BIBLE ET VIOLENCE Bernard Van Meenen S.E.R. | « Études » 2003/11 Tome 399 | pag

BIBLE ET VIOLENCE Bernard Van Meenen S.E.R. | « Études » 2003/11 Tome 399 | pages 495 à 506 ISSN 0014-1941 DOI 10.3917/etu.995.0495 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-11-page-495.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.E.R.. © S.E.R.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Les effets cruels et violents découlant de l’usage des textes bibliques remontent loin et se font encore sentir ; tout comme, aujourd’hui encore, il est des violences crues et nues qui se drapent de vertu biblique. Il est vrai qu’on ne s’en avise que depuis peu ; mais reconnaissons aussi que, dans le meilleur des cas, c’est plutôt pour s’en inquiéter que pour s’en réjouir. Je fais donc volontiers crédit à Régis Debray d’avoir intégré, dans son récent ouvrage, l’essai de comprendre ce brûlant rapport entre les violences religieuses et l’usage de textes réputés « saints » ou « sacrés ». Car comprendre, comme Religions et Spiritualités Bible et violence BERNARD VAN MEENEN Bibliste. Chargé d’enseignement aux Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles. 1. Régis Debray, Le Feu sacré. Fonctions du reli- gieux, Fayard, 2003. © S.E.R. | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.147.71.134) © S.E.R. | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.147.71.134) disait Spinoza, ce n’est pas se moquer ou se plaindre. Dans le panorama des religions — et des monothéismes en particu- lier —, l’usage violent de la Bible est une variante d’un problème plus large et plus complexe. En effet, des textes peu- vent inspirer la violence, et il est vrai qu’il y a de la violence dans les textes « inspirés » ; mais l’on se sert aussi de textes pour justifier la violence, et ce ne sont pas toujours les textes violents qui la justifient le mieux. En régime chrétien, l’histoire le montre, « Dieu est amour » peut devenir une phrase aux effets incendiaires... Ce qui retient donc l’attention de Régis Debray, c’est que les rapports entre les textes et les violences religieuses sont plus complexes que l’on n’aime à le croire. Ils échappent à la causalité simple et immédiate chère à certaines explications supposées scientifiques, chère aussi au déni hautain ou aveugle, fort en vogue dans un certain progressisme huma- niste, qu’il soit laïque ou croyant. « Seul un idéologue, écrit l’auteur, peut imputer les chasses à l’homme à de mauvaises lectures 2. » Cela signifie-t-il qu’il y aurait de « bonnes lec- tures », aptes à en finir avec ce résidu archaïque des violences inspirées ou légitimées par les textes, bibliques ou autres ? Non, ce serait succomber à l’idéologie inverse, ce que Régis Debray ne manque pas de souligner à maintes reprises. Il n’a pas fallu attendre d’avoir la Bible en main pour faire la guerre, et ce n’est pas en la retirant des mains qu’on peut s’attendre à l’avènement d’une paix perpétuelle. Mais alors, au fond, pourquoi la Bible ? A cette question, les réponses historico- littéraires, expliquant la genèse des écrits, du Livre et des iden- tités qui se sont constituées autour d’eux, ont à la fois leur pertinence et leurs limites, que Régis Debray voit bien 3. Et, du côté des limites — pour ne pas dire des lacunes —, il y a bel et bien une certaine surdité des oreilles savantes à l’égard de signaux qui, dans les fonctions du religieux, ne se captent pas par l’intellect, mais par le corps, ses humeurs charnelles et pas- sionnelles, et par les affects, remués d’une faim aussi inextin- guible que le feu sacré. Cela dit, les écrivains de la Bible n’étaient pas de purs esprits, pas plus que ceux qui la lisent aujourd’hui encore. S’il en fallait une image, visible dans les deux Testaments bibliques, celle de la manducation du livre 4 conviendrait bien.Au moins l’image permet-elle de se deman- 2. Op. cit., p. 145. 3. Ibid., p. 16, 129-133, 264. 380. 4. Ezéchiel 2,8 - 3,3 ; Apoca- lypse 10, 9-10. © S.E.R. | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.147.71.134) © S.E.R. | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.147.71.134) der si l’on peut avoir faim du texte sans pour autant dévorer son prochain. Quiconque désire lire la Bible, savant ou non, ne pourra esquiver la question. Pour explorer et suivre le sens d’un texte, on n’a pas encore trouvé d’autre moyen que de le lire. Et, sauf erreur, lire relève aussi du champ symbolique de l’activité humaine. C’est pourquoi je ne suivrai pas Régis Debray dans sa dichotomie entre la lecture et le symbole. L’on peut critiquer à bon droit certains excès herméneutiques 5, et l’on peut même juger ceux- ci révélateurs d’une coupure entre les gens du texte et les gens du rite, ces derniers étant supposés vivre la religion effective, loin des arcanes du Sens. Il n’en demeure pas moins que le problème de la lecture reste posé, et que lire mobilise les pul- sions, la chair et les affections, autant que la raison et l’esprit. De ce point de vue, c’est moins la Bible qui « fonctionne » comme un réservoir ou un réseau de symboles, que sa lecture qui participe à la symbolisation inhérente à tout itinéraire croyant, dans la vie réelle. Or c’est ici, dans la vie réelle, qu’on se trouve aux prises avec la violence. Et l’on s’y trouve de toute façon, même si on ne lit pas la Bible. Alors, la Bible comme antidote à la violence, moyen- nant des opérations de lecture symbolique ? Sûrement pas. Je préfère cette question-ci : la lecture de la Bible aide-t-elle à comprendre la violence, c’est-à-dire nos démêlés réels avec elle ? Comme il arrive souvent qu’on confonde comprendre et savoir, rien ne me paraît plus inadéquat que de répondre d’emblée « oui » ou « non », quel que soit l’apport de savoir censé justifier une réponse ou l’autre. Le savoir et la lecture, ce n’est pas la même chose. Il importe d’autant plus de le souli- gner que la violence rend nos savoirs précaires. Que savons- nous vraiment, face à ce qui peut nous détruire ? Poser la question, je le précise tout de suite, n’implique pas une démis- sion de la raison. Au contraire, comme dit Jean Ladrière, « la raison doit être instruite de ce qui la refuse, de la puissance potentielle des forces qui la rejettent, voire de l’efficacité de la volonté qui cherche à la détruire 6 ». Ce propos ne doit rien à la « froide raison », comme on l’appelle parfois. La raison, en effet, communique avec nos affects, nos sentiments, notre vie symbolique 7. Le devoir de raison dont parle Jean Ladrière 5. Par exemple : les séduc- tions d’un « pantextua- lisme » ; « l’interprétose », névrose - curable - propre à l’exégète victime de « l’hypertrophie du Verbe ». Cf. Le Feu sacré, op. cit., p. 260-279. 6. Dans Yannis Thanasse- kos et Heinz Wismann (éd.), Révisions de l’histoire. Totalitarismes, crimes et génocides nazis, Cerf, coll. Passages, 1996, p. 320. 7. Cf. François Marty, « Parabole, symbole, concept », dans Les Para- boles évangéliques. Perspec- tives nouvelles, Cerf, coll. Lectio Divina, 135, 1989, p. 171-192. © S.E.R. | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.147.71.134) © S.E.R. | Téléchargé le 12/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.147.71.134) exige surtout qu’on ne se méprenne pas sur la nature de ce qu’on affronte, et qui est réellement dangereux pour nous, pour notre dignité. Face à cela, est-il alors raisonnable de lire la Bible ? Je ne vois aucune réponse a priori à cette question. En revanche, je ne doute pas que la violence que contient la Bible constitue une épreuve pour sa lecture, et pour notre apti- tude à symboliser. Quelle est cette épreuve ? Que signifie-t-elle que nous puissions comprendre ? Ces interrogations accom- pagneront la suite de la réflexion ici proposée, en partant d’un récit qui, de l’intérieur même des Ecritures, ouvre les portes uploads/Litterature/ bible-et-violence.pdf

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