapporté sur le mode du discours direct qui énonce (en V, 3) le sénatus-consulte du 7 janvier, ultime et extrême, qui équivalait à la proclamation de l’état de siège : V, 3 : dent operam consules, praetores, tribuni plebis, quique pro consulibus sunt ad urbem, ne quid res publica detrimenti capiat. « Veillent les consuls, les préteurs, les tribuns de la plèbe et les proconsuls qui sont aux abords de la ville, à ce que la république ne subisse aucun dommage. »3 1.2. Le discours des locuteurs secondaires peut être rapporté sous la dépendance syntaxique d’un verbe déclaratif dénotant un acte de parole dont dépendent des complétives, ACI lorsqu’il s’agit d’énoncés assertifs ou subordonnées au subjonctif accompagnés ou non de ut(i) pour des énoncés à valeur impérative énonçant un ordre, accompagné de ne pour dénoter une défense. C’est ce qu’illustre dans le récit de la séance du sénat du 1° janvier 49 (I, 1 à II, 6) l’intervention du consul L. Lentulus avec d’abord deux ACI à l’infinitif futur dépendant de pollicetur : I, 2-3 : Incitat L. Lentulus consul senatum ; reipublicae se non defuturum pollicetur, si audacter ac fortiter sententias dicere uelint ;3 sin Caesarem respiciant atque eius gratiam sequantur, ut superioribus fecerint temporibus, se sibi consilium capturum neque senatus auctoritati obtemperaturum ; habere se quoque ad Caesaris gratiam atque amicitiam receptum. « Le consul L. Lentulus excite le sénat : il s’engage à ne pas manquer à l’Etat, si les sénateurs sont décidés à exprimer leur avis avec courage et énergie ; mais, s’ils regardent du côté de César et s’ils recherchent sa faveur, comme ils l’ont fait précédemment, il ne prendra conseil, lui, que de lui-même et ne déférera pas aux résolutions du Sénat : il a, lui aussi, son recours aux bonnes grâces et à l’amitié de César. » 3 Sauf indication contraire, la traduction est empruntée à Jacques Fabre qui a établi et traduit le texte des livres I et II de la Guerre civile pour les Belles Lettres, septième tirage 1968. 3 La dernière construction de type ACI est à l’infinitif présent. Elle n’a pas de verbe syntaxiquement enchâssant et relève donc d’un degré plus libre de discours indirect. Mais on peut considérer en poursuivant une suggestion de L. Sznajder4 qu’un hyperonyme dicere, implicite, est tiré de pollicetur dépouillé du sème de promesse. Ayant observé que les verbes qui précisent le canal par lequel la parole s’exprime ou les étapes de l’argumentation sont normalement construits avec une ACI mais que dans les trois quarts des occurrences d’ACI dans les discours indirects, il semble y avoir une anacoluthe, ces ACI se rattachant à des verbes qui offrent normalement une autre construction, L. Sznajder a proposé une explication séduisante : la substitution de l’hyperonyme dicere au verbe introducteur corrélativement dépouillé de sèmes modaux volitif, interrogatif ou négatif. Il nous semble possible d’étendre cette explication à des verbes introducteurs qui ne possèdent pas le sème de « dire » à titre de sème inhérent mais qui dans un contexte donné peuvent l’adopter. Un exemple limite est concurrere lorsque des personnes accourent pour parler. LXXI, 2-4 : [concurrebant legati, centuriones tribunique militum]…4 quod si iniquitatem loci timeret, datum iri tamen aliquo loco pugnandi facultatem « Tous accouraient, légats, centurions, tribuns militaires : … Si César redoutait le désavantage du terrain, on aurait à coup sûr la possibilité de combattre sur n’importe quel terrain… ». Il s’agit ici des conseils des légats, centurions et tribuns militaires après la victoire à Ilerda. 1.3. Sans verbe syntaxiquement enchâssant mais avec seulement le verbe introducteur relevant du commentaire du narrateur. Le discours de L. Lentulus cité en 1.2. (I, 2) est introduit par une phrase qui le précède et qui est une sorte de commentaire qui fait penser à une didascalie, incitat. Parfois une telle phrase se substitue au verbe qui enchâsse, syntaxiquement, le discours rapporté, en l’occurrence, pollicetur. C’est ce qui se passe dans l’intervention de Scipion qui fournit un autre modèle de discours rapporté : I, 4 : In eandem sententiam loquitur Scipio : Pompeio esse in animo rei publicae non deesse, si senatus sequatur ; si cunctetur atque agat lenius, nequiquam eius auxilium, si postea uelit, senatum imploraturum. 4 in C. MOUSSY (2001 : 615). 4 « Scipion parle dans le même sens : il est dans les intentions de Pompée de ne pas manquer à la république, s’il est suivi par le Séant ; mais, si le Sénat hésite, s’il agit trop mollement, ce sera une démarche parfaitement inutile, le jour où ce corps en aurait le désir, que d’implorer l’aide de Pompée. » 1.4. Sans verbe introducteur du double point de vue de la syntaxe et de l’énonciation. Lorsque le verbe introducteur est éloigné [II, 2 Dixerat aliquis leniorem sententiam, ut primo M. Marcellus … « Plusieurs avaient exprimé un avis plus mesuré : tel tout d’abord M. Marcellus …»] et que le discours indirect a été interrompu par un passage narratif comme dans la seconde phrase de l’intervention de M. Calidius, on peut considérer que le discours indirect n’offre pas de verbe introducteur explicite : II, 3 : ut M. Calidius, qui censebat ut Pompeius in suas prouincias proficisceretur, ne quae esset armorum causa ; timere Caesarem …. « tel M. Calidius, dont l’avis était que Pompée partît pour ses provinces, afin d’éviter toute cause de bataille : César craignait, en effet … » 1.5. Le discours indirect libre dénoté par l’indicatif imparfait. C’est ce qu’illustre un passage de la réponse de Pompée à César après le passage du Rubicon : XI, 1-3 : erat iniqua condicio …postulare …, uelle …, habere …, polliceri … ; tempus non dare…magnam pacis desperationem adferebat ]. « Pompée posait des conditions injustes en exigeant…, en voulant …, en promettant … ; d’autre part, le fait de ne pas offrir un moment … faisait entièrement désespérer de la paix. » La frontière entre récit et discours rapporté est ici très mince et l’ambiguïté est liée au double rôle de César, narrateur et acteur principal de ce qui est raconté. Mais une lecture attentive permet de remarquer que, dans plusieurs passages, le narrateur raconte au présent de l’indicatif et confie à l’imparfait de l’indicatif l’expression de l’avis des locuteurs secondaires. Ce retour au récit est marqué en XI, 4, par les présents mittit, substitit, instituit et occupat. Le même changement de temps apparaît dans le texte où est rapportée l’inquiétude des chefs Pompéiens après la victoire des troupes de César sur celles d’Afranius à Ilerda : 5 LXXIII, 1-3 : duces … consultabant. Erat unum iter, Ilerdam si … reuerti uellent … Haec consiliantibus, eis nuntiantur … disponunt, … uallum ducere incipiunt ut ... aquari possent. « Les chefs ... délibéraient. Une route leur permettait, s’ils le voulaient, de revenir à Ilerda…Tandis qu’ils tiennent conseil, arrive la nouvelle [que…] ils établissent … et ils entreprennent de mener une ligne de tranchées de façon à pouvoir se ravitailler en eau. » uploads/Litterature/ chantal-kircher-emploi-des-temps-et-des-modes-dans-les-discours-eapportes-du-genre-historique-illustre-par-le-livre-i-de-la-guerre-civile-de-cesar.pdf

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