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ANGELUS SILESIUS (JOHANNIS ANGELI SILESIJ) LE PÈLERIN CHÉRUBINIQUE Traduction par CAMILLE JORDENS Sagesses chrétiennes ÉDITIONS DU CERF PARIS 1994 ÉDITIONS ALBIN MICHEL Les notes dAngelus Silesius sont appelées par un astérisque et placées sous les pensées ; les notes du traducteur viennent en bas de page et sont appelées par un chiffre. © Albin Michel, 1994 © Les Éditions du Cerf, 1994, pour la présente édition. (29, boulevard Latour-Maubourg 75340 Paris Cedex 07) ISBN 2-204-04894-1 ISSN 1140-2865 Tous droits réservés. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur et de l'éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. INTRODUCTION Une édition intégrale du Pèlerin chérubinique s'impose. En effet, si on excepte la traduction versifiée d'Eugène Susini (PUF, 1964), forcément très libre, ce qui ne nous paraît pas être l'option la plus fiable, il faut remonter loin, jusqu'aux années d'après-guerre pour trouver une traduction complète de Jean Rousset (1949) et de Henri Piard (1946). La première est restée confi- dentielle, ayant paru chez un petit éditeur, GLM, spé- cialisé en poésie (il a publié Le Moteur blanc de Du Bouchet) ; la seconde reste incontestablement en français la version de référence. Malheureusement Aubier ne l'a pas rééditée depuis 1946. Henri Piard est un grand érudit, un fin lettré, un traducteur exceptionnel qui durant plusieurs décennies a ouvert les milieux français à la littérature allemande classique ou contemporaine. Sa traduction du Pèlerin au début de sa très longue car- rière, quelles que soient ses qualités et la richesse de son introduction, date quelque peu du point de vue stylis- tique. Elle appelle aussi sur certains points des correc- tions liées aux éditions critiques allemandes de date plus récente. 8 LE PÈLERIN CHÉRUBINIQUE Si la poésie baroque française a connu depuis le début des années soixante un regain de faveur grâce à M. Raymond, J. Rousset, C.-G. Dubois et d'innombra- bles émules, une certaine partie du baroque allemand, et particulièrement son aire religieuse, pourtant consti- tutive de cette littérature, demeure encore largement méconnue en France. Une réévaluation et une réhabili- tation s'imposent. Une édition intégrale nous paraît indispensable pour d'autres motifs que le simple désert éditoria/1 et ceux-ci sont liés à la nature même d'une édition exhaustive. Une version complète a des avantages comme des inconvénients. Ces derniers tiennent au relativisme esthétique, notre goût n'étant plus celui du XVII• siècle, et moins encore celui du baroque. Cer- tes, une lecture intégrale peut provoquer un sentiment de lassitude face à certaines redites ou à des passa- ges moins bien venus. D'autre part Le Pèlerin chéru- binique, à l'instar des Essais de Montaigne, ne sup- porte pas d'être lu d'une seule traite. Une collection de maximes ou de réflexions ne relève pas de la pra- tique d'une lecture continue. Toutefois une version complète présente un évident avantage : celui de présenter l'intégralité du texte. Non 1. Alors que notre traduction était à l'impression, a paru aux Éditions Arfuyen une traduction d'un auteur à qui nous rendons hommage, Roger Munier. Depuis plus de deux décennies, il a ravivé la flamme qui s'éteignait de la renommée de Silesius en France. Les spécialistes français ont d'un seul ensemble porté leur attention à leurs poètes baroques de la fin du xv1• siècle et du début du xv11• siècle (Rousset, Raymond, Dubois, Mathieu-Castellani, et pour la poésie religieuse, Jeanneret, Boase, Ortoli, Bellenger, Pineaux). Notre traduction et aussi notre approche sont entièrement indépendantes des siennes. INTRODUCTION 9 qu'il faille la surévaluer pour elle-même et ainsi nier qu'un ouvrage charrie des scories. Mais dans le cas pré- cis de Silesius l'exhaustivité représente une garantie pour le lecteur, un garde-fou contre d'innombrables commen- tateurs et « sélectionneurs », non exempts de partis pris, qui évacuent sans vergogne la part de la pensée ou de l'option stylistique à laquelle ils n'adhèrent pas ou qui les dérange. L '« intégrale » est une assurance pour le lecteur qui entend se former lui-même une opinion, sans tamisage arbitraire, et discerner ce qui dans le texte est pépite ou simple gravillon. Ne rien omettre c'est ne rien compromettre. Silesius mérite qu'on l'envi- sage sous toutes ses facettes, y compris celles qui peu- vent nous paraître caduques, La superficialité, la vision unilatérale et la désinvolture fragmentent un écrivain et, en définitive, le défigurent. Silesius a été souvent victime d'opinions préconçues et de visions fragmen- taires. Cela s'explique aisément. En effet, Silesius est par excellence un auteur qui est lu à travers des flori- lèges. li en existe plusieurs en français et d'innombra- bles en allemand. Ces excerpta permettent un premier contact avec l'œuvre; ils ont le défaut d'être passa- blement unilatéraux et subjectifs. Étant nous-même l'introducteur d'un florilège du Pèlerin (A. Michel, « Spiritualités vivantes», 1994), nous sommes particu- lièrement sensible à la menace que chaque anthologie contient en elle. Tout spicilège implique un tri, tri qui suppose des choix. Dans chaque sélection interviennent une série d'options artistiques, littéraires, philosophi- ques, religieuses, idéologiques, avérées ou voilées, qui, quoique partiellement pertinentes, ne véhiculent pas moins bien des préjugés. Or, peu de commentateurs reconnaissent qu'ils sont soumis à des critères extrin- sèques d'édition et à des critères intrinsèques tant sub- 10 LE PÈLERIN CHÉRUBINIQUE jectifs que collectifs, reflétant l'attente du public ou les goûts - et les dégoûts! - de /'époque 2• Il va sans dire que les aspects strictement chrétiens et confessionnels de Silesius sont souvent volontairement oblitérés3• On constate ainsi combien l'anthologie peut concourir à fournir d'un auteur étranger une vue par- tielle et partiale. La redécouverte est filtrée par l'état d'esprit du présentateur et l'horizon d'attente de son public potentiel. En outre, /'ethnocentrisme géographico-culturel qui suscite tant de méprises trouve son équivalent dans un ethnocentrisme historico-culturel de la modernité idolâ- trée. Le jugement esthétique ou idéologique est plus sen- sible aux rapports de similitude qu'à la différence. Et comme toute lecture est relecture en fonction de soi, il apparaît difficile de discerner l'altérité radicale d'une autre pensée, d'une autre rhétorique, d'une expérience qui est différente. Peu d'auteurs ont suscité tant de gloses diverses que Silesius, de G. Tersteegen à Leibniz, de Schlegel à Hegel, 2. Un exemple illustrera nos propos. L'anthologie de R. Munier chez Arfuyen reprend un certain nombre de distiques, 132 sur envi- ron 1 700. Ce choix limité n'est pas gênant en soi ; toutefois, sa distribution en fonction des six livres d'épigrammes du Pèlerin tra- hit des options cachées qui agissent subrepticement : une préférence caractérisée pour les livres 1 et II qui à eux seuls fournissent 66 maxi- mes sur les 132 (42 pour le livre 1 et 24 pour le livre Il), tandis que les livres III (8), IV (8), V (9) et VI (5) en réunissent à peine 30 ! Le rapport est de un sur cinq voire parfois de un sur huit. Du point de vue qualitatif une telle préférence ne se justifie pas. Seule la prédilection de Munier pour les textes illustrant une mystique de l'essence explique l'anomalie. 3. L' Avertissement de l'anthologie des Éditions Planète (1970) refuse les distiques « dont l'intention didactique et même catéché- tique est certaine » (p. 29). INTRODUCTION 11 de Schopenhauer à Heidegger, de Droste-Hülshoff à Rückert, de G. Keller, le Zurichois, à Hans Urs von Bal- thasar, le Bâlois ... Dans sa lecture chaque génération opère une sélec- tion, tant par voie d'exclusion que par voie d'élection. Chaque génération s'approprie un auteur. Si/esius a été souvent annexé. Le phénomène apparaît dès le XVIII' siècle avec le piétisme. Gottfried Arnold (1666-1714) et surtout Geihard Tersteegen (1697-1769) dans son Geist- liches Blumen, Gartlein inniger Seelen, oder kurtze Schlussreimen ... (1729), un jardin floral spirituel, inflé- chissent l'œuvre de Silesius vers un individualisme mysti- que accentuant /'expérience personnelle de son propre fond (Grund) divin, (Gott in uns), sans recours à une quelconque Église institutionnelle. Leur contemporain Leibniz (1646-1716) a nettement moins d'affinités avec Silesius que le courant piétiste, somme toute fort proche de Franckenberg et du Sile- sius des livres I et Il. Il est le premier d'une longue liste de commentateurs à commettre des contresens flagrants. Il note dans une lettre à Pacus du 28 janvier 1695: « On rencontre chez ces mystiques quelques passages qui sont extrêmement hardis, pleins de métaphores diffici- les et inclinant presque à l'athéisme, ainsi que je l'ai remarqué dans les poésies allemandes, belles d'ailleurs, d'un certain Ange/us Silesius ( ... ) » (Leibnitii opera, éd. Dutens, VI, 56). Au xxe siècle on relève le même phénomène d'appropriation qui peut s'opérer en parfaite légitimité, comme dans le livre de Frederick Franck, The Book of Angelus Silesius with Observations by Ancient Zen Mas- ters (Londres, Wildwood House, 1976), ou de manière naïve, comme sur le plat du florilège édité par Arfuyen (trad. Roger Munier, 1988) une main anonyme a cru bon 12 LE PÈLERIN CHÉRUBINIQUE de signifier aux lecteurs de l'opuscule que la uploads/Litterature/ angelus-silesius-le-pelerin-cherubinique-pdf.pdf

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