Vivre ensemble page 1/3 ÉTÉ 2017 L’auteur est théolo- gien et collaborateur du

Vivre ensemble page 1/3 ÉTÉ 2017 L’auteur est théolo- gien et collaborateur du secteur Vivre ensemble du Centre justice et foi. Tout au long de ce livre d’entretiens, on pourra apprécier la prudence et la délicatesse de chacun des interlocuteurs. Ils ne renient pas leur propre spécificité, mais ne dénient pas celle de l’autre. Ils se respectent. Ils s’unissent pour af- firmer que la philosophie était déjà là avant les Révélations et la mise en forme des deux religions respectives. Philosopher en islam et en christianisme. Philippe Capelle-Dumont, Souleymane Bachir Diagne Entretiens recueillis par Damien Le Guay Éditions du Cerf, 2016, 257 pages. Recension de livre : Philosopher en islam et en christianisme par André BEAUCHAMP Pluralisme culturel migration diversité religieuse WEBZINE ÉTÉ 2017 L a formule en soi n’est pas nouvelle. Dans un domaine donné, deux experts-témoins échangent ensemble sur certaines questions au cœur de leurs différends. L’originalité ici est qu’on a affaire à deux philosophes croyants, l’un chré- tien, l’autre musulman. Les deux sont manifestement des hommes de dialogue peu soucieux de défoncer l’adversaire, mais au contraire attentifs à déceler chez l’autre les points de convergence afin de faire avancer la réflexion. Il en sort un livre de taille modeste, assez facile à lire, et ma foi plutôt réjouissant. Philippe Capelle-Dumont (PCD) est un théolo- gien catholique, professeur à Strasbourg et à l’Institut catholique de Paris. Il est philosophe et croyant, et son œuvre porte principalement sur le rapport à Dieu et sur la relation entre philosophie et théologie. Il est un spécialiste de Blondel et de l’histoire de la théologie (quatre volumes d’anthologie)1 . Souleymane Bachir Diagne (SBD) est Sénégalais d’origine, philosophe et croyant de foi musulmane. Il est un spécialiste de Berg- son et a écrit un livre sur Senghor. Son œuvre écrite est impressionnante (p.253). Il enseigne à l’Université de Columbia, à New York. Damien Le Guay dirige le débat avec le tact et la fermeté qui conviennent. Religion et histoire Le point de départ des échanges est la violence, mais la question fondamentale du livre est l’herméneutique, le rapport de la pensée philosophique à la révélation (partie 1), à l’interprétation (partie 2), à la religion et à la culture (parties 3 et 4), à l’État (partie 5), à l’es- thétique (partie 6). Chaque section se divise en deux chapitres : après un bref état de la question des modé- rateurs, chaque intervenant fait le point à l’intérieur de sa tradition, puis au chapitre suivant réagit à son collègue et pousse plus loin la réflexion. Cela aurait pu donner lieu – on le voit si souvent ailleurs – à une série de monologues. On a plutôt droit à des enrichissements de part et d’autre. Vivre ensemble page 2/3 ÉTÉ 2017 D’emblée PCD rappelle la dimension histo- rique du christianisme. « Le christianisme n’est pas une religion accrochée à un point anhistorique, il est une religion temporelle. Et ceci de quatre manières différentes : d’abord en ce qu’il est, comme toute réalité de ce monde, dans et héritier de l’his- toire; ensuite et centralement parce ce que son “objet” principal, Jésus-Christ, est temporel; troisiè- mement et subséquemment parce que ses affirmations elles-mêmes sont “incarnées” et ainsi liées à l’histoire séculaire du dialogue di- vino-humain; enfin parce que son destin temporel est au service du destin humain marqué du sceau divin. Je résiste donc fortement à cette idée courante selon laquelle le christianisme serait une religion abrahamique. » (p. 22-23.) SBD situe à son tour le Co- ran. « Je vais procéder comme Philippe : à partir des textes. Je vais même partir des mots. Quels sont les mots pour parler de la révélation, des mots qui sont eux-mêmes contenus dans le Coran parlant de soi? Qu’il soit un texte éminemment auto référentiel, c’est une donnée très importante. Le Coran est un livre qui n’arrête pas de parler de lui-même comme écrit dans une langue donnée - l’arabe » (p. 27). Le mot Coran peut vouloir dire soumission. SDB propose le mot consentement. « Il y a donc ici cette idée première que ce qui définit l’humain c’est son consentement à Dieu. » (p. 28.) Reprenant le terme de religion abraha- mique, il réplique : « Philippe disait tout à l’heure que le christianisme n’est pas une religion abrahamique. Soit. L’islam est une religion éminemment abraha- mique au sens où Abraham y est reconnu musulman, comme Isaac, comme Jacob comme Jésus, tous les prophètes jusqu’à Mohammed. Pourtant ce dernier sait bien que la religion appelée “islam” est née avec lui autour de l’an 610, soit 40 ans après sa naissance. Il y a donc ce sens d’un islam historique apparu dans le temps, à ce moment donné, et il y a le sens d’un islam comme religion primordiale de l’humain disant à Dieu : certes oui, tu es mon seigneur. » (p. 30.) La place de la violence On perçoit ici la subtilité du dialogue et la compréhen- sion des sources. L’échange sur la violence (p. 51-60) est intéressant. Jésus rejette très clairement la violence corrigeant, ou plutôt pour utiliser les termes de PCD, accomplissant l’Ancien Testament. SBD fait ob- server que le contexte historique n’est pas le même. Le christianisme naissant ne pouvait pas envisager l’opposition à l’Empire romain. Mais quand l’Empire a basculé il a joué la logique du pouvoir. L’islam naissant est chassé de La Mecque et doit se réfugier à Médine. L’affron- tement devenait inévitable (voir p. 50). La question cruciale est celle de l’interprétation, ou de l’her- méneutique. Dieu peut-il parler à l’être humain? Et s’il parle, en quelle langue le fait-il? Com- ment savoir si la parole est authentique? Comment lire le texte, surtout quand il y a des contradictions apparentes entre certaines affirmations? La lecture littérale, voire littéraliste est-elle adéquate? Les interve- nants sont tous deux d’avis que toute lecture est une interprétation et que la lecture fondamentaliste en est une également, consciemment ou non. PCD rappelle la tradition des quatre sens de l’Écriture, ou mieux du quadruple sens de l’Écriture (p. 73). Il signalera plus loin l’importance des approches et les méthodes : sociologique, psychologique, historico-critique, sé- miotique, etc. (p. 80). Du côté de l’islam, on apprend beaucoup de choses. À la mort du prophète en 632, le Coran n’est pas écrit. Il existe comme récit et il y a déjà controverse sur sa mise en écriture. C’est entre 644 et 656 « que le texte du Coran a été établi dans la version que nous en connaissons » (p. 79.) Il pourrait exister plus qu’une version du texte ou de certaines de ses parties. La tradition musulmane est marquée par deux courants opposés : la tradition sunnite qui n’a pas d’autorité centrale et qui tolère une plus grande diver- sité d’interprétation et la tradition chiite plus centra- lisée et plus sévère qui dispose d’une forme de magis- tère plus centralisé. SBD est d’allégeance sunnite et très ouvert à la pluralité des interprétations pourvu qu’elles servent à la communauté. « La manière d’entendre les versets selon telle ou telle circonstance, Les intervenants sont tous deux d’avis que toute lecture est une interprétation et que la lecture fondamentaliste en est une également, consciemment ou non. Philippe Capelle-Dumont rappelle la tradition des quatre sens de l’Écriture, ou mieux du quadruple sens de l’Écri- ture (p. 73). Il signalera plus loin l’im- portance des approches et les méthodes : sociologique, psychologique, historico-cri- tique, sémiotique, etc. (p. 80). Du côté de l’islam, on apprend beaucoup de choses. À la mort du prophète en 632, le Coran n’est pas écrit. Il existe comme récit et il y a déjà controverse sur sa mise en écriture. Vivre ensemble page 3/3 ÉTÉ 2017 est quelque chose de tout à fait important dans la tradi- tion du commentaire du Coran. C’est vous dire donc que cette tradition herméneutique est une tradition très ancienne, extrêmement riche, dont la richesse justement va à l’encontre de l’attitude qui consiste à dire : tenons- nous en à la lettre. À quoi, on peut rétorquer qu’il n’y a pas de degré zéro de littéralité : même quand je prétends lire un texte de manière strictement littérale, cette lecture est toujours déjà une interprétation de ce texte. » (p. 65.) Le rôle de la philosophie Si l’herméneutique a sa place, on comprend que la philosophie n’est pas loin, car deux vérités ne peuvent se contredire. La philosophie pose constamment des questions à partir de la raison. Les deux intervenants font donc valoir les ouvertures de leur tradition à la philosophie et aux philosophes. Du côté de la tradition chrétienne, la sagesse philosophique est déjà présente au sein de l’Écriture; puis on peut évoquer Justin, Irénée, Tertullien, Origène et la scolastique du Moyen-âge qui reconnait à la philosophie un statut d’autonomie. Du côté musulman, l’interrogation philosophique surgit très tôt également (voir pages 138-139). À partir de 750, la dynastie des Abbâssides va favo- riser l’ouverture à d’autres cultures et la découverte de la philosophie grecque (p. 141-142). L’auteur a auparavant cité quelques grands noms uploads/Litterature/ art-ve-vol24no86-a-beauchamp-recension-philosopherenislam.pdf

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