2 1. Introduction Étudier les Fleurs du mal, c’est étudier un monument de la li

2 1. Introduction Étudier les Fleurs du mal, c’est étudier un monument de la littérature. Œuvre gigantesque, elle reste le recueil emblématique de la figure de Baudelaire, et, à travers elle, le lecteur se trouve souvent confronté à un foisonnement de références culturelles, qu’elles soient mythologiques, littéraires ou liées de près au vécu du poète. Dans le cadre de ce travail, nous nous attacherons à n’en relever que les références bibliques dans trois poèmes précis du recueil : le Reniement de Saint Pierre, Abel et Caïn et Les Litanies de Satan, triptyque qui forme la partie intitulée La Révolte. Nous nous concentrerons ensuite sur l’usage qui est fait de cette matière biblique, en ayant pour but de montrer le bouleversement des valeurs traditionnelles. Lorsque les vers s’y prêteront, nous montrerons le parallèle entre le texte des Écritures et le poème. Il va sans dire que cette ligne de conduite occulte d’autres aspects esthétiques de ces poèmes, mais nous ne nous en formaliserons pas, notre ambition dans ce travail étant de relever les rapports entre la Bible et La Révolte des Fleurs du mal. 3 2. Charles Baudelaire et les Fleurs du mal 2.1 Biographie de Charles Baudelaire Charles Baudelaire naît le 9 avril 1821 à Paris ; son père décédera quelques années plus tard, en 1827, et sa mère se remariera avec le chef de bataillon Jacques Aupick qui prendra une place majeure dans le déroulement de la vie du jeune Charles1 ; ce dernier suit sa scolarité au Collège Royal de Lyon puis au Collège Louis-le-Grand et s’illustre en versification latine2. Il est reçut bachelier le 12 août 1839 et prend son indépendance : cela sera très mal vu de sa famille, en particulier de son beau-père. Celui-ci le fait embarquer en 1841 à bord d’un navire pour Calcutta, mais le capitaine Saliz, découragé par l’attitude de Charles Baudelaire, ne le conduit qu’à l’île de La Réunion3. À son retour en France en 1842, il fait la connaissance de Jeanne Duval4 avec laquelle il entretiendra une relation tumultueuse et qui lui inspirera de nombreux poèmes. Devenu majeur, il s’inscrit dans la vie culturelle de Paris et y rencontre de nombreux artistes majeurs comme Théophile Gautier et Balzac5. Il contracte ses premières dettes, collabore à quelques papiers mineurs6 et en juillet 1844 se voit l’objet d’une procédure judiciaire intentée à son encontre par sa mère qui veut le placer sous conseil judiciaire : Baudelaire est mis sous tutelle7 ; il commence à publier ses Salons et quelques poèmes dans des revues. Il prend part à l’engouement pour les événements de 1848 et parle même d’aller fusiller son beau-père, le général Aupick8. Il traduit Poe, écrit quelques pièces de théâtre et boucle l’écriture des Fleurs du Mal, dont la première édition paraît en 1857. 1 Pierre Messiaen, Sentiment chrétien et poésie française: Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Paris, La Renaissance du livre, 1947, p. 12 2 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, complété et présenté par Claude Pichois, Paris, Gallimard (Coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1,7), 1961, p. XVIII 3 Ibid., p. XVIII 4 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Paris, Larousse (coll. « Petits classiques Larousse », 27), 2006, p. 8 5 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, complété et présenté par Claude Pichois, Paris, Gallimard (Coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1,7), 1961, p. XIX 6 Ibid., p. XX 7 Robert Kopp, Baudelaire : le soleil noir de la modernité, Paris, Gallimard (Coll. « Découvertes Gallimard », 456), 2004, p. 22 8 Ibid., p. 52 4 La réception est mitigée, provocant plusieurs scandales : les exemplaires sont saisis et on lui intente un procès le 20 août de la même année. En découleront une amende et la suppression de six poèmes. En 1861 paraît une seconde édition des Fleurs du mal, revue et corrigée. Il se porte aussi candidat à l’Académie Française mais se désiste le 10 février 1862. Il quitte Paris pour Bruxelles en 1864, où il espère trouver un éditeur pour ses œuvres complètes1 ; il éprouve un sentiment de dégoût pour la Belgique et sa santé se décline rapidement : il perd l’usage de la parole dès 18662. Ramené à Paris par sa mère, il mourra après une longue agonie le 31 août 1867. 2.2 Les Fleurs du mal Seul et unique recueil de poésie versifiée de Baudelaire, Les Fleurs du mal paraissent en 1857 ; l’idée de ce recueil germe dès 1845 sous le titre Les Lesbiennes, vite remplacé par Les Limbes, titre abandonné en 1852 pour faire place aux Fleurs du mal dans la Revue des Deux Mondes de 18553. Le recueil est extrêmement travaillé et composé, tant du point de vue du fond que de celui de la forme. Il est dédié à Théophile Gautier « maître et ami »4 ; la première édition compte cent poèmes répartis en cinq rubriques : Spleen et Idéal, Fleurs du mal, La Révolte, Le Vin et La Mort. Les Fleurs du mal paraissent donc en juin 1857. De nombreuses œuvres à l’époque se voient condamnées – ou du moins attaquées - pour leur contenu (citons le procès de Madame Bovary qui eut d’ailleurs lieu la même année). Le Figaro, fortement lié au gouvernement de l’époque5, fustige l’ouvrage dans un article du 5 juillet 1857 : « l’odieux y côtoie l’ignoble ; le repoussant s’y allie à l’infect »6 ! L’affaire est déférée au parquet, sous le réquisitoire d’Ernest Pinart (aussi lié au procès de Madame Bovary) visant soit des pièces portant atteinte à la morale publique, soit 1 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, complété et présenté par Claude Pichois, Paris, Gallimard (Coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1,7), 1961, p. XXVII 2 Robert Kopp, Baudelaire : le soleil noir de la modernité, Paris, Gallimard (Coll. « Découvertes Gallimard », 456), 2004, p. 127 3 Ibid., p. 72 4 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, complété et présenté par Claude Pichois, Paris, Gallimard (Coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1,7), 1961, p. 2 5 Robert Kopp, Baudelaire : le soleil noir de la modernité, Paris, Gallimard (Coll. « Découvertes Gallimard », 456), 2004, p. 84 6 Ibid. 5 portant atteinte à la morale religieuse, c’est-à-dire les trois pièces de La Révolte : cette dernière accusation ne sera pourtant pas retenue ; Baudelaire et son éditeur devront finalement s’acquitter d’une amende et six poèmes seront supprimés du recueil1. 2.2.1 La Révolte Baudelaire craignait d’offenser la morale avec les poèmes de la Révolte et de devoir en subir les conséquences : la première édition comporte d’ailleurs un avertissement qui signalait que l’auteur avait dû «en parfait comédien, façonner son esprit à tous les sophismes comme à toutes les corruptions »2 avis lancé à ceux qui le rangeraient « parmi les théologiens de la populace »3 : notice destinée à calmer les attaques des critiques et à placer Baudelaire non pas comme un blasphémateur en puissance mais comme un écrivain se pliant à des exercices de style. Néanmoins les trois poèmes composant La Révolte – à savoir Le Reniement de Saint Pierre, Abel et Caïn et Les Litanies de Satan subiront les foudres des autorités sans toutefois devoir être retranchées du recueil, même s’ils sont toujours décrits à l’heure actuelle comme des poèmes « au son de blasphèmes »4. Baudelaire ne marquera pourtant jamais de position nette en regard de la religion, balançant entre « des poussées d’angélismes et de révolte, en face de ce monde corrompu »5. Ces trois poèmes sont décrits par Robert Chérix comme l’illustration de trois actes de révolte : le blasphème du désespoir où l’âme excédée par la souffrance en vient à douter de l’utilité des peines et de Dieu, l’expérience de la malédiction divine où la rupture se marque, et ensuite la rébellion totale.6 Notons que cette partie des Fleurs du mal est la plus révélatrice de l’esthétique baudelairienne de la révolte, à l’opposé de l’esthétique de la sérénité de Poe7. 1 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, texte établi et annoté par Y.-G. Le Dantec, complété et présenté par Claude Pichois, Paris, Gallimard (Coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1,7), 1961, p. XXV 2 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1857, p. 215 ; édition numérisée consultée sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70861t215 ; c’est moi qui souligne. 3 Ibid. 4 Pierre Messiaen, Sentiment chrétien et poésie française: Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Paris, La Renaissance du livre, 1947, p. 74 5 Marcel A. Ruff., L'esprit du mal et l'esthétique baudelairienne, Paris, A. Colin (Coll. « Études littéraires »), 1955, p. 311 6 Robert Benoît Chérix, Commentaire des "Fleurs du mal" : essai d'une critique intégrale, Genève, E. Droz, 1962, p. 433 7 André Ferran, L'esthétique de Baudelaire, Paris, Nizet, 1968, p. 209 6 3. Analyse des poèmes de la Révolte 3.1 Le reniement de Saint Pierre Premier poème de La Révolte1, Le reniement de uploads/Litterature/ bible-baudelaire.pdf

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