LE BOUSTAN ou VERGER POÈME PERSAN DE SAADI traduit pour la première fois en fra
LE BOUSTAN ou VERGER POÈME PERSAN DE SAADI traduit pour la première fois en français avec une introduction et des notes PAR C. BARBIER DE MEYNARD Membre de l'Institut Professeur de langue et de littérature persanes au collège de France. PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIETE ASIATIQUE DE L'ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, ETC., ETC. 28, BUE BONAPARTE, 28 1880 Tous droits réservés. INTRODUCTION e nom de Saadi, si populaire dans l'Orient musulman, jouit en Europe d'une certaine célébrité, grâce aux travaux dont le Gulistân, son chef-d'œuvre, a été l'objet depuis le XVIIe siècle. La Hollande, l'Allemagne, l’Angleterre possèdent plusieurs traductions ou imitations de ce charmant ouvrage, et la France n'a pas été moins favorisée. En 1837, Sémelet qui avait recueilli l'explication orale de Sylvestre de Sacy et, vingt ans après, notre confrère et ami, M. C. Defrémery, qui a tant fait pour l'histoire et la littérature persanes, ont donné tour à tour une traduction du Parterre de roses. Le travail de Sémelet n'a guère dépassé le cercle des études auxquelles il était destiné; celui de M. Defrémery, plus répandu, est considéré à juste titre comme un modèle d'exactitude et d'érudition solide et sobre. Cependant le second chef-d'œuvre de Saadi, le Boustân ou Verger, n'a pas eu, en France, du moins, une aussi heureuse fortune. Tandis que l'Allemagne compte deux traductions en vers et l'Angleterre un fragment considérable de cet ouvrage, nous en sommes encore réduits à un petit nombre d'extraits disséminés dans divers recueils savants. Comment expliquer cette indifférence à l'égard d'un poème que les Orientaux considèrent comme classique et qu'ils admirent à l'égal du Gulistân ? Ces deux ouvrages sont pourtant nés de la même inspiration et presque à la même époque ; tous les deux poursuivent le même but. Propager les préceptes de la morale, non pas telle que la comprennent le Coran et une orthodoxie étroite, mais la morale de l'humanité, au vrai sens du mot, celle que Dieu a gravée au fond des cœurs : instruire les rois et les peuples de leurs devoirs respectifs, recommander aux premiers la justice et la clémence, aux seconds le respect de l'autorité et la pratique des vertus sociales, telle est, avec une teinte mystique, commune à tous les poètes de la Perse, la pensée qui domine dans les deux livres. S'il y a entre eux quelque différence, elle est simplement dans la forme. Grâce au mélange de la prose et des vers, à la variété des récits, à la verve et au naturel de la narration, le Gulistân offre, il faut en convenir, une lecture plus agréable. On y trouve, sinon plus d'art et d'invention, du moins un tour plus dégagé, une allure plus libre. Dans le Boustân, qui est un poème de toute pièce, l'intérêt n'est pas aussi soutenu ; trop souvent le poète se laisse égarer par sa riche imagination en des détours où le lecteur a peine à le suivre. Ajoutons que ce poème d'une inspiration toujours soutenue est, par cela même, moins facile à comprendre et qu'il a été traité avec beaucoup trop d'indépendance par ses premiers éditeurs et copistes; telle est la cause de certaines incohérences de rédaction qu'il serait injuste d'attribuer à l'auteur. Au surplus, une étude attentive de la vie de Saadi nous permet de mieux apprécier ses écrits, et ceux-ci, à leur tour, fournissent quelques précieuses données pour reconstruire sa biographie. En effet, ce n'est pas aux recueils littéraires (tejkèrès) rédigés par les Persans, qu'il faut demander des détails exacts sur leurs grands écrivains ; on n'y trouve le plus souvent que des éloges hyperboliques, des redites et une confusion perpétuelle entre la réalité et la légende. Les traducteurs européens, et, en première ligne, MM. Defrémery et W. Bacher ont mieux compris cette tâche; ils ont judicieusement pensé que c'était l'œuvre elle-même qu'il fallait interroger pour connaître l'ouvrier. Nous ne saurions donc mieux faire que de suivre l'exemple de nos devanciers, en complétant sur quelques points de détail le résultat de leurs investigations. I C'est une triste histoire que celle de la Perse et, en particulier de Chiraz, patrie de notre poète, au sixième siècle de l'hégire. Depuis la chute de ses anciens maîtres et protecteurs, les Seldjoukides, le midi de la Perse était comme une proie offerte aux aventuriers venus du Turkestan. Parmi ceux-ci, les Salgariens, nommés aussi Atabeks du Fars, avaient réussi à établir leur domination dans cette province et la défendaient énergiquement, tantôt contre les Atabeks de la Mésopotamie, tantôt contre les sultans du Kharezm (principauté actuelle de Khivâ). Le règne des cinq premiers princes Salgariens qui se succédèrent à Chiraz, de 544 à 623 de l'hégire (1149-1226 de l'ère chrétienne), se résume dans cette lutte qui couvrit de sang et de ruines une des plus riantes provinces de l'Iran. Lorsque notre poète vint au monde, probablement en 580 de l'hégire (1184), le pouvoir appartenait à Mozaffer-Eddîn Toukla, qui se maintenait depuis neuf ans, en guerroyant contre ses ambitieux voisins. Le règne de son successeur Abou Schoudjà Saad (1197-1226 de J.-C.) ne fut guère plus paisible. A peine débarrassé de l'Uzbek Pèhlivân qui cherchait à le déposséder, Saad eut à se défendre contre l'invasion plus redoutable de Sultan Ghyas-Eddîn, souverain du Kharezm (premières années du XIIIe siècle). Mais la lutte était trop inégale entre les deux rivaux ; Saad vaincu après une résistance énergique, dut se rendre à merci. La politique des sultans de Kharezm exigeait le maintien de la petite principauté de Chiraz; Saad obtint donc la paix, mais à des conditions onéreuses : il s'engagea à payer une forte redevance annuelle et consentit au mariage d'une de ses filles avec le roi Ghyas-Eddîn. Les plus dangereux ennemis du prince de Chiraz n'étaient pas ceux du dehors ; à peine la paix signée, il dut réprimer, les armes à la main, la rébellion de son propre fils, Abou Bekr, qui, en sa qualité d'héritier présomptif, défendait momentanément la cause du patriotisme et de la guerre à outrance. S'il faut en croire l'historien persan Mirkhond,[1] une lutte à main armée eut lieu entre Saad et son fils, et ce dernier ne se soumit que lorsque, abandonné de ses partisans, il tomba, terrassé d'un coup de massue, aux pieds de son père. Saadi avait grandi au milieu de ces déchirements politiques, et le spectacle des misères de son pays ne dut pas être sans influence sur son génie naissant. Le sentiment si profond chez lui des vicissitudes de la fortune, la haine de la violence et de l'injustice ne sont que l'écho des souffrances dont il fut le témoin et, peut être aussi, la victime. Nous ne possédons d'ailleurs sur sa famille et ses premières années que de vagues renseignements transmis par Doolet-Schah, historien peu soucieux d'exactitude. Le père du poète se nommait Abd Allah ; on a supposé que, par reconnaissance pour l'Atabek Saad, il prit le surnom de Saadi qu'il transmit ensuite à son fils. Mais cette conjecture est peu vraisemblable: l'Atabek Saad (fils de Zengui) n'était pas encore sur le trône lorsque mourut le père du poète. Il est donc plus naturel de croire que c'est ce dernier qui porta le surnom de Saadi, en l'honneur du prince son bienfaiteur. Remarquons d'ailleurs que ce surnom et celui de Mouslih-Eddîn « le réparateur de la religion » qu'il reçut à la fin de ses études ont été seuls conservés par la postérité et que nous ignorerons probablement toujours son véritable nom (ism). Tout en donnant à son fils une éducation strictement conforme aux préceptes de l'islamisme, le père de Saadi le mit en garde de bonne heure contre le fanatisme religieux et s'appliqua à tirer de ses jeux et de ses fantaisies d'enfant des leçons de bon sens et de sagesse pratique. Le Boustân fait allusion dans deux ou trois passages à cet enseignement paternel que la mort interrompit trop tôt.[2] Dans le second livre de son poème l'auteur revient avec mélancolie sur ce triste souvenir, et après avoir recommandé de traiter avec douceur les orphelins, il ajoute : « Je comprends la douleur de ces pauvres délaissés, moi qui n'étais qu'un enfant quand je perdis mon père. » Ce fut dans le magnifique collège fondé à Bagdad sous le nom de Nizamyèh, par le ministre Nizam-el-Moulk (1067 de J.-C), que le jeune Saadi alla achever ses études sous la direction d'un savant docteur, le scheik Schems-Eddîn ibn el-Djauzi; mais il ne devait pas avoir beaucoup plus de dix-sept ans lorsqu'il perdit ce maître (1201 de J.- C). Les progrès rapides qu'il fit dans ses études lui valurent bientôt une bourse et le titre de répétiteur.[3] Il est permis de supposer aussi qu'il suivit dans le même collège les cours de Sohraverdi, docteur non moins célèbre par ses tendances mystiques que par son érudition en droit canon, (mort en 632-1234). Qui sait même si le mysticisme ardent qui se révèle dans le troisième livre du Boustân, comme dans la plupart des Odes (recueillies sous le titre de Ghazeliat, de Tayybat, etc.) n'est pas dû uploads/Litterature/ bou-stan.pdf
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- Publié le Jui 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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