mikhail bakhtine (v. n. volochinov) le marxisme et la philosophie du langage es

mikhail bakhtine (v. n. volochinov) le marxisme et la philosophie du langage essai d'application de la méthode sociologique en linguistique préface de roman jakobson traduit du russe et présenté par marina yaguello LES ÉDITIONS DE MINUIT Titre de l'édition originale Marksizm i f iloso f ija jazyka Première édition sous le nom de Volochinov Leningrad, 1929 © 1977 by LES EDrrmONS DE MIMMT 7, rue Bernard-Palissy, 75006 Paris La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées I une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. ISBN 2-7073-0151-5 préface Dans le livre publié sous la signature de V. N. Volo- chinov à Leningrad en 1929-30 dans deux éditions succes- sives sous le titre Marksizm i f iloso f ija jazyka (« Marxisme et philosophie du langage »), tout, depuis la page de titre, ne peut que surprendre. On finit par découvrir que le livre en question et plu- sieurs autres ouvrages publiés à la fin des années vingt et au début des années trente sous le nom de Volochinov, comme par exemple un volume sur la doctrine du freu- disme (1927) et quelques essais sur le langage dans la vie et dans la poésie, ainsi que sur la structure de l'énoncé, furent en vérité composés par Bakhtine (1895- 1975), l'auteur d'oeuvres déterminantes sur la poétique de Dostoïevski et de Rabelais. A ce qu'il semble, Bakhtine se refusait à faire des concessions à la phraséologie de l'époque et à certains dogmes imposés aux auteurs. Les adeptes et disciples du chercheur, en particulier, V. N. Volochinov (né en 1895, disparu vers la fin de 1930), ont tenté un compromis qui, sous un pseudonyme scru- puleusement gardé et grâce à une retouche obligatoire du texte et même du titre, permettrait de sauver l'essen- tiel du grand travail. Ce qui pourrait également surprendre des lecteurs moins au fait de l'histoire de l'obscurantisme que de celle de la pensée scientifique, c'est la disparition complète du nom même de ce chercheur éminent dans toute la presse russe pendant presque un quart de siècle (jusqu'à 1963) ; quant à son livre sur la philosophie du langage, on ne le trouve mentionné au cours de la même époque que dans quelques rares études linguistiques de l'Occident. Récemment, on en a donné quelques citations dans des publications soviétiques d'un tirage insignifiant, comme le recueil dédié au 7? anniversaire de Bakhtine et publié à 1 500 exemplaires (Tartu, 1973). L'ouvrage en question est reproduit dans la série Janua Linguarum (La Haye-Paris, 1972) et traduit en anglais 7 LE MARXISME ET LA PHILOSOPHIE DU LANGAGE (New York, 1972) mais avec d'autres chefs-d'oeuvre de la pensée théorique russe d'entre les deux guerres, ce travail reste encore à peu près inaccessible aux lecteurs de son pays natal. Malgré toute la singularité de la biographie du livre et de son auteur, c'est par la nouveauté et l'originalité de son contenu que le volume surprend encore le plus tout lecteur à l'esprit ouvert. Ce volume dont le sous-titre porte : « Les problèmes fondamentaux de la méthode sociologique dans la science du langage » anticipe sur les exploits actuels accomplis dans le domaine de la sociolinguistique, et surtout réussit à devancer les recher- ches sémiotiques d'aujourd'hui et à leur assigner de nou- velles tâches de grande envergure. La « dialectique du signe », et du signe verbal, en particulier, qui est étudiée dans le livre garde ou plutôt acquiert une grande valeur suggestive à la lumière des débats sémiotiques actuels. Dostoïevski est le héros favori de Bakhtine et la définition qu'il en donne se trouve être en même temps la caractéristique la plus juste de la méthodologie scien- tifique propre à l'explorateur : « Rien ne lui semble accompli ; tout problème reste ouvert, sans fournir la moindre allusion à une solution définitive. » Selon Bakhtine, dans la structure du langage, toutes les notions substantielles forment un système inébranlable, constitué de paires indissolubles et solidaires : la reconnaissance et la compréhension, la cognition et l'échange, le dialogue et le monologue, qu'ils soient énoncés ou internes, l'inter- locution entre le destinateur et le destinataire, tout signe pourvu de signification et toute signification attachée au signe, l'identité et la variabilité, l'universel et le particu- lier, le social et l'individuel, la cohésion et la divisibilité, l'énonciation et l'énoncé. Ce qui attire surtout l'attention et la pensée créatrice du lecteur, c'est la partie finale du livre, où l'auteur dis- cute le rôle fondamental et varié de la citation, soit patente, soit latente, dans nos énoncés et interprète les divers moyens qui servent à adapter au contexte du dis- cours ces emprunts multiformes et continuels. Roman JAKOBSON. 8 introduction I. Bakhtine, l'homme et son double. M. M. Bakhtine naît en 1895 à Orel dans une famille de vieille noblesse ruinée, d'un père employé de banque. Il passe son enfance à Orel et son adolescence à Vilno et Odessa. Il étudie à l'université d'Odessa, puis de Saint-Pétersbourg, d'où il sort diplômé d'histoire et de philologie en 1918. En 1920, il s'installe à Vitebsk, où il occupe divers postes d'enseignement. Il y épouse en 1921 Hélène Okolovitch, qui sera sa fidèle collaboratrice pendant un demi-siècle. Bakhtine fait alors partie d'un petit cercle d'intellectuels et d'artistes parmi lesquels on trouve Marc Chagall et le musicologue Sollertinsky, ami intime de Chostakovitch. Ce cercle comprend égale- ment un jeune professeur au conservatoire de musique de Vitebsk, V. N. Volochinov, ainsi que P. N. Medvedev, employé dans une maison d'édition. Tous deux devien- dront les élèves, les amis dévoués et de fervents admira- teurs de Bakhtine. Ce cercle, connu sous le nom de « cercle de Bakhtine », est un creuset d'idées novatrices à une époque qui en compte beaucoup, particulièrement dans les domaines de l'art et des sciences humaines. Bien. que contemporain des mouvements formaliste et futuriste, il s'en démarque nettement. En 1923, atteint d'ostéomyélite, Bakhtine retourne à Petrograd. Dans l'impossibilité de travailler régulière- ment, il semble avoir été alors dans une situation maté- rielle difficile. Ses disciples et admirateurs Volochinov et Medvedev l'ont suivi à Petrograd. Animés à la fois par le désir de venir en aide financièrement à leur maître et de répandre ses idées, ils s'offrent comme prête-noms afin de rendre possible la publication de ses premiers ouvrages. Frejdizm (Le freudisme, Leningrad, 1925), et Le marxisme et la philosophie du langage (Leningrad, 1929) sortent 9 LE MARXISME ET LA PHILOSOPHIE DU LANGAGE sous le nom de Volochinov. Formalnyj metod v literatu- rovedenije, kriticeskoje vvedenije v sotsiologiceskuju poetiku (La méthode formaliste appliquée à la critique littéraire), qui constitue une critique des formalistes, est publié en 1928, toujours à Leningrad, sous la signature de Medvedev'. Pourquoi donc Bakhtine ne publie-t-il pas sous son propre nom ? Le doute n'est pas permis quant à la paternité de ses oeuvres. Le contenu s'inscrit parfaitement dans la ligne de ses publications signées et on dispose par ailleurs de témoignages directs. En tout cas, à l'époque, le secret est bien gardé, puisque Boris Pasternak, dans une lettre adressée à Medvedev, manifeste son enthou- siasme et son admiration pour l'oeuvre présumée de ce dernier et avoue qu'il était loin de se douter qu'en Medvedev se cachait « un tel philosophe ». Alors, pour- quoi ce jeu de prête-nom ? Selon le professeur V.V. Iva- nov, élève et ami de Bakhtine, il y aurait deux ordres de motifs : tout d'abord, Bakhtine aurait refusé les modi- fications imposées par l'éditeur ; de caractère intransi- geant, il aurait préféré ne pas publier plutôt que de chan- ger une virgule ; Volochinov et Medvedev auraient alors proposé d'endosser les modifications. L'autre ordre de motifs serait plus personnel et lié au caractère de Bakhtine, à son goût du masque et dû dédoublement et aussi, semble-t-il, à sa profonde modestie de scientifique. Il aurait professé qu'une pensée véritablement novatrice n'a pas besoin, pour être assurée de durer, d'être signée par son auteur. A cet égard, le professeur Ivanov le compare à Kierkegaard, qui s'est également caché sous des pseudonymes. Quoi qu'il en soit, en 1929, l'année même où Volochinov signe Le marxisme et la philosophie du langage, Bakhtine publie enfin un premier livre sous son propre nom Problemy tvorcestva Dostojevskovo (Les problèmes de la création chez Dostoïevski 2). Il consa- 1. Ce troisième ouvrage a été réédité en 1971 dans la revue Trudy po znakovym sistcmam, Université dé Tartu, 1971. Les deux autres n'ont jamais été réimprimés. Mouton (La Haye) a publié en 1972 un fac-similé de l'édition de 1929 du Marxisme et la philosophie du langage. C'est à partir de ce texte qu'a été établie la présente édition. 2. Traduction française sous le titre : Problèmes de la poétique de Dostoïevski, Lausanne, L'Age d'homme, 1970. 10 INTRODUCTION crera le reste de sa vie de chercheur à l'analyse stylistique et littéraire. Volochinov et Medvedev disparaissent dans uploads/Litterature/ bakhtine-marxisme-langage-pdf.pdf

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